Il navigue entre deux infinis, Gianfranco Bertone, et n'a pas perdu son sens de l'émerveillement: de l'infiniment petit régi par la physique quantique à l'infiniment grand, ordonné par la gravité élaborée il y a plus d'un siècle par Albert Einstein.
Deux théories qui ne sont pas compatibles aux échelles minuscules, mais semblent se rencontrer aux abords de portails fascinants, les trous noirs, des "laboratoires théoriques", pour reprendre l'expression du professeur de physique théorique des astroparticules à l'Université d'Amsterdam, qui est aussi le directeur-fondateur de l'EuCAPT, le Consortium européen pour la théorie des astroparticules.
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"Entre deux infinis", c'est l'intitulé de son ouvrage ayant pour sous-titre "Les ondes gravitationnelles et l'origine quantique des plus grands mystères de l'Univers".
Ces énigmes sont la matière et l'énergie noires, les trous noirs et le Big Bang. Le décor est posé: le voyage se fera comme dans L'Enfer de Dante. En passant d'une sphère à l'autre, de l'enfer au paradis, il brosse le portrait des connaissances actuelles et rend visite aux scientifiques du passé pour mieux éclairer ce que l'astrophysique d'aujourd'hui nous réserve.
"Les grandes découvertes de l'astronomie moderne ont ouvert notre horizon sur un cosmos inattendu, contenant des formes de matière et d'énergie mystérieuses, qu'on appelle matière noire et énergie noire et sur des lieux et des événements dans l'Univers ou les lois de la physique s'effondrent", explique-t-il au micro de La Matinale.
"Il reste un nuage entouré de mystères et d'incertitudes qui semblent avoir quelque chose en commun: tous sont issus de l'observation de l'Univers aux plus grandes échelles, mais semblent plonger leurs racines dans un microcosme gouverné non pas par la gravité mais par la physique quantique, celle des particules subatomiques. C'est là qu'on cherche en ce moment les réponses à ces grands mystères de l'Univers".
De nouveaux messagers
Dans son livre, Gianfranco Bertone raconte la naissance d'une nouvelle astronomie appelée astronomie multimessager: "Une nouvelle révolution dans notre compréhension de l'Univers", souligne ce natif de Calabre.
Des messages qui contiennent de quoi jeter un pont entre l'infiniment grand et l'infiniment petit, selon ses recherches. Comme si nous avions de nouveaux "organes sensoriels" pour appréhender l'Univers.
En effet, outre l'observation de la lumière – dans tout son spectre d'ondes électromagnétiques – des objets célestes, il y a désormais les ondes gravitationnelles, les neutrinos ou les rayons cosmiques: des messagers qui transportent des informations en provenance de régions autrement inaccessibles. Il faudra les décoder.
Et c'est ce que la communauté scientifique s'attelle à faire avec, notamment, les très prometteuses ondes gravitationnelles, détectées directement pour la première fois de l'Histoire le 14 septembre 2015.
Anecdote amusante à propos de ces ondes: en 1936, Albert Einstein – qui les a pourtant théorisées en 1917 – croit prouver qu'elles n'existent pas, puis se ravise... C'est finalement leur détection qui vaudra en 2017 le prix Nobel de physique à Rainer Weiss, Barry Barish et Kip Thorne.
Un champ immense d'exploration s'ouvre. Les ondes gravitationnelles peuvent donc être couplées avec des observations astronomiques classiques – les multimessagers –, comme ce fut le cas lors de la première coalescence de deux étoiles à neutrons le 17 août 2017: des données combinées qui en apprennent bien plus aux astronomes.
"Les ondes gravitationnelles, ce sont des vibrations dans l'espace-temps", rappelle l'astrophysicien: "Einstein nous l'a appris il y a plus de cent ans. Il nous a aussi appris que la gravité est une manifestation de la courbure de l'espace-temps. Et maintenant on sait que – comme le sol peut être secoué par des ruptures dans des roches et créer un tremblement de terre – l'espace-temps peut être secoué par des événements comme la fusion de deux trous noirs".
Comprendre nos origines
Ces nouveaux messagers réussissent à nous apporter des informations qui viennent des instants suivant le Big Bang, quand l'Univers était un nouveau-né: "Il n'y avait pas d'étoiles, pas de planètes: il n'y avait que des distributions presque homogènes de matière et d'énergie. Et on voit de toutes petites fluctuations sur le fond diffus cosmologique", cette lumière fossile du Big Bang.
"Si on arrive à comprendre l'origine de ces fluctuations, on aura vraiment donné une réponse à la question des origines. C'est ça la frontière ultime, ainsi que la connexion avec la physique des particules".
Le physicien évoque encore que l'hypothèse la plus utilisée et la plus connue décrivant les débuts de l'Univers, c'est un champ d'énergie: "A l'origine, il y avait ce champ quantique qui est le responsable de l'expansion accélérée de l'Univers au moment du Big Bang; c'est sa désintégration qui est responsable des fluctuations qu'on observe dans le fond diffus cosmologique".
Mais il y a encore beaucoup à apprendre. Et une phrase semble bien résumer le livre de Gianfranco Bertone. Il écrit: "La prise de conscience de notre ignorance est l'un des résultats les plus importants de la physique et de l'astronomie des cinquante dernières années".
Interview radio: David Berger
Article web: Stéphanie Jaquet