Des scientifiques de l'Observatoire de Genève ont scruté une centaine de très vieilles galaxies repérées sur les images prises par le télescope spatial James Webb (JWST). Des galaxies si proches de l'époque du Big Bang, événement fondateur qui a eu lieu il y a 13,8 milliards d'années…
Pour la première fois, l'équipe a identifié la composition chimique de deux d'entre elles, visibles entre 600 et 700 millions d'années après le Big Bang – celles encadrées de jaune sur l'image en tête d'article. Leur étude a été prépubliée sur le site arXiv, afin d'être disponible pour la communauté scientifique.
"La première surprise, c'est la signature spectaculaire d'oxygène dans les toute premières observations du JWST", note, enthousiaste, le premier auteur de l'étude, Daniel Schaerer, de l'Observatoire de Genève. "Les données montrent que ces lointaines galaxies sont déjà bien plus évoluées que ce que prévoyaient des modèles astrophysiques générés par ordinateur", ajoute-t-il en répondant par téléphone à RTSinfo.
Les scientifiques sont ravis de cette découverte inattendue. Du jamais observé – Hubble ne pouvait pas mesurer des spectres de galaxies aussi lointaines – qui a été possible grâce aux instruments de spectrographie formidablement performants embarqués sur le JWST, dont l'instrument NIRSpec (lire encadré). Celui-ci mesure le décalage spectral de l'objet visé: le spectre obtenu donne des informations sur l'âge et la composition chimiques des galaxies.
Une histoire de chimie
Les éléments chimiques les plus répandus dans l'Univers – les plus légers et les plus simples aussi – sont l'hydrogène et l'hélium: "Lorsque ces gaz fusionnent à l'intérieur des étoiles, ils finissent par produire des éléments plus complexes – et plus lourds – comme le carbone, l'azote, l'oxygène ou le néon", explique le professeur Schaerer.
Ces éléments-ci, les scientifiques ne les attendaient pas déjà quelque 600 millions d'années après le Big Bang: "Dans une galaxie peu évoluée, il n'y a pas encore eu beaucoup de générations d'étoiles… et ce sont celles qui sont massives qui produisent les éléments chimiques lourds. Elles les éjectent: l'oxygène produit, par exemple, va ensuite dans la prochaine génération d'étoiles".
"A cette époque extrêmement lointaine, jamais la composition chimique n'avait été mesurée!", souligne l'astrophysicien. "De plus, l'abondance d'oxygène – environ dix fois moins que dans le Soleil – montre que la matière a été recyclée très rapidement. Ces galaxies évoluent très vite en donnant la vie à beaucoup d'étoiles. Des astres qui ont une durée de vie très courte: c'est ainsi qu'elles produisent de l'oxygène".
Une évolution à éclaircir
Désormais, les scientifiques vont devoir s'atteler à comprendre comment la composition chimique de ces lointaines galaxies évolue et à quelle vitesse les différents éléments chimiques plus lourds apparaissent.
"Les éléments lourds sont un signe de production par les étoiles. Lorsque l'on voit du carbone, de l'azote, de l'oxygène, on sait qu'il y a eu une grande activité stellaire. Une étoile comme notre Soleil, de faible masse, vit neuf milliards d'années: il évolue lentement. Il a donc peu d'effets sur la composition chimique de sa galaxie", indique encore Daniel Schaerer.
"Ce sont les étoiles à durée de vie courte qui produisent de l'oxygène. Et il en faut beaucoup pour lancer un nouveau cycle de génération d'étoiles".
Stéphanie Jaquet
La spectroscopie de NIRSpec et des autres spectrographes
Le télescope spatial James Webb est capable de faire des analyses grâce à la spectroscopie, méthode scientifique basée sur l'étude de la couleur et de ses longueurs d'ondes, via son instrument NIRSpec (Near InfraRed Spectrograph), fourni par l'Agence spatiale européenne (ESA). NIRSpec peut analyser environ 150 objets individuels en même temps.
La spectroscopie permet d'identifier les éléments chimiques dans les atmosphères de planètes, ainsi que les minéraux à leur surface, de déterminer de quoi sont faites les étoiles et à quelle vitesse elles tournent, de détecter et de caractériser les mondes en orbite autour d'étoiles lointaines, de mesurer la température, la densité et la vitesse des gaz au centre d'une galaxie active.
Cette technique permet aussi de déduire la présence de trous noirs et de matière noire, de démêler les interactions entre des galaxies en collision et d'aider à calculer le taux d'expansion et l'âge de l'Univers.
A noter que le télescope le JWST possède plusieurs instruments capables de faire de la spectroscopie. En plus de NIRSpec, il y a NIRISS, NIRCam et MIRI. Tous travaillent dans différentes longueurs d'ondes.
>> Un document illustré bien documenté sur le site de l'Observatoire de Haute-Provence: Comprendre le langage des étoiles
Dans l'amas de galaxies nommé SMACS 0723, l'instrument NIRSpec a utilisé ses plus de 248'000 petites portes, pouvant être ouvertes chacune individuellement, pour rassembler le spectre – autrement dit la lumière – en provenance des galaxies. Sur les milliers de galaxies de cet amas, l'instrument a observé 48 galaxies dans un champ de vision qui représente la surface couverte par un grain de sable tenu bras tendu au bout de son doigt.
Ci-dessous, de très anciennes galaxies qui présentent les mêmes caractéristiques. Trois lignes apparaissent chaque fois dans le même ordre: une ligne d'hydrogène suivie de deux lignes d'oxygène ionisé. Avec le décalage de ces lignes – nommé le redshift – astrophysiciennes et astrophysiciens peuvent déterminer l'âge des galaxies (NB: "billion" se traduit par "milliard", en français).
Pour apprendre comment les scientifiques utilisent NIRSpec, la NASA vous permet de "faire vos propres observations" avec cette page interactive en anglais et d'analyser le spectre reçu.