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L'astrophysicien Gianfranco Bertone décrypte un "cosmos inattendu"

Interview de Gianfranco Bertone, astrophysicien, professeur en astrophysique à l'uni d'Amsterdam et directeur-fondateur du Consortium européen pour la physique des astroparticules. [RTS - RTS]
L'invité de la Matinale (vidéo) – Gianfranco Bertone, astrophysicien / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 12 min. / le 4 avril 2023
Gianfranco Bertone l'affirme: nous sommes à l'aube d'avancées majeures en astrophysique grâce à de nouveaux messagers. Parmi ceux-ci les ondes gravitationnelles, les neutrinos ou les rayons cosmiques. Comme si nous avions soudainement de nouveaux sens à notre disposition pour comprendre l'Univers.

Il navigue entre deux infinis, Gianfranco Bertone, et n'a pas perdu son sens de l'émerveillement: de l'infiniment petit régi par la physique quantique à l'infiniment grand, ordonné par la gravité élaborée il y a plus d'un siècle par Albert Einstein.

Deux théories qui ne sont pas compatibles aux échelles minuscules, mais semblent se rencontrer aux abords de portails fascinants, les trous noirs, des "laboratoires théoriques", pour reprendre l'expression du professeur de physique théorique des astroparticules à l'Université d'Amsterdam, qui est aussi le directeur-fondateur de l'EuCAPT, le Consortium européen pour la théorie des astroparticules.

>> Lire aussi : L'Humanité voit de ses yeux un trou noir pour la première fois de l'Histoire

"Entre deux infinis", c'est l'intitulé de son ouvrage ayant pour sous-titre "Les ondes gravitationnelles et l'origine quantique des plus grands mystères de l'Univers".

Visualisation des filaments cosmiques grâce au programme de simulation Illustris. Ici, la matière noire (en bleu) et le gaz (en orange) sont distribués dans un amas galactique géant qui s'étend sur environ 300 millions d'années-lumière. [www.illustris-project.org - ESO]
Visualisation des filaments cosmiques grâce au programme de simulation Illustris. Ici, la matière noire (en bleu) et le gaz (en orange) sont distribués dans un amas galactique géant qui s'étend sur environ 300 millions d'années-lumière. [www.illustris-project.org - ESO]

Ces énigmes sont la matière et l'énergie noires, les trous noirs et le Big Bang. Le décor est posé: le voyage se fera comme dans L'Enfer de Dante. En passant d'une sphère à l'autre, de l'enfer au paradis, il brosse le portrait des connaissances actuelles et rend visite aux scientifiques du passé pour mieux éclairer ce que l'astrophysique d'aujourd'hui nous réserve.

"Les grandes découvertes de l'astronomie moderne ont ouvert notre horizon sur un cosmos inattendu, contenant des formes de matière et d'énergie mystérieuses, qu'on appelle matière noire et énergie noire et sur des lieux et des événements dans l'Univers ou les lois de la physique s'effondrent", explique-t-il au micro de La Matinale.

"Il reste un nuage entouré de mystères et d'incertitudes qui semblent avoir quelque chose en commun: tous sont issus de l'observation de l'Univers aux plus grandes échelles, mais semblent plonger leurs racines dans un microcosme gouverné non pas par la gravité mais par la physique quantique, celle des particules subatomiques. C'est là qu'on cherche en ce moment les réponses à ces grands mystères de l'Univers".

De nouveaux messagers

Dans son livre, Gianfranco Bertone raconte la naissance d'une nouvelle astronomie appelée astronomie multimessager: "Une nouvelle révolution dans notre compréhension de l'Univers", souligne ce natif de Calabre.

Les longueurs d'ondes électromagnétiques de la lumière visible par des yeux humains: ce que nous appelons "couleurs". [Gianfranco Bertone - Capture d'écran]
Les longueurs d'ondes électromagnétiques de la lumière visible par des yeux humains: ce que nous appelons "couleurs". [Gianfranco Bertone - Capture d'écran]

Des messages qui contiennent de quoi jeter un pont entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, selon ses recherches. Comme si nous avions de nouveaux "organes sensoriels" pour appréhender l'Univers.

En effet, outre l'observation de la lumière – dans tout son spectre d'ondes électromagnétiques – des objets célestes, il y a désormais les ondes gravitationnelles, les neutrinos ou les rayons cosmiques: des messagers qui transportent des informations en provenance de régions autrement inaccessibles. Il faudra les décoder.

