Les vingt-deux pays membres de l'ESA, dont les ministres chargés du spatial sont réunis à Paris depuis mardi, doivent décider de leurs programmes et financements pour les trois prochaines années.
Près de 17 milliards d'euros seront alloués à l'Agence spatiale européenne (ESA) pour la période 2023-2025, a annoncé mercredi après-midi le ministre français de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire.
L'ESA requiert une souscription totale de 18,5 milliards d'euros, en hausse de plus de 25% par rapport à la période précédente. Une hausse gigantesque, même si ce budget reste petit face à celui de la NASA – environ cinq fois plus.
L'effort demandé en pleine crise économique est "immense", mais nécessaire si "nous ne voulons pas sortir de la course", plaide son directeur général, Josef Aschbacher, arguant que les budgets spatiaux augmentent partout dans le monde (lire encadré).
L'enjeu de l'autonomie
L'enjeu est grand puisqu'il s'agit de l'autonomie de l'Europe et, avec elle, celle de la Suisse. Car le Vieux Continent fait aujourd'hui face à la concurrence d'autres Etats: la Chine, notamment, qui construit sa propre station spatiale et veut aussi être active dans l'exploration. Et – peut-être surtout – à celle des privés, comme l'Américain Elon Musk, avec son groupe SpaceX.
Ce qui se joue aussi, c'est l'autonomie pour l'accès à l'espace. L'Europe a déjà dû faire appel à SpaceX pour mettre en orbite deux missions récentes, à cause du contexte géopolitique – depuis le début de la guerre en Ukraine, les fusées russes Soyouz ne peuvent plus être utilisées. Et Ariane 6, considérée comme la riposte à SpaceX, aurait dû faire son premier vol en 2020; mais elle ne partira qu'à la fin de l'an prochain.
Le dossier des lanceurs est régulièrement une source de "tiraillements" entre la France, l'Allemagne et l'Italie, reconnaît Philippe Baptiste, président du CNES, l'agence spatiale française. Pour apaiser les tensions, ces trois principaux pays contributeurs de l'ESA se sont accordés dès mardi pour garantir l'exploitation future de la fusée Ariane 6 et de sa petite soeur Vega-C, et permettre aux micro et mini-lanceurs d'être envoyés pour le compte de l'ESA.
Le spatial fait partie de notre quotidien
Si toutes ces préoccupations peuvent paraître lointaines et stratosphériques, il n'en est rien: les infrastructures spatiales font partie intégrante de notre quotidien: "Par exemple, les signaux qu'on obtient des satellites de navigation", note Renato Krpoun, chef de la division des affaires spatiales de la Confédération: "Il y a les signaux de position qu'on utilise tous les jours sur notre téléphone portable quand on navigue, mais aussi les signaux de temps pour nos réseaux de télécommunications qui sont indispensables pour que ces systèmes fonctionnent aujourd'hui", explique-t-il au micro de La Matinale.
L'accès à l'espace est aussi important pour l'observation de la Terre et l'enjeu actuel majeur qu'est la documentation du changement climatique.
Et il ne faut évidemment pas oublier les missions scientifiques. La mission américaine Artemis a été lancée cette semaine, avec des éléments européens et suisses qui sont déjà en chemin ou en orbite autour de la Lune. Et un jour, il y a aura Mars. Et là, il faut une rallonge budgétaire pour sauver ExoMars, la mission de recherche de vie sur la planète rouge de l'ESA.
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La durabilité dans l'espace
La Suisse fait partie des vingt-deux membre de l'Agence spatiale européenne: la Confédération et les scientifiques de notre pays suivent avec attention ces débats budgétaires, car la recherche et des entreprises suisses sont évidemment impliquées dans ce domaine.
