Pour la première fois, une étude scientifique démontre un comportement de jeu (lire encadré 1) avec un objet chez un insecte. Menée à l'Université Queen Mary de Londres, elle a été publiée en octobre dans la revue Animal Behaviour. Cette appétence pour le jeu serait une preuve que les abeilles et les bourdons peuvent éprouver des "sentiments positifs", selon l'équipe de recherche.
Les scientifiques du Bee sensory and behavioural ecology lab – le Laboratoire d'écologie sensorielle et comportementale des abeilles [ndlr. bee, en anglais, peut définir plusieurs hyménoptères; dans cette recherche, il s'agit de bumblebees, des bourdons] – ont mis en place différentes expériences pour tester leur hypothèse et ont découvert que les bourdons faisaient tout leur possible pour s'amuser à faire rouler de petites billes de bois de manière répétée, alors qu'ils n'avaient aucune raison apparente ou incitation particulière à le faire.
Ce comportement avait été repéré après une autre expérience où les bourdons avaient été entraînés à placer des billes sur une cible pour recevoir une récompense (lire encadré 2): même lorsqu'ils n'étaient pas testés, les insectes avaient été vus en train de manipuler les objets, sans que rien ne leur soit offert. Il n'en a pas fallu plus pour que cela intrigue la doctorante Samadi Galpayage, première autrice de cette nouvelle étude.
Une activité gratifiante
Sa recherche a suivi quarante-cinq bourdons dans une arène: les insectes pouvaient se déplacer le long d'une zone sans obstacle pour rejoindre un buffet à volonté d'eau sucrée et de pollen ou se rendre d'abord dans un endroit où se trouvaient des billes en bois.
Et les hyménoptères ont en général préféré la seconde option: aller faire rouler ces boules entre une et 117 fois au cours de l'expérience, ce qui est impressionnant. Un comportement répété qui suggère que cette activité est gratifiante pour eux.
"Il est vraiment époustouflant, et parfois amusant, d'observer les bourdons faire preuve d'une certaine forme de jeu. Ils s'approchent de ces 'jouets' et les manipulent encore et encore", commente-t-elle, dans un article publié sur le site de son université.
La chercheuse a aussi remarqué que les individus jeunes roulaient davantage les billes que les plus âgés, un comportement similaire à celui observé chez les êtres humains, les mammifères et les oiseaux. Et les bourdons mâles s'engageaient aussi dans cette activité durant plus longtemps que les femelles: "Et on ne sait toujours pas pourquoi", s'amuse Samadi Galpayage au micro de RTSinfo.
Un "état émotionnel positif"
Un autre dispositif donnait l'accès à deux chambres colorées à quarante-deux bourdons: l'une bleue et vide et l'autre jaune avec des billes à déplacer. Après plusieurs jours, les hyménoptères étaient testés. L'équipe de recherche leur présentait deux pièces vides de tout objet: les bourdons pouvaient entrer dans celle de leur choix.
Cette fois, ils montraient une préférence pour celle dont la couleur était auparavant associée avec les petites boules en bois, la jaune: "Cela nous dit que rouler des billes, en soi, est gratifiant pour les bourdons; c'est aussi une autre indication que c'est quelque chose qui peut être amusant pour eux", remarque la chercheuse.
Ainsi, ces expériences effectuées dans des conditions exemptes de stress tendent à prouver que les bourdons roulent les billes pour l'unique plaisir du jeu, car cette activité ne contribuent à aucune stratégie de survie comme obtenir de la nourriture, dégager un espace encombré ou se reproduire.
Les bourdons sont des êtres vivants qui méritent le respect
"Cela montre, une fois de plus, que malgré leur petite taille et leur minuscule cerveau, les bourdons sont plus que de petits êtres robotiques. Ils peuvent en fait éprouver des états émotionnels positifs, même rudimentaires, comme le font d'autres animaux plus grands, à fourrure ou non", ajoute Samadi Galpayage.
"Ce type de découverte a des répercussions sur notre compréhension de la sensibilité et du bien-être des insectes et, espérons-le, nous incitera à respecter et à protéger toujours plus la vie sur Terre". La doctorante est persuadées qu'il faut bien traiter les animaux: "Et pas juste parce que les bourdons sont des pollinisateurs et qu'ils nous aident nous, avec notre nourriture, mais simplement parce que ce sont des êtres vivants qui méritent le respect et méritent qu'on s'en soucie."
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Stéphanie Jaquet
Les critères du jeu
Pour qu'un comportement soit assimilé a du jeu, il y a des critères très spécifiques à remplir. Notamment que l'activité n'ait pas une fonction immédiate apparente liée à la survie, comme par exemple chercher un refuge, de la nourriture, ou encore associé à la reproduction.
Il faut aussi que l'attitude soit répétée mais pas stéréotypée et qu'elle ait lieu lorsque l'animal n'est pas stressé. Il est aussi important qu'elle soit intrinsèquement gratifiante, donc sans obtenir une récompense. Et, par conséquent spontanée et volontaire. A noter aussi que le comportement doit être différent d'une occupation fonctionnelle.
Marquer un goal pour une récompense
Ces recherches s'appuient sur des expériences antérieures, menées par le même laboratoire de l'Université Queen Mary, qui ont montré qu'il était possible d'apprendre aux bourdons à marquer un but en faisant rouler une boule vers une cible, en échange d'une récompense sucrée.
Au cours de l'expérience précédente, l'équipe a observé que ces insectes faisaient rouler des billes en dehors de l'expérience, sans recevoir de récompense alimentaire.
La nouvelle étude a montré que les hyménoptères interagissaient avec ces "ballons" de façon répétée sans avoir été formés et sans recevoir de nourriture pour cette action, un comportement volontaire et spontané, qui s'apparente donc au comportement de jeu observé chez d'autres animaux.