Des scientifiques suisses stockent des selles pour sauvegarder le microbiote humain
Le laboratoire de microbiologie de Pascale Vonaesch, à l'Université de Lausanne, a reçu un paquet spécial du Laos. A l'intérieur d'une boîte contenant de la glace pour maintenir la température à -80 degrés se trouvent des échantillons de selles provenant de donneurs sains.
Le projet en phase pilote, nommé "Microbiota Vault" (ou coffre-fort du microbiote), qu'elle mène avec trois autres scientifiques, dont deux en Suisse, vise à conserver la diversité du microbiote de l'humanité à long terme. "Le microbiote est quelque chose de très divers et spécifique à chaque région. L'idée est d'avoir des échantillons de partout dans le monde pour couvrir la diversité entière du microbiote. Et le préserver pour les générations futures."
"Ce ne sont pas seulement les animaux et les plantes qui sont menacés d'extinction. Il y a aussi les bactéries", lance mardi dans le 19h30 de la RTS Pascale Vonaesch, professeur assistante au Département de microbiologie fondamentale à l'Université de Lausanne (UNIL).
Deux kilos de bactéries
Le microbiote intestinal est un nouvel organe qu'on appelle désormais notre deuxième cerveau. Il comprend plus de 100'000 milliards de bactéries, pesant en moyenne 2 kilos, mais aussi des champignons et des virus non pathogènes. On commence à peine à réaliser l'importance de ces micro-organismes sur notre santé qu'on assiste déjà à la disparition de différentes espèces.
La cause principale de cet appauvrissement vient du manque de diversité des aliments qui sont ingurgités, mais aussi de la consommation d'antibiotiques. "Il y a encore d'autres facteurs, comme le fait que l'on est de moins en moins exposés aux bactéries de l'environnement. On n'est presque plus en contact avec la terre et avec les animaux. On est vraiment dans une bulle stérile, qui fait que notre microbiote s'appauvrit de plus en plus", explique la chercheuse de l'UNIL.
Un coffre-fort dans les Alpes suisses
Les microbiotes des populations vivant loin du monde industrialisé sont en quelque sorte les derniers survivants de leur espèce. Et c'est justement pour cela que les chercheurs récoltent et congèlent des échantillons avant qu'il ne soit trop tard.
En Ethiopie, par exemple, les selles proviennent de communautés pastoralistes, soit des nomades vivant étroitement avec des animaux. Ici, des dromadaires, dont le lait représente l'une des principales sources d'alimentation.
Mais dans ces populations aussi, les habitudes commencent à changer, avec la consommation d'aliments achetés au marché et même avec la prise d'antibiotiques. Il faut donc faire vite.
Congeler rapidement et pour longtemps
Outre l'Ethiopie et le Laos, le projet, dans sa phase pilote, récolte des échantillons de Puerto Rico et du Pérou. A terme, un coffre-fort pourrait réunir les excréments du monde entier, comme une sorte de banque mondiale du microbiote. Reste encore à trouver le bunker militaire des Alpes suisses qui l'hébergera.
En attendant, les échantillons sont envoyés à l'Université de Zurich (UZH), sous la responsabilité d'Adrian Egli, spécialisé dans l'analyse et le stockage de ces échantillons: "Les bactéries se divisent très rapidement. Certaines se divisent toutes les 20 minutes. Il est donc important que nous ayons des conditions optimales pour les congeler rapidement. C'est pour cela que nous élaborons des protocoles à appliquer par tous les scientifiques impliqués dans de telles études", précise le directeur de l'Institut de microbiologie médicale de l'UZH.
Pour s'y retrouver dans ce trésor de bactéries, le bioinformaticien de l'EPFZ Nicholas Bokulich, troisième chercheur de l'équipe suisse à piloter la phase pilote, a développé un système d'archivage, conçu pour cataloguer chaque échantillon.
Pour faire des médicaments
Mais à quoi pourra bien servir ce patrimoine mondial? "Si un jour, on réalise que la disparition d'une bactérie est impliquée dans une maladie, on pourrait par exemple l'extraire de ces échantillons, la cultiver afin d'en faire un médicament", espère Pascale Vonaesch.
Mais ces échantillons n'appartiennent pas aux chercheurs, ni à la Suisse. "La pharma ne pourra pas venir se servir. Ce n'est pas un magasin self-service, mais ce sont des échantillons qui sont conservés. Si l'on veut faire quelque chose avec eux, il faudra demander l'autorisation aux chercheurs des pays qui nous les ont envoyés", souligne la microbiologiste.
Le financement d'un million de franc couvre la phase pilote du projet commencé en Suisse. A terme, une quarantaine de scientifiques du monde entier pourraient collaborer pour cette arche de Noé du microbiote.
Feriel Mestiri