L'EPFL, par exemple, met ses forces sur le sujet de la durabilité spatiale, notamment à cause des déchets dans l'espace toujours plus nombreux: "Seulement une petite fraction des objets dans l'espace sont des satellites actifs", remarque Jean-Paul Kneib, professeur en astrophysique à l'EPFL et directeur du Space Center. "Même si, vu le lancement répété de nombreux satellites, il y en a de plus en plus d'actifs en proportion, il y a énormément de satellites et de débris. La situation ne va pas s'arranger, donc il faut réfléchir à comment rendre cet espace durable".
Ce qui signifie retirer des objets et mieux organiser et donc contrôler les orbites dans l'espace, selon lui: "Bien maîtriser l'occupation de l'espace est quelque chose d'important, notamment pour l'Europe, pour le bien de la société et sur le long terme".
Un Centre spatial en Suisse ...et un ou une astronaute?
Il y a aussi un grand projet de Centre spatial de l'ESA en Suisse, orienté sur les technologies innovantes dites "de rupture", comme par exemple l'intelligence artificielle et les impressions 3D: "Il y a eu un premier accord entre la Suisse et l'ESA pour mettre en place ce centre – pour l'instant sans budget – donc peut-être que l'assemblée ministérielle va donner un vrai souffle à ce projet".
Une petite partie des milliards en jeu? "Un petit quelque chose en reconnaissance de l'effort suisse", souffle Jean-Paul Kneib.
L'autre grand moment très attendu de cette conférence ministérielle sera la présentation de la nouvelle volée d'astronautes: une annonce prévue mercredi après-midi. Et dans les coulisses, une rumeur qui fait rêver le chef de la division des affaires spatiales de la Confédération, Renato Krpoun. Peut-être une Suissesse comme astronaute! "Evidemment, ce serait très chouette que ce soit une Suissesse. Déjà, ce serait très bien que ce soit un Suisse ou une Suissesse, parce qu'il est vrai que la dernière sélection, c'était Claude Nicollier en 1978", souligne-t-il. "Donc ça fait longtemps! Ce serait le bon moment de nouveau avoir un astronaute en Suisse".
Pour relativiser un peu, il faut noter que l'ESA a reçu environ 23'000 candidatures: entre quatre et six personnes ont été choisies, au terme d'un long processus de sélection comprenant tests médicaux, psychologiques et entretiens.
>> Lire : Envie de partir dans l'espace? L'Europe recrute ses futurs astronautes
Si une Suissesse ou un Suisse était retenu, elle ou il pourrait faire partie des personnes appelées à voler en orbite, dans la Station spatiale internationale (ISS) dans un premier temps – les quelques places pour les futures missions lunaires seront réservées à la génération précédente déjà rodée aux séjours en orbite basse.
Pour les nouvelles personnes choisies, les entraînements commenceront en avril 2023 au Centre européen des astronautes à Cologne, en Allemagne.
Sujet radio: Alexandra Richard et Silvio Dolzan
Article web: Stéphanie Jaquet et l'afp
Rattraper le retard européen
"Nous devons accélérer la commercialisation de l'espace" pour rattraper le retard européen sur les investissements privés, exhorte Josef Aschbacher, directeur général de l'ESA, insistant sur les retombées économiques massives de ces budgets.
Ces investissements, auxquels chaque Etat abonde à sa guise, concernent notamment l'observation de la Terre, qui permet de mesurer l'impact du réchauffement climatique (3 milliards d'euros demandés), le transport spatial, notamment pour le lanceur Ariane 6 (3,3 milliards) ou encore l'exploration humaine et robotique de l'espace (3 milliards).
Presque toutes les lignes budgétaires demandées par l'ESA sont en nette progression, à l'exception des contributions demandées pour les programmes scientifiques (3 milliards d'euros) qui ne font que s'ajuster à l'inflation.
Sur la table également, la contribution de 750 millions d'euros de l'ESA au projet Iris de constellation de satellites de communications sécurisés de l'Union européenne, qui prévoit de son côté d'y consacrer 2,4 milliards d'euros.