A 5000 kilomètres sous nos pieds, au cœur même de notre planète se trouve une "graine": c'est la géophysicienne danoise Inge Lehmann qui l'a théorisée en 1936 et qui l'a baptisée ainsi. Avant sa découverte, on croyait que le centre de la Terre était uniquement liquide.
Le noyau – cette graine, une sphère brûlante solide de la taille de Pluton, presque aussi chaude que la surface du Soleil – est composé essentiellement d'un alliage de fer et de nickel, ainsi que d'éléments plus légers. Selon une étude parue lundi dans Nature Geoscience, il a cessé de tourner plus vite que la surface et pourrait même avoir ralenti.
Cette "planète dans la planète" est libre de ses mouvements car elle flotte dans l'enveloppe liquide du noyau externe: elle peut donc tourner séparément des parties extérieures de la planète, faire des pirouettes et changer de vitesse. Le centre de notre Terre produit aussi un champ magnétique protecteur (lire encadré).
Le mécanisme exact de cette rotation reste sujet à débats. Car le peu qu'on en connaît repose sur l'analyse fine des ondes sismiques, provoquées par des tremblements de terre ou des essais atomiques, quand elles passent par le centre de la notre Terre.
Cycles d'environ 70 ans
En analysant les données d'ondes sismiques sur les 60 dernières années, Xiaodong Song et Yi Yang, de l'Université de Pékin, ont conclu que la rotation du noyau a ralenti, jusqu'à se caler sur celle de la surface vers 2009, avant de ralentir encore depuis.
Le noyau central tournerait ainsi alternativement plus rapidement puis plus lentement que le reste de la planète, dans un mouvement équivalent à celui d'un balancier. "Un cycle complet – avec une rotation plus rapide puis plus lente – de cette balançoire est d'environ 70 ans", selon eux.
La graine aurait accéléré sa rotation par rapport au reste de la Terre au début des années 1970. Le prochain cycle aura lieu au milieu des années 2040, selon les chercheurs chinois pour qui cette rotation serait plus ou moins calée sur les changements de longueur du jour; d'infimes variations dans le temps exact dont la Terre a besoin pour effectuer une rotation sur son axe.
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A ce jour, il y a peu d'indications d'une influence de cette rotation sur ce qui se passe à la surface terrestre. Mais les deux auteurs sont convaincus qu'il existe des liens physiques entre toutes les couches composant la Terre: "Nous espérons que notre recherche motive des scientifiques à concevoir et tester des modèles traitant la Terre comme un système dynamique intégré", expliquent-ils.
Etude très prudente
Des personnes expertes et indépendantes ont accueilli cette recherche avec intérêt mais aussi une certaine réserve: "Il s'agit d'une étude très prudente effectuée par d'excellents scientifiques qui ont utilisé beaucoup de données", déclare John Vidale, sismologue à l'Université de Californie du Sud. Mais, selon lui, "aucun des modèles existants n'explique vraiment bien toutes les données disponibles".
John Vidale a publié l'an dernier une étude suggérant que le noyau interne oscille bien plus rapidement: son changement de vitesse de rotation intervenant tous les six ans, selon les données sismiques de deux explosions nucléaires remontant à la fin des années 1960 et au début des années 1970.
Un moment de bascule proche de celui indiqué par l'étude des chercheurs chinois, "une coïncidence", selon le sismologue américain.
Autre théorie, dotée d'une base solide selon John Vidale: le noyau interne n'a bougé de façon significative qu'entre 2001 et 2013, avant de se stabiliser depuis.
Des "poupées russes"?
Pour Hrvoje Tkalcic, géophysicien à l'Université nationale australienne, le cycle du noyau interne est d'environ 20 à 30 ans, plutôt que les 70 ans proposés par l'étude dans Nature Geoscience.
"Ces modèles mathématiques sont probablement tous incorrects" parce que même s'ils expliquent les données observées, ces dernières peuvent répondre à d'autres modèles encore à imaginer, dit-il. La communauté géophysique a donc, selon lui, toutes les raisons d'être "divisée sur cette découverte, et le sujet de rester controversé".
Il compare les sismologues à des médecins "qui étudient les organes internes d'un patient avec un équipement imparfait ou limité". Comme si l'on essayait de comprendre le fonctionnement du foie uniquement à l'aide d'une échographie.
Sans l'équivalent d'un scanner, "notre représentation de l'intérieur de la Terre reste floue", dit-il, s'attendant à d'autres surprises dans ce domaine. Comme la théorie selon laquelle le noyau interne recèlerait en son sein une sphère de fer encore plus petite, sur le modèle des poupées russes.
Stéphanie Jaquet et l'ats
Le champ magnétique terrestre est ses ondes
Le champ magnétique terrestre est comme une énorme bulle nous protégeant de l'assaut du rayonnement cosmique et des particules chargées transportées par des vents puissants qui échappent à l'attraction gravitationnelle du Soleil et traversent le Système solaire.
Sans ce champ magnétique, la vie telle que nous la connaissons n'existerait pas; il s'étend loin dans l'espace, mais est généré profondément à l'intérieur de notre planète par du fer liquide tourbillonnant dans le noyau externe qui agit comme une dynamo géante.
En utilisant des données de la mission Swarm de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), des scientifiques ont découvert un tout nouveau type d'ondes magnétiques qui balaient la partie la plus éloignée du noyau externe de la Terre tous les sept ans. Cette vague se propage vers l'Ouest de 1500 kilomètres par an.
En poursuivant cette recherche, l'ESA espère mieux comprendre la géodynamo, la structure du noyau externe et l'histoire thermique de notre Terre.