Tandis que la Suisse se prépare avec appréhension à une explosion des primes d'assurance maladie l'année prochaine, sur fond d'inflation généralisée, l'Office fédéral de la Santé publique (OFSP) s'attaque pour la première fois à l'un des trois médicaments les plus distribués en Suisse: les statines.
Ce médicament est le plus prescrit dans le traitement contre le cholestérol. Ainsi, en Suisse, quelque 850'000 personnes en prennent quotidiennement. Mais depuis le 1er août, l'OFSP a décidé de restreindre leur remboursement par l'assurance de base: tout nouveau traitement pour des patients dès 75 ans sans risque cardiovasculaire jugé élevé ne sera plus remboursé par la LAMal.
Attention, cette limitation s’adresse bien à cette seule catégorie de patients: ceux qui ont fait un infarctus ou une attaque cérébrale ne doivent en aucun cas arrêter leur traitement contre le cholesterol. Et, de manière générale, il est recommandé de discuter avec son médecin traitant avant de vouloir arrêter tout traitement.
"C'est relativement étonnant que la partie de la population chez qui les données sont les moins claires, c'est-à-dire les personnes âgées, soient la catégorie de la population chez qui ce traitement est le plus prescrit", commente Nicolas Rodondi, médecin chef à la policlinique de l'hôpital de l'Île à Berne et spécialiste de la surmédication.
Il pointe aussi de "grosses variations cantonales", notamment entre les cantons latins et alémaniques, ce qui constitue aussi "un signe de surmédication".
Un traitement inutile, voire néfaste dans certains cas
L'OFSP limite régulièrement le remboursement de traitements. En juillet, il a par exemple décidé de restreindre le remboursement des analyses de laboratoire pour la vitamine D, dans le cadre d'un programme d'évaluation de l'efficience sanitaire et économique d'une prestation médicale. Mais c'est la première fois qu'il touche à un médicament aussi largement prescrit.
Il se base sur les études les plus récentes menées en Suisse et à l'étranger qui tendent à démontrer que ces médicaments, qui agissent en bloquant l'enzyme responsable du cholestérol, n'apportent aucun bénéfice sur la santé et la qualité de vie des personnes dès 75 ans sans risque cardio-vasculaire élevé.
En revanche, il s'agit d'un traitement contraignant qui demande de prendre une pastille tous les jours, engendre des effets secondaires commes des douleurs et des faiblesses musculaires pour 10 à 20% des patients, et coûte environ 400 francs par année. Or, un certain nombre de seniors prennent un traitement qui n'est en réalité pas utile - voire carrément néfaste - à leur santé.
La véritable question, c'est de savoir si le fait de faire baisser le cholestérol génère un réel bénéfice sur la qualité de vie du patient, souligne Nicolas Rodondi. Il mène actuellement une étude dans tous les grands centres hospitaliers de Suisse afin de clarifier l'utilité de maintenir ces traitements chez les personnes âgées (voir 2e encadré).
Un impact attendu sur les coûts de la santé
"Cette directive va sensibiliser les médecins à ne pas commencer bêtement des statines chez tout le monde à 75 ans, juste parce qu'on a 75 ans", salue pour sa part le chef du service de cardiologie aux HUG François Mach. Il souligne toutefois l'importance de s'assurer, via un scanner et des ultrasons, qu'il n'y a pas de facteurs laissant craindre un risque d'AVC ou d'infarctus, auquel cas la question d'un traitement aux statines reste pertinente.
L'OFSP n'a pas chiffré l'incidence attendue de cette limitation sur les coûts de la santé, mais la limitation d'un traitement devrait en toute logique permettre une légère économie. A titre comparatif, l'OFSP évaluait le potentiel d'économie de la limitation des analyses de vitamine D à environ 30 millions de francs.
Sujet radio: Céline Fontannaz
Texte web: Pierrik Jordan
Le problème de la surmédication
Les médicaments sont la plupart du temps développés en premier lieu pour un groupe précis de la population, explique Nicolas Rodondi. Par exemple, les statines ont été développées pour une patientèle en infarctus, chez qui il y a un clair bénéfice.
C'est par la suite que les recommandations ont tendance à s'étendre à des groupes plus larges. "Et il y a également une tendance à exclure les patients âgés des études, alors qu'on leur prescrit souvent ces médicaments", concède le spécialiste. Les bénéfices sont alors beaucoup moins clairs et cela provoque des utilisations inappropriées.
Chiffres lacunaires
"Les chiffres en Suisse ne sont pas de très bonne qualité en ce qui concerne les données de la santé, mais dans les autres pays, la surmédication représente environ 20% des soins. Ce sont donc des soins inappropriés qui n'ont pas de bénéfice pour la santé des patients, mais qui provoquent quand même des effets secondaires."
Une récente étude menée à l'échelle européenne sous la direction de l’hôpital de l’Île et de l’Université de Berne avait notamment montré que, chez les patientes et les patients âgés souffrant de plusieurs maladies, neuf personnes sur dix prenaient au moins un médicament inapproprié, voire potentiellement dangereux.
>> Lire à ce sujet : Des médicaments inutiles, voire nocifs, chez 90% des personnes âgées
Une vaste étude menée en Suisse actuellement
Le professeur Nicolas Rodondi dirige l'étude Stream qui se déroule dans toute la Suisse dans le but de clarifier l’utilité des médicaments pour le cholestérol chez les personnes âgées. Il entend répondre à deux questions: la poursuite d'une médication quotidienne est-elle préférable à une action sur différents aspects de l'hygiène de vie? Et l'arrêt des traitements permet-il de diminuer les effets secondaires potentiels?
Or, une telle évaluation ne peut être menée qu'en comparant un groupe qui continue le traitement avec un groupe qui arrête.
Étude indépendante de l'industrie
L’étude recrute donc des personnes âgées de 70 ans ou plus, qui n’ont pas souffert d’un infarctus ou d’une attaque cérébrale, pour évaluer l’impact sur la qualité de vie et les douleurs musculaires de l’arrêt ou de la poursuite d’un traitement de statines. Les personnes qui seraient intéressées à y participer peuvent s’annoncer sur le site web de l’étude ou directement auprès de leur médecin de famille.
Cette étude est une des rares analyses indépendantes de l’industrie sur ces traitements, avec un financement par le Fonds national de la recherche suisse (FNS).