Les enchères de fossiles de dinosaures inquiètent les scientifiques

Pour la première fois en Europe, et la troisième dans le monde, un squelette de dinosaure a été adjugé aux enchères mardi dernier à Zurich. Son propriétaire, la fondation belge Phoebus, a déboursé la somme de 4,8 millions de francs pour acquérir le fossile, un squelette de T-Rex vieux de 65 millions d'années.

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La vente a été largement relayée par la presse internationale et suscite plusieurs polémiques: ces fossiles ont-ils un prix? Sont-ils une marchandise comme une autre? Si la fondation Phoebus assure que le squelette sera exposé à Anvers et accessible au public, le milieu scientifique s'inquiète.

Objet de spéculation

À Genève, les collections du Muséum d'Histoire naturelle regorgent de fossiles de dinosaures. Pour le conservateur en paléontologie Lionel Cavin, l'intérêt des institutions publiques et de garantir l'accès à ces objets. "Le problème des ventes aux enchères, c'est qu'on change complètement la manière de faire. On ne considère plus le fossile comme un objet de science qui va être étudié, mais comme un objet d'art. Le fossile est vendu au plus offrant… Si on le revend une deuxième fois avec un petit bénéfice au passage, ça devient un objet de spéculation", souligne-t-il.

>> Ecouter Lionel Cavin, paléontologue et conservateur au Muséum d'Histoire naturelle de Genève :

KEYSTONE - MICHAEL BUHOLZER

Dans une tribune publiée par Swissinfo, la chercheuse en géosciences Lara Sciscio souligne l'importance de ces fossiles pour notre patrimoine naturel.

"C'est un patrimoine commun axé principalement sur les données fossiles. Abstraction faite des ramifications éthiques, la vente de fossiles peut entraîner une diminution de la valeur scientifique ou éducative de spécimens importants s'ils ne sont pas exposés publiquement ou étudiés après la vente privée", écrit la chercheuse. "Elle peut également conduire au pillage de fossiles, à leur modification, à leur falsification ou à leur collecte dans le seul but de réaliser des gains financiers par des collectionneurs de fossiles peu scrupuleux", ajoute-t-elle.

Nouvelles technologies

Si l'enjeu est d'importance, c'est que les fossiles de dinosaures ont encore beaucoup de choses à nous apprendre. À Grenoble, l'installation européenne de rayonnement de synchrotron permet de produire des rayons X parmi les plus puissants du monde, capables de pénétrer à l'intérieur de fossiles de la taille d'un globule rouge.

Cette technologie attire depuis plusieurs années les paléontologues du monde entier. "Cette machine permet par exemple d'étudier la vascularisation des os. Nous pouvons donc récolter des données sur comment les dinosaures utilisaient leurs membres pour se déplacer", explique le paléontologue Vincent Fernandez.

Le synchrotron pourrait fournir de nouvelles découvertes sur les tyrannosaures. "On se demande notamment si ces dinosaures avaient des lèvres. C'est une donnée qui pourrait nous en dire plus sur leur alimentation. L'imagerie que nous utilisons permettrait d'y répondre, en analysant l'endocrane du fossile, l'empreinte laissée par le cerveau ou la croissance de ces dents. Il y a encore beaucoup de choses à étudier et à comprendre", conclut le scientifique.

Les connaissances sur les dinosaures reposent essentiellement sur la découverte de fossiles. Ces technologies de pointe permettent d'ouvrir un nouveau champ des possibles. Une richesse paléontologique inestimable et qui, selon plusieurs spécialistes, nécessiterait une meilleure législation sur les conditions de collecte et de vente de ces squelettes.

>> Ecouter le sujet d'Alexandra Richard avec le paléontologue Thierry Malvesy :

RTS - Sébastien Blanc

Sujet TV: Céline Brichet
Adaptation web: Sarah Jelassi