Au début de cette année, le Very Large Telescope de l'Observatoire Européen Austral (le VLT de l'ESO) a été alerté après qu'une source inhabituelle de lumière visible ait été détectée par un télescope de sondage. Le VLT, ainsi que d'autres télescopes, ont été rapidement pointés vers la source: un trou noir supermassif dans une galaxie lointaine avait dévoré une étoile, expulsant les restes dans un jet.
L'attraction gravitationnelle d'un trou noir est telle que lorsqu'une étoile a le malheur de trop s'en approcher, elle est déchirée: la matière qui la compose se disloque, puis tourne très vite autour du trou noir avant qu'une partie n'y soit engloutie à jamais. Une action similaire à la façon dont la Lune tire les marées sur Terre, mais avec une force bien plus grande.
Ce phénomène, appelé "rupture par effet de marée" (TDE), s'accompagne très rarement de l'émission d'un jet lumineux de particules, furtif et voyageant à une vitesse proche de la lumière, issu de la matière de l'étoile. La dernière observation d'un évènement similaire remonte à 2012, rappellent deux études parues cette semaine dans les revues Nature et Nature Astronomy.
De nouvelles méthodes de détection se sont développées depuis, dont une puissante caméra installée sur l'observatoire Palomar en Californie. Il permet de "scanner le ciel", explique Susanna Vergani, chercheuse CNRS à l'Observatoire de Paris-PSL. Couplée à des logiciels spécifiques, cette caméra facilite la détection en temps réel par les scientifiques d'un évènement atypique et de donner l'alerte.
Le Zwicky Transient Facility (ZTF), c'est le nom du télescope, "détecte chaque nuit des dizaines de jets lumineux dans le ciel et il est capable de sélectionner les plus intéressants", poursuit l'astrophysicienne, qui a participé aux recherches.
Jet transitoire
L'un d'eux a semblé atypique: ça n'était pas une supernova ni un sursaut gamma (GRB, Gamma Ray Burst). Pour y voir plus clair, une coordination internationale d'astronomes a mobilisé vingt-et-un instruments du monde entier afin d'observer le phénomène sur une grande variété de longueurs d'ondes, des rayons X, des rayons gamma aux ondes radio.
Les scientifiques ont déterminé que le jet de lumière trouvait son origine, à une distance estimée à 8,5 milliards d'années-lumière de la Terre, autour d'un trou noir probablement tapi au centre de sa galaxie hôte. Le VLT a déterminé qu'il s'agissait de l'exemple le plus éloigné d'un tel événement à avoir jamais été observé. Comme le jet est quasiment dirigé dans notre direction, c'est également la première fois qu'il a pu être observé en lumière visible, ce qui constitue un nouveau moyen de détecter ces événements extrêmes.
Ce jet, baptisé AT2022cmc, est "d'une puissance de plus d'un milliard de milliard de fois la luminosité en rayon X de notre Soleil", détaille Susanna Vergani. Sa durée est très courte, de 30 jours seulement: "Contrairement aux jets des noyaux actifs des galaxies, qui s'étendent sur des échelles beaucoup plus grandes, le jet AT2022cmc est transitoire" et semble dû au fait que le trou noir a déchiré l'étoile (lire encadré).
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Stéphanie Jaquet et l'ats
La lumière du disque d'accrétion
Le jet observé ne vient pas de la lumière engloutie par le trou noir puisque rien ne peut sortir de ces ogres cosmiques. Mais plutôt du disque d'accrétion de matière entourant le trou noir, qui éjecte des particules à ses extrémités.
Le phénomène, encore mal compris, pourrait être causé par la vitesse de rotation du trou noir: il tournerait suffisamment vite sur lui-même pour arriver à produire un tel jet.
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