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Une étude novatrice dans son approche retrace l'origine du cheval en Amérique

Portrait du chef indien Crazy Horse, membre de la tribu Oglala Lakota. [AFP - Leemage]
La domestication du cheval chez les Amérindiens: plus tôt quʹannoncée / CQFD / 10 min. / le 31 mars 2023
Une étude combinant pour la première fois science occidentale et savoir indigène a été publiée jeudi dans la revue Science. Intégrant archéologie, recherches génétiques et tradition orale autochtone, elle retrace l'origine du cheval en Amérique du Nord.

Cette publication est le fruit d'une collaboration entre des chercheurs et chercheuses autochtones des États-Unis, des archéologues des universités de l'Oklahoma et du Nouveau-Mexique et des scientifiques du Centre d'anthropobiologie et de génomique de Toulouse (CAGT).

"On amène la science traditionnelle à la couverture (de Science, ndlr), c'est historique", s'est exclamé Ludovic Orlando, directeur du CAGT et coauteur de l'étude, après une conférence de presse à Toulouse, en compagnie de membres de la communauté lakota (Sioux, ndlr), tribu autochtone de la région des grandes plaines d'Amérique du Nord (Dakota du nord et du sud) qui ont co-dirigé l'étude.

Pour Yvette Running Horse Collin, coautrice lakota de l'étude et directrice du Global Institute for Traditional Science (GIFTS), "c'est nouveau, ce n'est pas un système scientifique qui en domine un autre", s'est-elle réjouie.

Des propos corroborés par Ludovic Orlando dans l'émission CQFD de la RTS: "C'était la philosophie de ce projet de ne pas, de manière condescendante, s'emparer d'une question sur l'histoire d'un autre peuple, mais plutôt de construire avec eux la question. Ça a quelque chose d’historique, parce que généralement et malheureusement, l’histoire de la génomique s’est construite sur le dos des peuples indigènes sans leur faire un retour vers les nations. On espère qu'on ouvre une relation beaucoup plus équitable et durable".

Arrivée plus rapide que démontrée

L'étude porte sur l'histoire du cheval en Amérique du Nord: il était généralement établi jusqu'à présent que les Amérindiens sont entrés pour la première fois en contact avec des chevaux à la fin du 17e siècle, et plus particulièrement lors de la révolte du peuple Pueblo contre le colonisateur espagnol en 1680, au cours de laquelle ils auraient mis la main sur de nombreux équidés.

Or, le travail publié dans Science vient contredire cette théorie largement acceptée, a expliqué Ludovic Orlando. A l'aide d'analyses ADN de fossiles de chevaux, il démontre que l'animal s'est propagé dans l'Ouest américain aux alentours de 1600.

"C'est une énorme contribution de la génétique de pouvoir répondre à ces questions", détaille Ludovic Orlando dans CQFD.

Concordance avec la tradition orale

Une découverte qui concorde avec certaines des traditions orales indigènes qui ont toujours contesté la vision occidentale de l'histoire du cheval en Amérique du Nord. L'archéologue américain William Taylor, collaborateur de l'étude, souligne à cet égard qu'"une vision étroite des perspectives européennes a malheureusement limité notre compréhension collective de l'intégration des chevaux dans les sociétés autochtones".

Pour autant, l'étude ne démontre pas que le cheval a toujours été présent dans les communautés indigènes, ce que prétendent certains peuples autochtones.

Le scientifique français met en avant "une absence de fossiles de chevaux" de 12'000 ans avant J-C jusque dans les années 1600, pour une raison inconnue.

Pour l'instant, les fossiles retrouvés sur le continent américain - et analysés dans l'étude - confirment que le cheval est génétiquement originaire d'Espagne ou du Portugal, "ce qui colle bien avec une acquisition via les conquistadors", a-t-il souligné, mais il insiste sur le fait que d'autres fossiles peuvent encore être retrouvés et infirmer cette thèse.

jfe avec afp

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La genèse d'une recherche originale

En 2018, les Lakotas sont entrés en contact avec Ludovic Orlando, réputé pour ses nombreuses recherches génétiques sur le cheval qui sont souvent venues infirmer ce que la science tenait pour acquis.

Yvette Running Horse Collin, qui venait de terminer sa thèse sur la déconstruction de l'histoire des chevaux dans les Amériques, s'est alors installée pendant deux ans à Toulouse et s'est formée aux techniques archéologiques et génomiques.

"En tant que scientifique lakota, on ne m'a pas demandé de changer mes démarches, ma méthodologie et mes conclusions", a assuré Yvette Running Horse Collin.

Ludovic Orlando et Yvette Running Horse discutent de l’image de la fracture ressoudée du cheval de Blacks Fork. [Northern Vision Productions]
Ludovic Orlando et Yvette Running Horse discutent de l’image de la fracture ressoudée du cheval de Blacks Fork. [Northern Vision Productions]

"Trouver un langage commun"

Ludovic Orlando a de son côté souligné qu'il avait "fallu trouver un langage mutuel" pour pouvoir dialoguer avec sa collègue autochtone pour qui "les mots ne veulent pas toujours dire la même chose". Par exemple, chez les autochtones, le concept d'extinction n'existe pas, de même que la question de la filiation ne recouvre pas la même réalité, notamment biologique, que dans le monde occidental, a-t-il relevé.

"Avant cette étude, les peuples autochtones n'avaient littéralement pas leur place en Amérique du Nord [...], en raison des systèmes mis en place par la colonisation. La science peut servir à guérir et à unir plutôt qu'à diviser", a ajouté la scientifique.

Les approches théoriques et la conception du temps ne sont également pas les mêmes et le paléogénéticien a dû parfois revoir sa façon de communiquer, ce qui "n'a vraiment pas été simple à plusieurs moments", a-t-il confié.