Des galaxies si éloignées que nous les observons telles qu'elles étaient lorsque l'Univers avait entre 0,6 et 5 milliards d'années: c'est ce qu'a permis de voir le télescope spatial James Webb (JWST). Un exploit car aujourd'hui, comme notre Univers est âgé de 13,7 milliards d'années, les observations de cette étude remontent à juste 680 millions d'années après le Big Bang.
L'amas de galaxies SMACS0723 – en photo en tête d'article – a particulièrement intéressé les scientifiques qui étudient les instants les plus proches du commencement de l'Univers, dont la docteure Miroslava Dessauges, astrophysicienne à l'Observatoire de Genève: "Les galaxies analysées sont 'lentillées', c'est-à-dire qu'elles sont derrière un amas de galaxies qui agit comme une loupe: cela s'appelle une lentille gravitationnelle. Elles sont non seulement plus lumineuses qu'en réalité, mais on les voit avec plus de détails car on gagne en résolution angulaire", précise-t-elle à RTSinfo.
La formation vue à petite échelle
L'étude publiée en janvier dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society s'intéresse à la formation des étoiles aux plus petites échelles: "Jusqu'à présent, il y avait certains amas d'étoiles dans les galaxies qu'on ne pouvait pas voir, le télescope Hubble n'étant pas capable de les distinguer. Mais grâce au JWST, nous avons eu une observation plus fine: c'est une révolution incroyable dans la qualité des images", s'enthousiasme Miroslava Dessauges.
"Grâce à la combinaison des performances de ce nouveau télescope et à l'effet loupe des amas galactiques, nous allons pouvoir mieux comprendre la genèse des étoiles, car nous observons les régions de formations stellaires individuelles dans les galaxies au tout début de l'Univers." Les scientifiques remontent ainsi dans le temps et se rapprochent des millions d'années qui ont suivi le Big Bang.
L'équipe a examiné dix-huit galaxies à des distances variées: en astronomie, on parle de redshifts différents (lire encadré). "Le télescope spatial Hubble avait déjà mis en évidence un pic de formation stellaire à un redshift de 1 et 2 [soit entre 5,9 et 3,3 milliards d'années, ndlr]. JWST nous donne encore des précisions sur cette zone d'intérêt: les régions de formation stellaire et les amas globulaires se distinguent plus clairement les uns des autres."
L'astrophysicienne se réjouit de pouvoir observer la première phase de formation des étoiles dans des galaxies lointaines, soit de très petites structures, les amas globulaires: "On voit de gros grumeaux jusqu'à 7 milliards d'années, soit la moitié de l'âge de l'Univers. Il sera intéressant de déterminer si ces régions de formation stellaire changeaient de propriétés au cours du temps."
La galaxie la plus vieille analysée dans la publication scientifique est si éloignée que les astronomes regardent ce à quoi elle ressemblait il y a 13 milliards d'années, quand l'Univers n'avait alors que 680 millions d'années.
Des gazoducs de gaz moléculaire
Les propriétés des galaxies aussi changent en fonction du temps: "Plus elles sont jeunes, plus elles sont riches en gaz moléculaire. Plus il y a de gaz moléculaire, plus il y a de turbulences: par conséquent, les galaxies sont plus instables et se fragmentent. Le gaz se condense et, ainsi, les étoiles se créent, s'allument", raconte Miroslava Dessauges. "Une surdensité dans les galaxies aide à créer plus d'étoiles. Mais comment ces amas particulièrement denses et massifs se sont-ils formés? On ne le comprend pas pour l'instant."
Si proche des débuts de l'Univers, les scientifiques ne s'attendaient pas à voir autant d'amas par galaxie car, jusqu'à présent, les observations montraient que le nombre de galaxies en possédant diminuaient avec de grands décalages vers le rouge, le redshift: "Mais là, c'est systématique", souligne l'astrophysicienne.
"Est-ce qu'après le Big Bang tout est allé très vite? Nos simulations numériques montrent qu'il n'y a pas de grosses galaxies qui naissent d'un coup. Il y a comme des gazoducs: des filaments qui amènent le gaz à un endroit et cela finit par former une galaxie."
Tempêtes galactiques
Les équipes scientifiques vont se pencher sur la façon dont les étoiles se sont créées d'une galaxie à l'autre avec le temps: "Pour former des étoiles, il faut beaucoup de gaz moléculaire; et à ces grands redshifts, ces gazoducs étaient très efficaces. Les protogalaxies ont sans doute été perturbées par cette arrivée massive de gaz, comme s'il y avait eu une tempête."
Et avec de grandes masses de gaz qui se sont contractées sont nées une flambée d'astres: "On voit enfin les amas d'étoiles à moins d'un milliard d'années après le Big Bang: ils sont plus massifs et plus denses que ceux qu'on voit de nos jours."
Stéphanie Jaquet
Qu'est-ce qu'un redshift?
En résumé, le redshift – ou décalage vers le rouge en français – est une notion en astronomie et astrophysique qui permet de définir quel âge avait l'objet observé au moment où sa lumière nous parvient, en tenant notamment compte de la vitesse d'expansion de l'Univers, qui est l’un des paramètres du modèle cosmologique. Il est souvent symbolisé par la lettre minuscule "z".
Plus la valeur du décalage vers le rouge est grande, plus on se rapproche du Big Bang (pour un redshift de 15 à 20). A noter que les premières galaxies ont un redshift de 13-14, c’est ce que le JWST a réussi à montrer.
L'astrophysicien et cosmologiste Edward L. Wright, de UCLA, a programmé un calculateur en ligne pour définir un redshift (z) en milliards d'années (Gyr). Sur la gauche de la page, entrer la valeur du redshift sous "z" (troisième boîte depuis le haut) puis cliquer sur "General". Lire la valeur à droite, sous le deuxième résultat: "The age at reshift z was XXX Gyr".
Par exemple, un redshift z=3 correspond à 2,171 milliards d'années. Pour comparaison, nous, nous sommes actuellement à 13,7 milliards d'années du Big Bang: plus précisément , "It is now 13.721 Gyr since the Big Bang", annonce la page du scientifique.