Et c'est ce que la communauté scientifique s'attelle à faire avec, notamment, les très prometteuses ondes gravitationnelles, détectées directement pour la première fois de l'Histoire le 14 septembre 2015.

Le 14 septembre 2015, l'expérience LIGO réalise la première détection directe de l'Histoire d'ondes gravitationnelles provenant de la collision de deux trous noirs (l'un de 29 masses solaires, l'autre de 36), avec des "pépiements cosmiques": une énergie équivalente à trois masses solaires a été émise en quelques dixièmes de seconde. [nobelprize.org - Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences]
Le 14 septembre 2015, l'expérience LIGO réalise la première détection directe de l'Histoire d'ondes gravitationnelles provenant de la collision de deux trous noirs (l'un de 29 masses solaires, l'autre de 36), avec des "pépiements cosmiques": une énergie équivalente à trois masses solaires a été émise en quelques dixièmes de seconde. [nobelprize.org - Johan Jarnestad/The Royal Swedish Academy of Sciences]

Anecdote amusante à propos de ces ondes: en 1936, Albert Einstein – qui les a pourtant théorisées en 1917 – croit prouver qu'elles n'existent pas, puis se ravise... C'est finalement leur détection qui vaudra en 2017 le prix Nobel de physique à Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne.

Un champ immense d'exploration s'ouvre. Les ondes gravitationnelles peuvent donc être couplées avec des observations astronomiques classiques – les multimessagers –, comme ce fut le cas lors de la première coalescence de deux étoiles à neutrons le 17 août 2017: des données combinées qui en apprennent bien plus aux astronomes.

>> Un reportage d'octobre 2017 sur cet événement nommé GW170817, avec les explications de Carlo Ferrigno et Stéphane Paltani :

Université de Genève: l'astronomie vit sa révolution
Université de Genève: l'astronomie vit sa révolution / 19h30 / 3 min. / le 16 octobre 2017

"Les ondes gravitationnelles, ce sont des vibrations dans l'espace-temps", rappelle l'astrophysicien: "Einstein nous l'a appris il y a plus de cent ans. Il nous a aussi appris que la gravité est une manifestation de la courbure de l'espace-temps. Et maintenant on sait que – comme le sol peut être secoué par des ruptures dans des roches et créer un tremblement de terre – l'espace-temps peut être secoué par des événements comme la fusion de deux trous noirs".

Comprendre nos origines

La rémanence du Big Bang, le fond diffus cosmologique (CMB), détecté par la sonde spatiale Planck de l'ESA. Ce rayonnement s'est imprimé dans le ciel lorsque l'Univers avait 370'000 ans. Il montre de minuscules fluctuations de température qui correspondent à des régions de densités légèrement différentes, représentant les germes de toute la structure future: les étoiles et les galaxies d'aujourd'hui. [AP Photo/ESA - Planck Collaboration via NASA]
La rémanence du Big Bang, le fond diffus cosmologique (CMB), détecté par la sonde spatiale Planck de l'ESA. Ce rayonnement s'est imprimé dans le ciel lorsque l'Univers avait 370'000 ans. Il montre de minuscules fluctuations de température qui correspondent à des régions de densités légèrement différentes, représentant les germes de toute la structure future: les étoiles et les galaxies d'aujourd'hui. [AP Photo/ESA - Planck Collaboration via NASA]

Ces nouveaux messagers réussissent à nous apporter des informations qui viennent des instants suivant le Big Bang, quand l'Univers était un nouveau-né: "Il n'y avait pas d'étoiles, pas de planètes: il n'y avait que des distributions presque homogènes de matière et d'énergie. Et on voit de toutes petites fluctuations sur le fond diffus cosmologique", cette lumière fossile du Big Bang.

"Si on arrive à comprendre l'origine de ces fluctuations, on aura vraiment donné une réponse à la question des origines. C'est ça la frontière ultime, ainsi que la connexion avec la physique des particules".

Le physicien évoque encore que l'hypothèse la plus utilisée et la plus connue décrivant les débuts de l'Univers, c'est un champ d'énergie: "A l'origine, il y avait ce champ quantique qui est le responsable de l'expansion accélérée de l'Univers au moment du Big Bang; c'est sa désintégration qui est responsable des fluctuations qu'on observe dans le fond diffus cosmologique".

Mais il y a encore beaucoup à apprendre. Et une phrase semble bien résumer le livre de Gianfranco Bertone. Il écrit: "La prise de conscience de notre ignorance est l'un des résultats les plus importants de la physique et de l'astronomie des cinquante dernières années".

Interview radio: David Berger

Article web: Stéphanie Jaquet

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