Tony Rinaudo aime les arbres depuis son enfance, bien avant d'avoir entrepris des études d'agronomie. Dans le sud de l'Australie où il est né, il a toujours scruté leur forme, leur croissance, leur feuillage, leurs racines.
Désormais ingénieur agronome, ce passionné essaie de sauver ses chers arbres de par le monde. Il a entrepris de reverdir des zones arides en régénérant des restes de forêts enfouis dans le sol. Notamment au Niger, où il est parti avec son épouse pour oeuvrer comme missionnaire et où il a hérité d'un projet de plantation d'arbres.
L'échec d'un projet et la révélation des racines
Le projet lancé au Niger était destiné à planter quelque 6000 arbres par an. "L'idée était d'arrêter l'avancée du désert et d'aider les villageois à pouvoir se procurer du bois de chauffage et plus généralement à répondre à leurs besoins en bois", confie Tony Rinaudo lundi dans l'émission Tout un monde.
Les gens que j’étais censé aider m’appelaient le fermier blanc fou
Mais la majorité des arbres qui ont été plantés n'ont pas résisté, car le climat est rude dans ce pays situé au bord du Sahara. "Il n'y a pas de clôtures et, pendant la saison sèche, les chèvres et le bétail mangent tout ce qui pousse. Les gens que j'étais censé aider m'appelaient le fermier blanc fou."
Mais un jour, le fermier fou a posé son regard sur des racines, au milieu de la brousse. Et là, c'est la révélation pour lui, raconte-t-il dans son livre "The Forest Underground" ("La forêt souterraine, un espoir pour une planète en crise").
Une forêt souterraine au grand potentiel
"Sous le sable, il y avait des souches anciennes avec plein de petites pousses. Et je me suis dit qu'il n'était pas nécessaire de combattre le désert du Sahara ou d'avoir un programme de plusieurs millions de dollars pour résoudre ce problème. Tout ce dont j'ai besoin est sous mes pieds", raconte Tony Rinaudo, qui a alors lancé son projet Farmer Managed Natural Regeneration (FMNR).
L'ingénieur souligne qu'avant la colonisation, avoir des arbres dans le paysage était quelque chose de normal. Mais "avec la colonisation, il y a eu une tendance à moderniser l'agriculture, au moyen de charrues tirées par des boeufs ou des ânes, et les arbres sont devenus des obstacles. Les paysans ont été encouragés par les autorités à les arracher et à arracher également les souches."
A force de recherches, Tony Rinaudo a réussi à découvrir toute une forêt souterraine extrêmement variée, avec un grand potentiel de développement. Et dans un pays où les températures dépassent facilement les 40 degrés, les arbres sont particulièrement précieux.
Tout ce dont j'ai besoin est sous mes pieds
Non seulement, ils offrent une ombre idéale en période de semis, mais aussi parce que les fermiers n'ont en général pas d'engrais et pas beaucoup de bétail pour fertiliser les sols. Et les arbres jouent un rôle important dans ce domaine, car ce sont des fertilisants. Certains sont de la famille des légumineuses et apportent des azotes dans le sol. Tous produisent des matières organiques, ce qui est essentiel pour retenir l'humidité dans la terre plus longtemps et nourrir les micro-organismes.
La synergie positive de l'agroforesterie
Tony Rinaudo s'explique sur le but de la démarche: "Nous ne professons pas le retour des forêts, cela ne marcherait pas, les populations doivent pouvoir nourrir leurs familles grâce à leurs cultures, mais nous promouvons un système appelé agroforesterie, qui consiste en un mélange de bons arbres à une bonne densité alternant avec des terres cultivées ou des pâturages. Cela crée une synergie positive et c’est bénéfique pour l’environnement et pour les paysans."
Mais l'ingénieur agronome sait que les habitudes et les mentalités sont difficiles à changer en Afrique comme ailleurs, où l'on continue à couper les arbres et à brûler les terres sans discrimination. Il encourage donc les volontaires à choisir et protéger les souches des arbres qui leur seront les plus utiles.
