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D'impossibles galaxies lointaines dans l'œil du télescope James Webb

De potentielles galaxies découvertes par le télescope James Webb remettent en cause les théories d'expansion de l'univers
De potentielles galaxies découvertes par le télescope James Webb remettent en cause les théories d'expansion de l'univers / 19h30 / 1 min. / le 1 mars 2023
Le télescope spatial James Webb a observé dans les âges reculés de l'Univers une population de galaxies très massives semblant s'être formées à un rythme beaucoup plus rapide que prédit par les astronomes, selon une étude publiée mercredi. Et c'est intrigant.

Ce scénario déroutant, que des analyses plus poussées devront confirmer, s'est produit entre 500 et 700 millions d'années seulement après le Big bang survenu il y a 13,8 milliards d'années. Soit dans l'Univers très jeune, donc très lointain.

Ce ne sont que quelques petits points rougeoyants... l'une des scientifiques impliquée dans la recherche, la professeure assistante Erica Nelson, de l'Université du Colorado, les surnomme des UFOs – l'acronyme utilisé par les anglophones pour notre OVNI – en détournant le sens premier: "Ultra-red Flattened Objects", soit des "objets aplatis ultrarouges", parce que ces galaxies lointaines ressemblent à des soucoupes volantes. Et ces taches mettent en émoi les astronomes.

Le télescope spatial James Webb (JWST), opérationnel depuis juillet 2022, a pu explorer cette région méconnue et lointaine de l'Univers grâce à son instrument NIRCam et sa puissante vision dans l'infrarouge, une longueur d'ondes invisible pour l'œil humain et dont l'observation permet de remonter loin dans le passé.

Il y a déniché ces six galaxies, bien plus massives que prévu dans cet Univers primordial, rapporte une étude publiée dans Nature. Deux d'entre elles avaient déjà été pointées par le télescope Hubble, mais étaient passées inaperçues tant la lumière émise était faible.

>> Lire aussi : Hubble est remonté à 500 millions d'années après le Big Bang

Selon l'interprétation des nouvelles images du JWST, ces six galaxies – appelées "candidates" à ce stade car la découverte devra être confirmée par des mesures en spectroscopie – contiennent beaucoup plus d'étoiles que les valeurs attendues. L'une d'entre elles en contiendrait jusqu'à 100 milliards: "J'en ai presque recraché mon café", écrit Ivo Labbe, premier auteur de cette recherche.

L'impossible découvert

Parmi les six galaxies massives candidates, vues 540 à 770 millions d'années après le Big Bang, celle-ci pourrait contenir autant d'étoiles que notre Voie lactée actuelle, mais en étant 30 fois plus compacte. [Handout via Reuters - I. Labbe (Swinburne University of Technology)/NASA, ESA, CSA]
Parmi les six galaxies massives candidates, vues 540 à 770 millions d'années après le Big Bang, celle-ci pourrait contenir autant d'étoiles que notre Voie lactée actuelle, mais en étant 30 fois plus compacte. [Handout via Reuters - I. Labbe (Swinburne University of Technology)/NASA, ESA, CSA]

"Nous avons découvert l'impossible. Impossiblement tôt, des galaxies impossiblement massives. C'est à peu près la taille de la Voie lactée, ce qui est fou", s'enthousiasme-t-il.

Il a fallu à notre galaxie 13,8 milliards d'années pour former cette quantité d'étoiles, quand cette jeune galaxie en aurait fait autant en à peine 700 millions d'années "soit vingt fois plus vite", développe ce chercheur de l'Université de technologie de Swinburne en Australie: "L'Univers n'avait que 5% de son âge actuel".

D'aussi lointaines galaxies de cette taille n'ont pas leur place dans le modèle cosmologique actuel qui tente de comprendre la structuration de l'Univers: "La théorie nous dit qu'à ces âges reculés, les galaxies sont toutes petites et croissent très lentement. On pouvait typiquement s'attendre à ce qu'elles soient 10 à 100 fois plus petites en termes de quantité d'étoiles", développe l'astrophysicien.

"Le modèle se fissure"

En trouver d'aussi grosses, "c'est comme si on sautait d'une falaise" à ses yeux.

