Le monde du jeu vidéo est en pleine mutation. Une nouvelle génération de consoles portables arrive sur le marché. Elles promettent de pouvoir jouer partout à des jeux jusqu'ici réservés aux PC ou aux consoles de salon. Et les spécialistes des périphériques informatiques ont senti le bon filon.
Les Suisses de Logitech ont présenté la G Cloud qui sortira l'année prochaine en Europe. De l'extérieur, elle ressemble aux plus de 100 millions de Nintendo Switch vendues dans le monde. Une console allongée, avec deux manettes collées à un écran central. L'autre géant des accessoires, Razer, a enchaîné en présentant la Edge 5.
Ici, pas de développements de jeux vidéo, de cartouches à fabriquer, d'exclusivités à acheter, il s'agit simplement de réceptacles à Cloud gaming. Le principe est le même que pour Netflix, mais en jeux vidéo. Vous payez un abonnement pour avoir accès à de nombreux jeux sans avoir besoin de les télécharger. Un peu comme si vous aviez un écran optimisé, uniquement pour regarder des séries en streaming.
Aujourd'hui, le marché est dominé par Microsoft, Nvidia ou Amazon. Nintendo et Sony s'y mettent. Précurseur avec son offre Stadia, Google vient de jeter l'éponge. La concurrence est rude.
Nouveau marché
Et c'est ce qu'a repéré Logitech. Selon eux, c'est un marché en croissance rapide où il manque des appareils portables, plus performant qu'un simple smartphone ou une tablette.
La promesse est alléchante. Imaginez. Vous jouez à un jeu sur votre téléviseur. Et vous le poursuivez une fois dans les transports publics… mais sur votre téléphone portable. La qualité des graphismes reste la même. Mais aujourd'hui, sur le terrain, la réalité est parfois décevante.
La technologie repose en grande partie sur la qualité de la connexion et sa stabilité. Il y a encore souvent des coupures et de la latence, c'est-à-dire un décalage entre le moment où vous appuyez sur un bouton et la réaction du personnage à l'écran. De quoi faire rager les joueurs.
"En Suisse, c'est compliqué", affirme Armin Hadzikadunic, rédacteur en chef de JVMag.ch. "Pour avoir testé en extérieur, avec de la 5G au centre-ville de Lausanne, ça reste problématique. A la maison, c'est mieux sur des solutions avec des téléviseurs connectés ou des consoles qui récupérèrent les informations à distance. Mais dans ce cas-là, autant avoir des jeux natifs qui tournent sur une machine."
Nomade de salon
Faut-il jouer à sa console portable chez soi? Pour l'instant, c'est ce qu'il y a de plus stable. Il s'agit même d'une tendance qu'on nomme le nomadisme de salon. "On le voit déjà avec la Switch. Vous commencez une partie sur le téléviseur, pour la finir dans votre lit", observe Yannick Rochat, professeur assistant en études logicielles et matérielles des jeux vidéo à l'Université de Lausanne.
"On ne se pose plus la question de l'endroit ou du moment où l'on souhaite jouer. La session nous accompagne à tout moment." La technologie du jeu en nuage change également beaucoup de choses pour ceux qui conçoivent les jeux.
Le studio veveysan Digital Kingdom sort en décembre son jeu Swordship sur PC et Switch. Et ils ont sués pour arriver à tout faire entrer dans la console de Nintendo. Elle manque de puissance.
La liberté du créateur
Avec le Cloud gaming, tous ces soucis disparaissent. Car les jeux sont sur des serveurs et plus dans la console. "On se sent libéré", explique Sandro Dallaglio, game designer chez Digital Kingdom.
"Faisons le jeu qu'on a envie de faire et ensuite les joueurs ont la liberté de l'utiliser comme ils en ont envie. C'est le message que je reçois de ces nouvelles plateformes. Le support importe peu."
Si la technologie n'est pas encore arrivée à maturité, tout peut aller très vite. On oublie souvent que les jeux vidéo sont une invention récente. Cette année, on fête les 50 ans de la première console de salon, l'Odyssey. De petites roulettes permettait simplement de faire bouger un carré blanc.
Et tout s'accélère. Le premier jeu portable de Nintendo, Ball, où vous incarnez un petit jongleur arrive en 1980. Avec cette série Game&Watch, vous ne pouviez jouer qu'à un seul jeu.
Une histoire récente
Il faut attendre 1990 en Suisse pour avoir entre les mains la GameBoy, vendue avec son jeu Tetris. C'est une révolution. Les jeux ne sont plus dans la machine, mais sur des cartouches.
Arrivent les jeux sur téléphone portable. En 1994, les possesseurs d'un Hagenuk MT-2000 pouvaient jouer à Tetris. Une première. Depuis les magasins d'applications regorgent de jeux. De quoi démocratiser les jeux vidéo.
En 2021, 77% des utilisateurs suisses d'Internet âgés de 16 à 64 ans jouent à un jeu vidéo, selon la société de recherche d'audience GlobalWebIndex. Ils y passent en moyenne 42 minutes par jour, principalement sur leur smartphone.