Tony Rinaudo est conscient que les agriculteurs ne vont pas protéger et faire pousser tous les types d'arbres. Et la technique qu'il enseigne, qui s'appelle "régénération naturelle gérée par les paysans" doit correspondre à leurs objectifs. "Ce n'est pas la méthode de Tony, ce n'est pas moi qui décide, ce sont les paysans qui choisissent." Les paysans doivent choisir s'ils veulent de la nourriture, du bois pour cuire les repas ou des revenus. "Ils doivent s'y retrouver sinon ils ne poursuivront pas l'expérience."
200 millions d'arbres supplémentaires en vingt ans
Les résultats sont toutefois rapidement mesurables. "Heureusement, quand vous régénérez des arbres déjà existants, surtout quand ils viennent de souches matures, ils poussent très vite et même pendant la première année vous voyez des déjà des bénéfices", note le spécialiste.
Après quasiment vingt ans passés au Niger, Tony Rinaudo réalise le chemin parcouru: "Le rendement moyen des cultures était à l'époque de 250 kilos par hectare ce qui est vraiment peu, insuffisant pour nourrir une famille. Avec cette méthode de régénération d'arbres, les rendements ont doublé. Et cela a commencé à attirer les paysans. Ils en ont parlé et ont créé un véritable mouvement."
En vingt ans, la méthode a ainsi été appliquée à un rythme de 250'000 hectares supplémentaires chaque année et, à la fin de cette période, il y avait 200 millions d'arbres supplémentaires au Niger sur une superficie de 5 millions d'hectares. "Et cela sans planter un seul arbre", note l'ingénieur.
Utile pour la grande muraille verte
Mais est-ce que cette technique pourrait remplacer la plantation de jeunes pousses? Et pourrait-elle être utile dans le cadre du projet ambitieux de grande muraille verte qui vise à planter des millions d'arbres du Sénégal à Djibouti pour arrêter la désertification?
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Il faut que la communauté aie le sentiment que l'arbre lui appartient
Tony Rinaudo n'est pas opposé à cette initiative et juge que les deux visions ne sont pas contradictoires. Il estime que, dans certaines zones désertiques, les plantations sont nécessaires. Toutefois, à ses yeux, on ne tient pas assez compte des forêts souterraines et de leur potentiel. Il souhaite qu'on examine de façon détaillée ce qui marche et ce qui ne marche pas, si la jeune pousse survit à la sécheresse ou non.
L'expert en arbres relève aussi l'importance de l'appartenance: "Il faut que la communauté aie le sentiment que l'arbre lui appartient et qu'il lui apportera quelque chose assez vite. Si ce n'est pas la base de ce qui est entrepris, le projet durera aussi longtemps que l'on paie les gens pour le faire, pas plus."
Et au Niger, le fermier blanc fou s'est peu à peu forgé une nouvelle réputation, celui de fermier blanc qui verdit les déserts.
Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Frédéric Boillat
Une méthode qui suscite de l'intérêt
La technique novatrice de Tony Rinaudo suscite aussi de l'intérêt ailleurs que sur le continent africain. L'ingénieur s'est ainsi rendu en Allemagne et au Kenya pour la présenter et il a été invité à la COP 27 en Egypte pour faire de même.
World Vision Australie, l'organisation de solidarité internationale pour laquelle il travaille, va lancer une campagne pour régénérer un milliard d'hectares de terres dégradées dans le monde. Des projets ont été lancés au Niger, au Kenya, en Somalie et dans plusieurs pays africains, ainsi qu'en Indonésie
Et la méthode qu'il prône fait partie aujourd'hui de la liste des bonnes pratiques établie par l'Organisation mondiale de l'alimentation de l'ONU.
Face aux désillusions générées par le changement climatique, la pollution et la perte de biodiversité, ce projet est une "histoire pleine d'espoir, qui donne aux gens du courage et l'idée que de bonnes choses peuvent être faites", juge Tony Rinaudo, qui voit dans sa méthode un moyen efficace et bon marché pour réduire les émissions de CO2.