Pour mieux saisir le mécanisme de la fatigue, l'émission On en parle a consulté "Histoire de la fatigue. Du Moyen Âge à nos jours", un livre de Georges Vigarello publié au Seuil en 2020, qui est une sorte de bible de la question.
Dans cette somme de près de 500 pages, l'historien français nous apprend qu'à l'époque médiévale la fatigue était surtout liée aux combattants. Elle est centrale et même valorisée: lorsqu'on est visiblement éreinté, lorsqu'on a les pieds ensanglantés par exemple, on suscite l'estime.
Les voyages sont aussi source de fatigue. Mais, contrairement à celle du guerrier, celle-ci n'est pas du tout valorisée. A l'inverse, elle est même redoutée: les gens s'épuisaient durant les voyages et beaucoup d'entre eux mouraient, notamment quand ils devaient traverser des forêts durant des jours, voire des mois, dans le froid.
Un terme au pluriel
En ce temps-là, personne ne parle de la fatigue au travail, qui est totalement banale. Elle ne fait d'ailleurs même pas l'objet de commentaires. C'est une non-valeur.
Autour du XVIe et XVIIe siècle, toute une panoplie de fatigues différentes apparaissent. Il y a par exemple la "fatigue de cour" pour désigner l'enchaînement des visites, les voyages, le devoir d'adopter les bonnes postures, les cérémonies et autres.
On commence aussi à chercher des remèdes pour garder les yeux ouverts comme les bains chauds, les parfums, le lait de vache ou le vin. On pense même à cette époque que le tabac permet d'entretenir les résistances mentales!
La fatigue sort de l'ombre
Si aujourd'hui la fatigue est partout, elle est restée assez "discrète" pendant longtemps. C'est seulement à partir des Lumières qu'elle devient un véritable phénomène. On y porte une attention particulière, on se soucie de ce que chacun peut éprouver, on se focalise sur la sensibilité. On commence aussi à détailler les pathologies, on décrit les courbatures et les formes d'épuisement.
Au XIXe siècle, la fatigue au travail entre dans les discussions. D'un côté, elle est bien vue: s'impliquer corps et âme sert à tout le monde. Vive la réussite! Mais d'un autre, il y a la fatigue malheureuse, celle qui concerne les ouvriers qui se tuent à la tâche sans arriver à joindre les deux bouts, sans compter le manque de sommeil, le froid et les trajets.
La fatigue psychique est, elle, mise en avant à la fin du XIXe siècle. Un témoignage datant de 1880 parle d'ailleurs de "surmenage".
Marie Tschumi/ami
Exploration de la fatigue
Et aujourd'hui? Des scientifiques s'intéressent de près à la fatigue. Et le sujet est vaste. Mardi, On en parle a invité deux médecins pour répondre aux questions d'auditeurs et d'auditrices sur ses multiples facettes.
"Il faut distinguer la fatigue normale de la fatigue pathologique", souligne Lamyae Benzakour, psychiatre et responsable de l'unité de psychiatrie de liaison des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). "On parle de fatigue pathologique à partir du moment où elle va être disproportionnée par rapport aux efforts fournis."
"En pratique, on rencontre la fatigue avec trois 's': sommeil, stress et surmenage", note de son côté Bernard Favrat, médecin interniste-généraliste, médecin-cadre à Unisanté et professeur à l'UNIL. "C'est une association assez redoutable pour provoquer de la fatigue. Dissocier la fatigue mentale de celle qui est purement somatique est en pratique un non-sens. C'est un ensemble."