Solange Ghernaouti: "Plus nous serons connectés, plus nous serons vulnérables"
Elle dit n'être sur aucun réseau social, n'avoir aucune application sur son smartphone et ne faire quasiment aucun achat en ligne. Solange Ghernaouti ne vit pas connectée en permanence. A l'entendre dresser un portrait sombre du numérique, on comprend mieux cette forme de sobriété.
L'universitaire, née en Algérie en 1958, pense que l'informatisation croissante n'a pas forcément rendu l'humanité plus heureuse. Pire, elle dénonce une "fuite en avant technologique" et une "perte de souveraineté individuelle, mais aussi collective, au niveau des gouvernements". L'interconnexion de tous les systèmes a rendu la société vulnérable – on pense par exemple aux infrastructures de santé ou énergétiques, qui peuvent être mises hors service après une panne.
Hyperconnexion dangereuse
Les utilisateurs sont, eux, considérés comme des "sources d'extraction de données". Selon elle, la vie est dictée par des algorithmes "totalement obscurs, qui appartiennent à des entreprises hégémoniques qu'on ne contrôle pas".
Plus nous serons connectés, plus nous serons vulnérables. Plus il y aura des flots de données, plus ils pourront attirer la convoitise de certains
"Quand tous nos instants de la vie sont conditionnés par un usage d'une technologie informatique, qui dépend aussi de fournisseurs particuliers, cet état de dépendance induit des risques. Je pense que, pour l'instant, nous les avons assez sous-estimés", déclare Solange Ghernaouti. Elle prend ainsi l'exemple de cyberattaques synchronisées contre les PME, qui pourraient abattre l'économie suisse.
La chercheuse mentionne également les dégâts environnementaux dus à l'informatique. Là aussi, la liste est longue, avec des appareils fonctionnant avec une électricité issue de sources non renouvelables et des composants dont la production et la distribution est tout sauf écologique.
Une fiction pour alerter contre une réalité risquée
Cette immense fragilité des sociétés humaines 2.0, Solange Ghernaouti l'illustre dans le roman "Off" (Slatkine), coécrit avec Philippe Monnin, l'ancien directeur des rédactions du Monde informatique, et disponible en librairie dès le 20 janvier.
Cette fiction catastrophe met en scène des Etats-Unis au bord de l'effondrement, suite à l'arrêt soudain de la distribution d'électricité causé par des attaques informatiques. Le gouvernement, qui n'avait pas de plan B, est sidéré, la population se retrouve en mode survie.
Quand on n'a pas d'électricité, on n'a pas d'informatique. Et quand on n'a pas d'informatique, on n'a pas d'électricité
Le scénario du livre est apocalyptique. Mais c'est une manière de mettre en garde contre les conséquences bien réelles de la dépendance à l'informatique, "car tout ce qui a été mis en scène existe déjà", affirme l'auteure d'une vingtaine d'ouvrages sur le cyberunivers. Des exemples locaux existent, affirme Solange Ghernaouti. Ainsi, des centrales nucléaires, aux Etats-Unis et en Ukraine, ont été ciblées par des cyberattaques, depuis plusieurs années déjà.
Changer de manière de faire
Actuellement, la réaction aux problèmes se fait, à ses yeux, a posteriori. Elle souhaite plus de proactivité au niveau politique. "L'idée serait de pouvoir anticiper et prévenir, et de ne pas se mettre en situation de risque", soutient-elle.
Solange Ghernaouti plaide pour une reprise en main de nos données et la modération dans nos activités digitales. Elle exhorte à "réinstaurer de la maîtrise et du contrôle humain", pour en finir avec la "délégation de tous nos pouvoirs vers des machines et des algorithmes". Il faut donc, selon ses mots, "penser en termes de retenue numérique dans l'interconnectivité et garder les savoir-faire en dehors de l'informatique".
Propos recueillis par David Berger
Adaptation web: Antoine Michel
Les cyberattaques, crainte numéro une des entreprises suisses, selon Allianz
Les risques les plus importants identifiés par les entreprises suisses sont les cyberattaques, les effets de la crise énergétique et les interruptions d'activités, selon le baromètre 2023 de l'assureur Allianz.
Les cyberincidents, comme une panne informatique, une attaque au rançongiciel ou une atteinte à la protection des données, préoccupent plus de la moitié des entreprises suisses interrogées, souligne mardi le rapport d'Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS).
Les risques énergétiques ont, eux, grimpé à la seconde place des préoccupations (48%), dans un contexte marqué par l'envolée des prix de l'électricité et du gaz ainsi que du spectre de pénurie. En troisième position se placent les interruptions d'exploitation (41%) qui ont longtemps occupé la tête du classement.
Vulnérabilités sous-estimées
"Les sinistres en cyberassurance se maintiennent à un niveau élevé", a constaté Shanil Williams, membre du conseil d'administration d'AGCS. Si les grandes entreprises se sont habituées à être prises pour cible et ont agi en conséquence, "de plus en plus de petites et moyennes entreprises sont également touchées". Elles ont tendance à sous-estimer leur vulnérabilité et devraient investir en permanence dans le renforcement et leur cyberdéfense, selon le responsable.
ats