Qu'est-ce qui ne tournerait pas rond? La suspecte pourrait bien être la matière noire, mystérieuse matière invisible qui peuple l'Univers. Si les scientifiques ne peuvent pas la détecter, ils connaissent assez bien son comportement et savent qu'elle joue un rôle clé dans la formation des galaxies.

"La matière noire doit 's'emboîter' pour former un halo qui attire vers elle le gaz dont naîtront les étoiles", décrypte Ivo Labbe. Or, ce processus de "coagulation" est censé prendre beaucoup de temps (lire encardré).

Il semblerait donc que "les choses se sont particulièrement accélérées" dans cet Univers primordial, qui aurait été "plus efficace que ce qu'on pensait" pour fabriquer des étoiles, commente David Elbaz, astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui n'a pas pris part à l'étude.

Ce qui pourrait s'expliquer par le processus d'expansion de l'Univers qui s'accélère plus vite que ce qu'on pensait, relève ce scientifique impliqué dans le programme d'observation du télescope développé par la NASA.

Le sujet agite le débat chez les cosmologistes et cette découverte est "d'autant plus excitante que c'est un indice de plus que le modèle se fissure", analyse David Elbaz.

Le télescope spatial européen Euclid, qui doit être lancé en orbite cet été pour tenter de percer les secrets de la matière noire, devrait contribuer à éclaircir le mystère, souligne-t-il.

Le Professeur Labbe cite la théorie du cygne noir, selon laquelle un événement imprévisible et improbable, s'il se réalise, a un impact considérable: "Si une seule des six galaxies candidates est vérifiée, il faudra revoir la théorie".

>> Interview de la professeure de physique théorique Camille Bonvin (UNIGE) :

La Professeure de physique théorique de l'UNIGE Camille Bonvin évoque la question de l'expansion de notre univers
La Professeure de physique théorique de l'UNIGE Camille Bonvin évoque la question de l'expansion de notre univers / 19h30 / 3 min. / le 1 mars 2023

>> Lire aussi : Nouveau revers dans la quête à la composition de la matière noire

Stéphanie Jaquet et l'ats

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Le chaînon manquant de l'astronomie?

"Aurions-nous découvert le chaînon manquant de l'astronomie?" écrit Ivo Labbe dans The Conversation. Il remarque que la formation des galaxies est une énigme depuis fort longtemps: "Lorsque nous regardons dans l'espace et dans le temps, nous voyons les 'cadavres' de galaxies matures et entièrement formées apparaître, apparemment de nulle part, environ 1,5 milliard d'années après le Big Bang".

Des "cadavres", car ces galaxies ont cessé de former des étoiles; elles sont aussi nommée "galaxies mortes". Et le professeur de souligner que l'âge stellaire de ces dernières "suggère qu'elles ont dû se former bien plus tôt dans l'Univers, mais Hubble n'a jamais été capable de repérer leurs premiers stades de vie".

Il décrit ces galaxies mortes primitives comme "des créatures vraiment étranges, contenant autant d'étoiles que la Voie lactée, mais dans une taille 30 fois plus petite". Et il propose une comparaison: "Imaginez un adulte, pesant 100 kilos, mais mesurant 6 centimètres. Nos petits points rouges sont tout aussi bizarres. Ils ressemblent à des versions bébés des mêmes galaxies, pesant également 100 kilos, pour une taille de 6 centimètres".

Trop d'étoiles, trop tôt

Ces petits point rouges semblent donc avoir trop d'étoiles trop tôt. Une énigme. Les étoiles se forment à partir d'hydrogène gazeux et Ivo Labbe rappelle que la théorie cosmologique fondamentale du Big Bang "fait des prédictions difficiles sur la quantité de gaz disponible pour former des étoiles".

Pour produire ces galaxies si rapidement, il remarque qu'"il faudrait presque que tout le gaz de l'Univers se transforme en étoiles avec une efficacité proche de 100%. Et cela est très difficile, ce qui est le terme scientifique pour dire impossible. Cette découverte pourrait transformer notre compréhension de la façon dont les premières galaxies de l'Univers se sont formées".

Selon lui, l'implication est qu'il y aurait une autre voie, plus rapide, qui produit des galaxies gigantesques très rapidement et très efficacement: "Une voie rapide pour les 1% les plus massives".