D'un côté, les pédiatres partout dans le monde nous disent de ne surtout pas mettre un enfant devant un écran avant l'âge de 2 ou 3 ans, parce que c'est mauvais pour le développement de son cerveau. D'un autre côté, la Suède met les enfants devant des écrans dès l'âge d'un an, à la crèche.
Il s'agit de l'application d'une directive du ministère suédois de l'Éducation pour former des générations d'utilisateurs du numérique en commençant très tôt. Mais pour la nouvelle ministre de l'Éducation, issue du gouvernement de droite et entrée en fonction récemment, la Suède est allée trop loin, et elle veut revenir sur cette politique qui fait débat.
"On utilise beaucoup l'iPad pour prendre des photos, les enfants aussi peuvent l'utiliser", explique le directeur d'une crèche du sud de Stockholm dans un reportage diffusé dans Tout un monde jeudi. "Le but, c'est que les enfants soient des producteurs de contenus, pas des consommateurs."
Nous, on sait quoi faire avec des écrans, mais les parents s'inquiètent parce qu'ils pensent qu'on les utilise comme à la maison, pour voir des films, des vidéos sur YouTube.
D'entrée de jeu, le responsable veut être très clair, car il sait que le sujet est sensible. "La directive, c'est d'apprendre aux enfants comment utiliser les outils numériques. Il n'y a pas de limite de temps ni de recommandations. C'est un outil comme un autre dans l'école, on ne l'utilise pas tous les jours, juste quand on en a besoin", détaille-t-il.
D'ailleurs, au moment du reportage, les enfants sont en plein atelier peinture, avec du bon vieux papiers et des couleurs qui tachent.
"Nous, on sait quoi faire avec des écrans, mais les parents s'inquiètent parce qu'ils pensent qu'on les utilise comme à la maison, pour voir des films, des vidéos sur YouTube. Ce serait de la consommation passive et ce n'est pas ce que nous voulons: ici, les enfants produisent des contenus", souligne-t-il.
Photos, montages, didactique et programmation
De 1 à 3 ans, les enfants apprennent essentiellement à prendre des photos avec la tablette. Les photos sont ensuite imprimées pour faire des collages thématiques, en atteste la décoration dans le couloir. Mais c'est chez les 3 à 5 ans que l'usage de l'écran devient plus poussé, avec par exemple des montages photo à partir d'un fond vert. "C'est une manière de montrer aux enfants qu'on ne peut pas avoir confiance dans tout ce que l'on voit, qu'il faut penser de manière critique face à une image, que tout n'est pas toujours vrai. Et on leur montre comment cela fonctionne", explique le directeur.
Connectée à un microscope, la tablette peut aussi servir à projeter sur un mur l'image d'une araignée, par exemple, pour l'observer tous ensemble.
Et puis il y a le robot de la crèche, une coccinelle programmable depuis une tablette. "On apprend aux enfants les principes de la programmation, le fait que ce n'est jamais de la faute du robot mais de l'humain qui prend de bonnes ou de mauvaises décisions." Réfléchir, se corriger, coopérer sont autant de compétences développées par ces exercices de programmation.
Entre confiance et critiques
Alexander, papa de deux enfants en bas âge, fait confiance aux institutions. "Peut-être que si on les introduit jeunes aux écrans, ils seront moins fascinés - parce que les enfants veulent toujours ce qu'ils ne peuvent pas avoir. Après, je pense que le plus important, c'est qu'ils bougent et qu'ils explorent", estime-t-il.
Et c'est le cas: les crèches emmènent les enfants en forêt ou dans des parcs en moyenne deux heures par jour, quelles que soient les températures.
Un jour, je suis allée chercher ma fille à la crèche et elle était assise devant une tablette avec deux autres enfants, à regarder un programme télévisé stupide. Ca m'a beaucoup énervée.
Mais Nina, mère d'Emilia, quatre ans, trouve qu'en général les Suédois et Suédoises ont l'écran un peu facile.
"Emilia n'a pas eu le droit aux écrans jusqu'à l'âge de deux ans et on a eu beaucoup de mal à le soutenir, parce que la plupart des parents dans notre entourage utilisent les écrans depuis bien plus jeune, même à la crèche", raconte-t-elle. "Un jour je suis allée la chercher et elle était assise devant une tablette avec deux autres enfants, à regarder un programme télévisé stupide. Ca m'a beaucoup énervée, je leur ai dit: 'mon enfant n'a pas le droit de regarder les écrans à la maison'. Ils m'ont répondu que c'était impossible de séparer ceux qui ont le droit de ceux qui n'ont pas le droit et que c'était une solution utilisée en cas extrême, s'ils ont trop d'enfants à gérer ou que certains se battent."
Effort de médiation à fournir
Il n'est pas rare de voir dans la rue un enfant dans sa poussette, les yeux rivés sur un smartphone. Annette Sundkvist, chercheuse à l'Université de Linköping, étudie les interactions des tout petits avec les écrans et le principal problème, selon elle, c'est que les adultes ne font pas les efforts nécessaires de médiation.
Ce qui compte, c'est qu'il y ait un adulte pour expliquer à l'enfant ce qu'il se passe à l'écran. Mais en général, quand on regarde notre téléphone, on le fait en silence.
"L'écran dans une crèche, c'est plus ou moins bien, selon l'éducateur qui l'utilise. Ce qui compte, c'est qu'il y ait un adulte pour expliquer à l'enfant ce qu'il se passe à l'écran. Mais en général, quand on regarde notre téléphone, on le fait en silence. Or, pour faire comprendre à l'enfant l'intérêt de l'usage d'un écran, on devrait le faire ensemble", souligne Annette Sundkvist.
Des recherches sont en cours sur cette première génération d'enfants usagers des écrans dès la crèche. Ce qui est sûr, c'est que plus un enfant regarde passivement des images en mouvement sur un écran, plus il a des difficultés dans l'apprentissage du langage, de la lecture ou de l'écriture.
Carlotta Morteo/kkub