En 2014, le cinéaste Christopher Nolan imaginait une planète éloignée entièrement recouverte d'eau. A l'horizon, point de montagnes sur cette terre-là, mais de gigantesques vagues qui manquent de peu d'engloutir les astronautes du film Interstellar.
Dans notre Système solaire, différents mondes abritent bel et bien des océans dans leur sous-sol. C'est le cas d'Europe, Callisto et Ganymède, des lunes de Jupiter, et aussi d'Encelade et Titan, orbitant autour de Saturne. Il y a encore Triton et sa surface composée d'azote gelé, l'un des satellites de Neptune, ainsi que les planètes naines Cérès et Pluton ou encore Ariel, Miranda, Oberon, Titania et Umbriel, quelques-unes des lunes d'Uranus. Que d'océans à explorer pour ses vacances spatiales!
Des océans souterrains
La recherche de la vie dans l'Univers est une quête longue et difficile. Peut-être qu'elle n'a pas fait qu'une tentative réussie sur Terre et qu'elle s'est essayée ailleurs.
Parmi les ingrédients nécessaires pour la recette de la vie telle que nous la connaissons, il faut en effet de l'eau, ce dont notre planète regorge: "On a pensé pendant très longtemps que la Terre était la seule planète dans le Système solaire à avoir un océan, jusqu'au moment où on a commencé à supposer que Europe en avait un souterrain", explique Nathalie Cabrol, astrobiologiste et directrice du Centre de Recherche Carl Sagan (CSC) de l'Institut Seti.
Et de souligner que ce genre d'environnement a surgi un peu partout dès que les scientifiques ont entrepris des recherches: "Aujourd'hui, on pense qu'il y a une douzaine de mondes océans confirmés dans le Système solaire". Et beaucoup d'autres restent encore à attester, selon l'autrice de "A l'aube de nouveaux horizons", un ouvrage sur la recherche de la vie dans l'Univers.
Europe est à peu près de la taille de notre Lune, alors qu'Encelade est beaucoup moins grande: "Ce qui la rend encore plus fabuleuse, parce qu'on n'avait pas du tout de notion qu'un monde aussi petit puisse être aussi dynamique géologiquement". Ces terres sont recouvertes par une couche de glace épaisse pouvant mesurer plusieurs dizaines de kilomètres, avec à l'intérieur un océan salé: les scientifiques l'ont déterminé grâce au mouvement de ces corps célestes.
De puissants geysers
L'océan d'Encelade est encore plus visible grâce à ses geysers qui envoient de l'eau dans l'espace: "Ces petites lunes sont tellement proches de leur planète parente qu'elles sont soumises à des frictions et des marées gravitationnelles si fortes que la croûte de glace de leur surface est fracturée".
Ainsi, lorsque dans leur orbite elles s'éloignent de leur planète, ces crevasses s'ouvrent: "A ce moment-là, l'eau sous pression est éjectée dans l'espace. Quand elles se rapprochent, les fractures se referment et les geysers sont un petit peu moins puissants", explique Nathalie Cabrol au micro de CQFD.
C'est la mission Cassini qui a découvert les geysers d'Encelade: l'orbite du vaisseau a même été changée, afin qu'il passe dans leur panache. Son spectromètre a pu y mesurer ce qui s'y passe: "On a découvert des molécules organiques complexes. On sait aujourd'hui que l'océan en question est salé. Il y a même des déséquilibres qui sont intéressants dans sa chimie: ils pourraient être associés à un écosystème sous-marin".
Un indice de vie! "Mais cela ne veut pas dire que c'est nécessairement ça", précise immédiatement l'astrobiologiste, "mais c'est une hypothèse possible".
