C'est exceptionnel, car jusqu'à présent, les composants détectés dans des atmosphères d'exoplanètes étaient limités. Pour la première fois de l'Histoire, du CO2 a été détecté et peut être mesuré: "C'est aussi important que la détection d'eau, de méthane ou d'oxygène moléculaire", explique Monika Lendl, coauteure de l'étude, professeure au sein du Département d'astronomie de l'UNIGE et membre du Pôle de recherche national NCCR PlanetS.
Cela marque une nouvelle étape dans la recherche de la vie dans l'univers, car le dioxyde de carbone joue un rôle-clef dans la régulation du climat; il est notamment un composant central de l'atmosphère de notre Terre.
Trouver ce gaz si clairement est une étape essentielle dans la recherche de mondes pouvant abriter de la vie: "Pour trouver de la vie, il faudra étudier des planètes plus petites, car celle-ci est trop grosse, trop gazeuse, possède trop de pression et est bien trop chaude – il y fait 1000 degrés!", remarque la chercheuse par téléphone, à RTSinfo. "Elle n'est pas du tout habitable, c'est un enfer".
Empreintes digitales
L'exoplanète WASP-39 b est une "Jupiter-chaude", une géante gazeuse brûlante qui gravite autour de son étoile. Cette dernière, semblable au Soleil, se situe à 700 années-lumière de la Terre. Lorsqu'une planète passe juste devant son étoile – les astronomes nomment ce phénomène un transit –, une partie de la lumière de l'étoile passe à travers l'atmosphère de la planète avant d'atteindre le télescope.
"L'atmosphère filtre alors certaines couleurs plus que d'autres, ceci en fonction de la matière qui la compose, de son épaisseur et de la présence ou non de nuages", indique Monika Lendl.
"En utilisant le télescope James Webb (JWST) pour décomposer la lumière en ses couleurs, nous pouvons identifier des 'empreintes digitales' caractéristiques de différents gaz et déterminer la composition de l'atmosphère", précise-t-elle (lire encadré). En utilisant NIRSpec, le spectrographe en infrarouge proche du JWST, l'équipe de recherche a ainsi pu détecter l'empreinte digitale du dioxyde de carbone dans la lumière qui traversait l'atmosphère de WASP-39 b.
Comprendre la formation et l'évolution
"Dès que nous avons vu les données, il était clair que nous avions affaire à une découverte spectaculaire", explique Dominique Petit dit de la Roche, chercheuse à l'UNIGE, coauteure de l'étude et membre de PlanetS.
Comprendre la composition de l'atmosphère d'une planète permet de mieux comprendre l'origine de la planète et son évolution. WASP-39 b tourne autour de son étoile dans une orbite étroite, qui correspond à un huitième de la distance entre notre Soleil et Mercure; elle met seulement un peu plus de quatre jours terrestres pour effectuer une révolution.
Cette planète est soumise à un rayonnement intense qui la chauffe à une très haute température: son atmosphère est très dilatée. Sa taille est d'un tiers plus grande que Jupiter, qui est elle la plus grande géante gazeuse de notre système solaire.
Cette découverte montre que, dans l'avenir, le télescope Webb pourra être capable de détecter et de mesurer du dioxyde de carbone dans les atmosphères plus fines de planètes rocheuses plus petites: "Pour déduire la présence de vie, la détection du CO2 ne suffira pas: il faudra la combinaison d'autres traceurs", souligne Monika Lendl.
Stéphanie Jaquet et l'ats
La spectroscopie de NIRSpec
Le télescope spatial James Webb est capable de faire des analyses grâce à la spectroscopie, méthode scientifique basée sur l'étude de la couleur et de ses longueurs d'ondes, via son instrument NIRSpec (Near InfraRed Spectrograph), fourni par l'Agence spatiale européenne (ESA). NIRSpec peut analyser environ 150 objets individuels en même temps.
La spectroscopie permet d'identifier les éléments chimiques dans les atmosphères de planètes, ainsi que les minéraux à leur surface, de déterminer de quoi sont faites les étoiles et à quelle vitesse elles tournent, de détecter et de caractériser les mondes en orbite autour d'étoiles lointaines, de mesurer la température, la densité et la vitesse des gaz au centre d'une galaxie active.
A noter que le télescope le JWST possède plusieurs instruments capables de faire de la spectroscopie. En plus de NIRSpec, il y a NIRISS, NIRCam et MIRI. Tous travaillent dans différentes longueurs d'ondes.
Une équipe internationale
Des scientifiques de l'Université de Genève (UNIGE), de l'Université de Berne (UNIBE) et du Pôle de recherche national NCCR PlanetS ont participé à cette découverte. C'est Natalie Batalha, de l’Université de Californie à Santa Cruz, qui est la cheffe de l’équipe de recherche internationale qui a réalisé ces observations.
Ces résultats seront publiés la semaine prochaine dans la revue Nature, indique jeudi l'UNIGE dans un communiqué. Cette observation de WASP-39 b n'est qu'une partie d'un plus grand projet d'observation mené avec le JWST qui va continuer de scruter cette exoplanète ainsi que deux autres.
Le télescope spatial James Webb, lancé fin décembre 2021, est exploité conjointement par l’Agence spatiale européenne (ESA), l’Agence spatiale américaine (NASA) et l’Agence spatiale canadienne (CSA). Il débuté son travail scientifique en juin 2022.