L'élamite linéraire est une écriture très particulière provenant du royaume d'Elam, dans le sud-ouest de l'Iran actuel. Elle s'inscrit dans l'Histoire de l'écriture et a résisté au déchiffrement pendant plus d'un siècle.
Une des dernière fois où une écriture ancienne a été décryptée, c'était dans les années 1950, avec le linéaire B, une écriture notant une forme de grec archaïque.
C'est en 1903, pendant des fouilles dans l'ancienne cité de Suse, qu'a été découvert l'élamite linéaire, mais personne n'a su lire ces signes géométriques à l'époque. François Desset, chercheur rattaché à l'Université de Téhéran et au Laboratoire CNRS Archéorient de Lyon, s'est penché sur cette écriture dès 2006, et c'est en 2017 qu'il a finalement réussi à la déchiffrer, avec ses collègues Kambiz Tabibzadeh, Matthieu Kervran, Gian Pietro Basello, et Gianni Marchesi, grâce notamment à des inscriptions sur des vases en argent.
Il vit alors un moment pivot – eureka! – où il comprend comment l'écriture fonctionne. D'abord, il n'y croit pas, mais il trouve une première pièce de l'énigme, puis quelques minutes plus tard, une deuxième, puis tout s'enchaîne de plus en plus rapidement, jusqu'à déchiffrer environ 96% des symboles de cette écriture à nulle autre semblable.
Phonogrammes et logogrammes
L'élamite linéaire est un système qui utilise des phonogrammes, soit des signes transcrivant un son. Une particularité unique au monde au troisième millénaire avant Jésus-Christ: c'est une écriture purement phonétique.
Pour comparaison, les hiéroglyphes et le cunéiforme – utilisés à la même période en Egypte et en Mésopotamie, pour transcrire l'akkadien et le sumérien – fonctionnent grâce à des phonogrammes, mais aussi des logogrammes: des signes ou un dessin transcrivant un mot, une chose ou une idée.
Pour bien comprendre cette différence majeure, François Desset propose au micro de CQFD un exemple. Prenons le résultat de l'addition 999+1: "On peut l'écrire 'mille', de façon phonétique, ou alors '1000', ce qui est la façon logogrammatique. Cette barre verticale et ces trois ronds peuvent se lire en français 'mille', mais en anglais, ce sera 'one thousand', ou 'hezâr' en persan. Vous ne notez pas le son du mot dans votre langue, mais vous notez l'idée de 'mille'. Tous les systèmes d'écritures fonctionnent soit avec des phonogrammes, soit avec des logogrammes et, généralement, ce sont des systèmes mixtes", souligne-t-il.
Le chercheur, confronté à cette écriture du troisième millénaire avant notre ère, a été surpris par son aspect uniquement phonétique.
Il connaissait évidemment les quatre systèmes d'écriture existant à ce moment-là dans le monde: les hiéroglyphes égyptiens, le cunéiforme mésopotamien, l'élamite linéaire iranien et l'écriture de l'Indus au Pakistan et en Inde, toujours non-déchiffrée aujourd'hui: "Je m'attendais forcément à ce système d'écriture mixte, puisque l'élamite linéaire est contemporain de ces autres écritures".
"C'est à la fin du déchiffrement que j'ai dû me résoudre à l'idée que, contrairement à tout ce que je pouvais penser, ce système était purement phonétique. Et ça, c'est un grand changement dans toutes les théories qui concernent l'évolution de l'écriture!"
Seulement 77 signes
En effet, avant cette découverte, la communauté scientifique pensait que les plus anciens systèmes d'écriture au monde, purement phonétiques, n'apparaissaient qu'au milieu du deuxième millénaire avant Jésus-Christ: "Alors que là, on est 800 ans avant cela!", s'enthousiasme François Desset.
L'élamite linéaire est donc plus simple, avec beaucoup moins de symboles: "Il s'agit d'une grille phonétique structurée avec cinq voyelles – a, é, i, o, ou – et douze consonnes. Au croisement des consonnes et des voyelles, on obtient soixante syllabes", explique-t-il. "Le système d'écriture fonctionne avec 77 signes. C'est donc un système très précis phonétiquement et très économe". En cunéiforme, selon les époques, il peut y avoir entre 500 et 700 signes.
Jackpot!
Pour déchiffrer les hiéroglyphes, Champollion avait la pierre de Rosette, ce fragment de stelle gravé avec un même texte en hiéroglyphes, en démotique, soit une forme d'égyptien plus récent, et en grec ancien. François Desset n'avait qu'une quarantaine de textes connus.
Le déclic s'est produit en 2017, en travaillant sur une collection de vases votifs en argent, des vases kunanki, datant de 2000 à 1880 avant Jésus-Christ: "J'ai repéré des séquences de signes que j'ai identifiées comme notant des noms propres. J'ai fait l'hypothèse que c'était des noms royaux".
Il y avait une séquence de quatre signes, dont les troisième et quatrième se répétaient. Le chercheur s'est alors demandé quels étaient les rois qui régnaient au tout début du deuxième millénaire en Iran.
"Et qui avait les troisième et quatrième éléments de son nom qui se répétaient? Avec ces critères-là, il n'y avait qu'une seule personne possible: le roi Shilhaha! Avec le 'ha' final qui se répète, c'était le jackpot! Avec ce patronyme, j'ai eu la lecture phonétique de trois signes: le 'shi', le 'L' et le 'ha'. Par la suite, il y a eu un effet domino et tout est venu très rapidement".
Shilhaha était déjà connu grâce à des textes cunéiformes déchiffrés: "Il est associé très fréquemment avec le nom de son père, Eparti, le deuxième du nom, et ils vénéraient une divinité nommée Napiresha. Avec la lecture du nom de Shilhaha, j'ai pu trouver le nom de son père et de ce dieu". Avec ces trois noms, le chercheur a récolté la valeur d'une dizaine de signes, sur les 77 existants.
Sujet radio: Lucia Sillig
Article web: Stéphanie Jaquet
Une découverte très importante
Pour Catherine Mittermayer, professeure d'études mésopotamiennes à l'Université de Genève, le déchiffrement de l'élamite linéaire est une découverte très importante pour la région: "Pas seulement pour le Royaume d'Elam, mais également aussi pour la Mésopotamie. L'Histoire de ce royaume est surtout connu des sources écrites en sumérien ou en akkadien. Une écriture vraiment propre à ce royaume nous donne des informations de l'intérieur de cette culture; cela apporte beaucoup à sa compréhension et à son Histoire".
L'élamite linéaire était beaucoup plus simple que le cunéiforme utilisée pour le sumérien et l'akkadien: "Mais cette écriture n'est attestée que dans une quarantaine d'inscriptions; son utilisation était plutôt limitée. Tandis que le cunéiforme était déjà bien établi, depuis environ mille ans, avec un grand développement, dans une plus grande région, avec une dizaine de milliers de documents. Cela a eu un impact sur le développement et la répartition de l'élamite linéaire".
Le royaume d'Elam était une région importante pour le commerce vers l'Orient, notamment des métaux et des pierres précieuses: "Oui. Au troisième millénaire, on a des contacts attestés avec l'Est: vers le haut plateau iranien actuel. Ces voies commerciales passaient par là: c'était la première étape. Il fallait passer de la Mésopotamie par l'Elam pour monter ensuite vers le plateau, jusqu'en Afghanistan", raconte-t-elle dans l'émission CQFD.
>> Dossier RTS Découverte : L'histoire de l'écriture