Les OGM reviennent sur le devant de la scène face à la crise alimentaire mondiale
Créé par le semancier argentin Bioceres, ce blé modifié offrirait, selon une étude publiée en 2020 par l'entreprise, un rendement moyen supérieur de 16% en condition de stress hydrique, c'est-à-dire lorsqu'il est nécessaire de limiter l'utilisation d'eau. En mai dernier, l'Argentine a autorisé sa commercialisation, une première mondiale pour un blé OGM.
Dans la foulée, le Brésil a signé pour importer la farine de ce blé, suivi rapidement par la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou encore le Nigeria. Aux États-Unis, l'agence publique de régulation des médicaments et de l'alimentation (FDA) a rendu un premier avis favorable, et Bioceres compte sur une autorisation d'ici la fin de l'année. Après des années de crise économique, l'Argentine rêve ainsi de redevenir le grenier du monde.
"Trouver des solutions rapides"
Ce regain d'intérêt pour les organismes modifiés par transgenèse s'explique avant tout par la pression liée aux pénuries alimentaires qui menacent directement certains pays, qui doivent impérativement trouver des solutions rapides. Or, ces nouvelles variétés développées pour être résistantes aux maladies et à la sécheresse sont un véritable atout pour les pays en développement, souligne dans La Matinale Sylvie Brunel, spécialiste des questions alimentaires à l'Université de la Sorbonne.
"Face au changement climatique et à la pression parasitaire, qui s'accroît sous l'effet de la mondialisation et du changement climatique, il faut trouver des solutions extrêmement rapides, alors qu'un milliard de personnes vivent aujourd'hui dans une grave insécurité alimentaire", rappelle-t-elle.
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Tout un panel de réponses
"Évidemment, ce n'est pas la seule réponse. Mais c'est une des réponses face à l'insécurité alimentaire mondiale", estime-t-elle. "Il faut tout un panel de réponses, qui doivent être utilisées ensemble face aux enjeux qui ont été mis en évidence cet été. [...] Et le génie génétique, notamment les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 qui permettent de sélectionner des gènes utiles pour les insérer dans la plante, en puisant dans l'infinie diversité du vivant, c'est une des réponses qui bénéficient aussi aux pays pauvres."
Mais plus largement, "tout ce que l'on peut mettre en oeuvre pour rendre nos systèmes agricoles plus résilients est souhaitable", rappelle la spécialiste de l'alimentation. "Cela peut être l'agroécologie, la constitution de réserves d'eau, une plus grande rotation des cultures, une agriculture de conservation. Mais le génie génétique en fait aussi partie, y compris en agriculture biologique. Car il s'agit simplement d'une manière de gagner du temps pour trouver des variétés plus résistantes."
Une meilleure perception
Par ailleurs, du côté du consommateur, la perception d'un OGM pourrait être différente en fonction du type de transgenèse effectuée. En termes d'éthique, l'insertion d'un gène tolérant à un herbicide serait moins acceptée que la création d'un organisme résistant aux aléas climatiques, affirme Bioceres dans sa communication commerciale.
"Il est certain que quand vous élaborez une variété dont la principale qualité soit la tolérance à un herbicide, vous créez un système de dépendance à l'égard des vendeurs de cet herbicide", abonde Sylvie Brunel. Tandis que l'élaboration d'une variété qui résiste mieux à des enjeux environnementaux revient simplement à trouver des solutions pour que davantage de gens puissent se nourrir sainement. "Finalement, ce n'est pas très différent quand on invente des vaccins ARN très rapidement face à la pandémie de Covid-19", note la chercheuse.
Différentes peurs subsistent
Certains gouvernements restent malgré tout bien plus réticents quant à l'adoption de ces nouvelles technologies souvent méconnues, tout comme une grande partie de la population. Car si le maïs transgénique est déjà largement répandu aux Etats-Unis dans les farines données aux animaux d'élevage, ce blé "HB4" serait directement consommé par l'humain.
À la peur de l'inconnu, à l'idée qu'on ne "joue pas avec le vivant" s'ajoute aussi la peur de l'apparition de résistances chez les ravageurs ou les pathogènes. "On le voit bien dans la lutte contre les maladies: quand on invente une parade, la nature trouve une solution. Les virus mutent, les bactéries trouvent des parades. Il faut en permanence trouver des réponses", rappelle Sylvie Brunel.
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D'autant que les agriculteurs qui utilisent ces variétés génétiquement améliorées rechignent souvent à consacrer encore une partie de leurs champs aux "zones refuges", qui sont pourtant absolument nécessaires pour que les insectes n'élaborent pas de résistances.
Il y a aussi la peur de la dissémination, c'est-à-dire que les variétés génétiquement modifiées se croisent irrémédiablement avec des variétés sauvages. "Et puis, il y a la question des brevets, et le risque que le paysan devienne dépendant de semences qui coûtent extrêmement cher, et qu'on lui interdise d'utiliser des semences paysannes."
Pour cette raison, les exportateurs argentins eux-mêmes restent sceptiques: en termes commerciaux, exporter du blé OGM vers un pays où la biotechnologie est encore mal perçue pourrait mener à un dégât d'image et éroder la confiance déjà acquise.
Traitement radio et interview: Cédric Guigon
Texte web: Pierrik Jordan
Blé également résistant à un herbicide
Grand exportateur de blé, l’Argentine avait autorisé dès 2020 la culture du blé HB4. Mais sa commercialisation était conditionnée au feu vert de grands pays importateurs, de peur de voir des marchés se fermer. Ce pas a été franchi lorsque le Brésil a autorisé le blé HB4 dans les aliments en novembre 2021.
À l’instar de nombreux OGM, ce blé est aussi résistant à un herbicide commercialisé par la firme qui le produit, le glufosinate, interdit en Europe depuis 2018 mais commercialisé par Bioceres en Argentine.
L’Europe n’interdit pour autant pas l’importation de céréales traitées par cet herbicide s’ils respectent les seuils réglementaires.