Il y a Facebook. En perte de vitesse et avec une stratégie du metavers qui ne convainc pas, le géant bleu licencie 11'000 salariés. Et ensuite il y a Twitter. Après avoir mis à la porte la moitié de ses 7500 employés, Elon Musk a posé un ultimatum à celles et ceux qui sont restés, en leur demandant de "travailler de longues heures à haute intensité". La demande du milliardaire a déclenché des départs en cascade.
Est-ce le début de la fin pour ces plateformes ? Dans un contexte de déclin évident, l'hypothèse n'est pas farfelue. Parce que nous sommes déjà en train de vivre la fin d'une certaine idée que nous avons des réseaux sociaux.
>> Lire aussi : Meta, la maison mère de Facebook, supprime 11'000 emplois
Deux décennies d'histoire
Qui se rappelle encore de Friendster, l'ancêtre des réseaux sociaux né en 2002, et de ses 115 millions d'utilisatrices et utilisateurs ? Qui se rappelle encore de MySpace, né en 2003 et qui a "tué" Friendster et s'est ensuite fait dépasser par Facebook ?
Au début des années 2000 les réseaux sociaux constituaient la principale expérience d'Internet pour la plupart d'entre nous. Avec une promesse : être connectés, être dans la construction ou l'approfondissement des relations avec ses amis, sa famille, ses collègues de travail.
Et Facebook fut
Mais comment le réseau de Mark Zuckerberg a-t-il fait pour détrôner MySpace?
Facebook a eu le génie de mieux utiliser le concept économique de "network effect" (ndlr: l'effet de réseau), qui fait que l'utilité d'un service se mesure par la quantité d'utilisatrices et utilisateurs.
Pour y arriver, Facebook se lance à ses débuts sur un marché de niche, celui des étudiants des universités américaines comme Harvard. Il s’ouvre ensuite à d'autres universités, avant de devenir accessible à toutes et tous en septembre 2006. Le succès de Facebook c'est l'utilisation de l'effet local de réseau. Et puis Mark Zuckerberg ne fait pas l’erreur de croire que ce qui est important c’est le nombre d’utilisatrices et utilisateurs. Non, pour lui c’est la qualité des relations qu'ils et elles entretiennent.
MySpace permettait une connexion à des gens du monde entier, mais que l'on ne connaissait pas. Le génie de Facebook a été de nous proposer un lieu où on pouvait croiser nos amis, notre famille, nos collègues de travail.
Facebook a ainsi réussi à remettre en question la théorie des 6 degrés de séparation, qui affirme que chaque personne dans le monde est reliée à n’importe quelle autre par une chaîne de maximum 6 maillons. Avec Facebook on en est à 3,57, lit-on sur la BBC.
Le monde des réseaux sociaux est petit. De plus en plus petit.
Et le bouton "J'aime" fut
Tout bascule en 2009. On est quelque part entre l'apparition des smartphones (2007) et le lancement d'Instagram (2010).
En 2009 le bouton "J'aime" fait son apparition sur Facebook et change à jamais nos relations dans la vie en ligne. Elles se transforment en une compétition des chiffres. Il faut décrocher un maximum de "j'aime". Il faut avoir beaucoup d'amis.
Autre changement, vu la quantité de contenus produits, le fil d'actualité de Facebook adopte par défaut un tri algorithmique plutôt que chronologique. Pour pouvoir se démarquer dans le flot ininterrompu d'informations il faut nourrir la machine. Plus la foule est grande, plus la possibilité d'être entendu est élevée.
L'essor des médias sociaux
Les réseaux sociaux deviennent ainsi des médias sociaux, comme l'explique Ian Bogost dans un article publié sur le site The Atlantic. "Les médias sociaux ont fait de vous, de moi et de tout le monde, des diffuseurs (même s'il s'agit d'aspirants). Les résultats ont été désastreux mais aussi très agréables, sans parler de la rentabilité massive - une combinaison catastrophique", écrit-il.
On perd donc la notion de réseau de relations humaines, on va sur Facebook et sur Twitter pour s'informer. Facebook transforme son "graphique social" de relations humaines en une machine à gagner de l'argent aux annonceurs qui ciblent très finement leurs pubs grâce à nos données. C'est l'économie de l'attention.
Le cercle vertueux devient vicieux.
Outils importants de mobilisation lors des révoltes citoyennes, Twitter et Facebook deviennent petit à petit un moteur pour l'extrémisme, la désinformation, les discours de haine et le harcèlement. Les médias sociaux sont en plein crise existentielle.
>> Lire aussi: En Iran, la révolte survit à la répression par la puissance des réseaux sociaux
Tendance qui se renforce avec la récente décision d'Instagram et Facebook de copier TikTok et son algorithme de recommandation des contenus. On se dirige vers des médias numériques de masse, qui proposent des vidéos d'utilisateurs que l'on ne connaît pas, traitées par l'apprentissage automatique. Une certaine idée de Facebook et Twitter, celle des années 2010, est en train de disparaître.
Nous n'allons pas renoncer à créer des contenus et les partager avec les autres, les médias sociaux ne vont pas disparaître mais ils vont encore évoluer. Les médias sociaux se régénèrent avec l'apparition d'autres acteurs comme Mastodon vers qui se tournent de plus en plus d'utilisatrices qui ont quitté Twitter suite au rachat par Elon Musk.
La nature humaine ne changera pas fondamentalement, nous serons toujours des êtres sociaux, et nos comportements en ligne s'adapteront aux nouvelles technologies.
Miruna Coca-Cozma