Aujourd'hui, on estime que les recettes mondiales issues du jeu vidéo représentent entre 150 et 200 milliards de francs. De quoi accélérer les innovations.
Pascal Wassmer
Les grands acteurs du jeu vidéo
Pour étoffer leurs bibliothèques de jeux en ligne, les géants du secteur achètent des licences et des studios à tour de bras. L'un des objectifs est d'ingérer les communautés de joueurs qui gravitent autour des jeux pour leur vendre à terme des abonnements. La lutte est âpre pour devenir la principale porte d'entrée à l'univers des jeux vidéos.
Revue des forces en présence:
Tencent
Le N.1 mondial Tencent règne aussi bien en Asie (le marché le plus important de l'industrie vidéoludique) que dans le reste du monde, grâce à une myriade d'investissements.
Le géant chinois possède notamment Riot Games, l'éditeur du succès planétaire "League of Legends", et des jeux mobiles très populaires comme "Honor of Kings" et ses plus de 100 millions d'utilisateurs actifs quotidiens ou "PlayerUnknown's Battlegrounds" (PUBG).
Il avait aussi acquis le studio finlandais Supercell ("Clash of Clans", "Clash Royale", "Brawl Stars") en 2016 pour 8,6 milliards de dollars. Un record à l'époque.
Tencent possède également des parts dans Epic Games, l'éditeur du jeu phénomène "Fortnite" avec à son actif plus de 350 millions d'utilisateurs, et dans le français Ubisoft ("Assassin's Creed", "Far Cry", "Just Dance"...), sur lequel il vient d'aider la famille Guillemot à renforcer son emprise.
Sony
Le groupe japonais Sony a vendu plus de 500 millions d'exemplaires de sa Playstation (tous modèles confondus) depuis 1994. A travers sa filiale Sony Interactive Entertainment, il contrôle une kyrielle de studios (Insomniac, Housemarque...), qui ont développé des titres exclusifs pour ses machines comme la saga "Spider-Man".
L'acquisition en janvier 2022 du développeur et éditeur américain Bungie (créateur de "Halo" -- gros succès de la Xbox -- et "Destiny") pour 3,6 milliards de dollars a renforcé son portefeuille de jeux. Sony a également annoncé en avril l'investissement de 2 milliards de dollars dans Epic Games, réalisé conjointement avec la maison mère du danois Lego (à hauteur d'un milliard chacun), pour financer les efforts de l'éditeur de Fortnite dans son développement du "métavers".
Microsoft
Le mastodonte américain Microsoft n'hésite plus à mettre les moyens, à l'image de la plus grosse acquisition de l'histoire du secteur réalisée en janvier: le rachat d'Activision Blizzard pour 68,7 milliards de dollars. Une opération qui lui a permis de mettre la main sur des titres majeurs comme "World of Warcraft" et "Diablo".
Le groupe à l'origine des consoles Xbox s'était déjà renforcé avec le rachat du studio suédois Mojang, créateur de "Minecraft", en 2014 et de ZeniMax Media en 2020 ("Elder Scrolls", "Fallout"...).
Microsoft ambitionne aussi de s'imposer comme le "Netflix des jeux vidéo" grâce au Xbox Game Pass, sa plateforme en ligne qui vient de dépasser les 25 millions d'abonnés. Elle permet de télécharger des jeux sur un support physique ou d'y jouer via le cloud.
Nintendo
Avec ses sagas maison mythiques comme "Mario", "Zelda" ou "Pokémon", Nintendo se singularise de ses concurrents avec son positionnement grand public autour de sa console Switch, sans participer à la frénésie d'acquisitions. Tout juste a-t-il par exemple racheté début 2021 le canadien Next Level Games, un studio auquel il avait déjà confié plusieurs de ses marques pour qu'il développe des titres sur ses machines.
La sortie en mars 2020 de son jeu "Animal Crossing: New Horizons" est devenue un phénomène de société, alors que les modes de vie casaniers s'imposaient dans le monde en raison de la pandémie de Covid-19. Sur son exercice 2021/2022, 23 millions de Switch ont été écoulées dans le monde.
Les Indépendants
Bien que le vent de la consolidation se soit levé depuis un moment, plusieurs éditeurs de premier plan restent indépendants et pourraient constituer autant de cibles à l'avenir, à l'image des américains Take-Two et Electronic Arts ou du japonais Square Enix.
Développeur, éditeur et distributeur, Take-Two est un poids lourd avec ses jeux très populaires comme "Grand Theft Auto", "NBA 2K" ou "Red Dead Redemption".
Il a déboursé 12,7 milliards de dollars pour acquérir le développeur des jeux mobiles Zynga, créateur de la simulation agricole "FarmVille".
Avec un chiffre d'affaires de 5,6 milliards de dollars en 2021, Electronic Arts possède également un portefeuille de licences très plébiscitées comme "Fifa", "Battlefield", "Apex Legends", "Les Sims", "Madden NFL" ou "Need for Speed".
AFP/PW