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Quant à Europe, plus large, elle possède une configuration similaire, "avec un océan qui contient plus d'eau que tous les océans terrestres". Nathalie Cabrol décrit ce qu'elle nomme une tectonique des glaces: "La croûte est fracturée, elle bouge beaucoup: ses plaques s'emboîtent les unes dans les autres comme un puzzle. Donc quand Europe s'éloigne de Jupiter et que les fractures s'ouvrent, il y a des dépôts de l'océan qui est en dessous qui remontent à la surface".
Europe est à ce titre comparable à Encelade, sauf qu'ici, pas besoin d'essayer d'atteindre ces eaux profondes: "On peut se mettre sur le bord de ces fractures et attendre que l'océan vienne à nous".
Alors à quand des poissons échoués sur ces rives de la banlieue jupitérienne, ou un type de vie microbienne? "Sur Encelade c'est très peu probable. Et, il n'y a pas si longtemps, j'aurais souri si vous m'aviez dit cela pour Europe, mais des collègues semblent penser qu'il y a suffisamment d'oxygène dans ses océans pour qu'il y ait des formes de vie plus complexes. Donc je ne sais pas si on verra des pieuvres ou des poissons, mais certains sont convaincus qu'il y a plus que des bactéries".
JUICE et Europa Clipper
Pas encore de pêche aux poissons prévue, mais une récolte d'informations aura très prochainement lieu grâce à deux missions spatiales: JUICE de l'ESA – un acronyme pour Jupiter icy moons explorer, l'explorateur des lunes glacées de Jupiter – et Europa Clipper de la NASA.
La sonde JUICE effectuera des observations détaillées de la planète gazeuse géante et de ses trois grandes lunes océaniques, Ganymède, Callisto et Europe. A noter que Jupiter voit 80 lunes orbiter autour d'elle. Départ prévu en avril 2023 depuis Kourou, en Guyane, avec une arrivée après sept ans de voyage, juste après la mission américaine lancée en octobre 2024: "JUICE fera un tour du côté de Jupiter et d'Europe et s'intéressera surtout à Ganymède pour voir ce qui se passe sous sa surface", précise Nathalie Cabrol.
"Elle travaillera de concert avec Europa Clipper qui part un petit peu plus tard, mais arrivera avant dans le système de Jupiter en raison des trajectoires choisies". Ces ceux missions donneront ainsi une vision de l'habitabilité dans le système de Jupiter.
Une pluie de méthane sur Titan
Il reste encore une lune mystérieuse et passionnante à explorer... Titan! Le plus gros satellite de Saturne a une atmosphère épaisse, voit du méthane liquide pleuvoir à sa surface et possède des lacs d'hydrocarbures.
Un chaudron très particulier pour y cuisiner une vie inédite: "La biochimie du méthane ça demande un peu de réflexion pour les Terriens que nous sommes! Et il n'y a pas seulement de grandes mers de méthane et d'éthane, des rivières et des torrents, avec des galets de glace d'eau qui sont enroulés dans ces torrents".
Il existe aussi un océan d'eau salée sous la surface de Titan: "Un monde océan multiplié par deux, avec en surface le méthane et en dessous l'eau, une biochimie que nous connaissons mieux. C'est quelque chose d'absolument fascinant", s'enthousiasme la scientifique.
Pour découvrir ces fameuses traces de vie, la NASA projette d'envoyer la mission Dragonfly – son nom signifie libellule en anglais – en 2027 qui atteindra Titan en 2034 après 1,29 milliard de kilomètres: "Dragonfly est un énorme drone qui fait à peu près la taille du rover Perseverance".
Soit un énorme hélicoptère à huit retors: "On a beaucoup d'espoirs que cette mission sera formidable: cette libellule nous permet de faire des bonds d'un endroit à l'autre. Elle volettera pour chercher des biosignatures, les traces de la vie. Elle essayera aussi de comprendre la chimie prébiotique, car Titan, c'est véritablement la Terre au frigidaire: elle a beaucoup de similitudes avec notre planète au début de son histoire".
Sujet radio: Cécile Guérin
Article web: Stéphanie Jaquet