Les étoiles les plus massives connues par les astronomes font 200 à 300 fois la masse de notre Soleil. C'est dire le gigantisme à peine concevable des astres dont les traces ont été découvertes par un groupe de recherche de Genève, Barcelone et Paris, menée par la professeure Corinne Charbonnel, de l'Université de Genève: 5000 à 10'000 fois la masse de notre étoile, si ce n'est plus!
La découverte de la signature de ces étoiles supermassives a été rendue tangible grâce au télescope spatial James Webb (JWST) qui a révélé une anomalie chimique – un très fort enrichissement en azote – dans une galaxie extrêmement lointaine nommée GN-z11 (lire 1er encadré) qui contient très certainement de grands amas d'étoiles, ceux que les spécialistes appellent des proto-amas globulaires: "Ils sont très denses et très anciens; compacts, ils restent soudés gravitationnellement", précise par téléphone à RTSinfo la première autrice de l'étude parue dans Astronomy & Astrophysics.
Lorsque la masse d'une étoile augmente, la température en son centre augmente aussi.
Les astres sont répartis dans une sphère dont le rayon, à l'échelle astronomique, est petit: un rayon d'une dizaine à une centaine d'années-lumière. Et dans cette bulle se côtoient jusqu'à un million d'étoiles: "Chaque galaxie comporte des amas globulaires, souvent en périphérie: la nôtre, la Voie lactée, en abrite environ 180".
L'énigme de l'azote
"Lorsque des étoiles se forment dans des proto-amas globulaires, elles sont composées des gaz préalablement enrichis par de précédentes générations d'étoiles (lire 2nd encadré) dans leur galaxie hôte. On a longtemps pensé qu'au sein de chaque amas globulaire, toutes les étoiles devraient avoir la même composition chimique, car elles se forment au même endroit et au même moment", note l'astrophysicienne.
Or, grâce aux grands télescopes comme le VLT, au Chili, il y a été observé des proportions d'oxygène, d'azote, de sodium ou encore d'aluminium très différentes d'une étoile à l'autre. Et cela alors qu'elles étaient toutes nées au même moment, au sein d'un même nuage de gaz, à une époque très reculée. Une énigme qui anime Corinne Charbonnel et son groupe et à laquelle ces scientifiques ont proposé une explication en 2018.
Comprendre comment les amas globulaires se sont formés il y a entre 10 et 13 milliards d'années est essentiel pour saisir la formation des galaxies. L'équipe de recherche a réussi à proposer un scénario décrivant pourquoi toutes ces étoiles – pourtant nées en même temps et au sein d'un même nuage de gaz – avaient des compositions chimiques si variées, soit des anomalies d'abondance dans le jargon scientifique.
Une très jeune galaxie lointaine
L'une des galaxies les plus lointaines connues, la très jeune GN-z11, qui s'est façonnée environ 400 millions d'années après le Big Bang et qui n'est âgée que de quelques dizaines de millions d'années a apporté des solutions: "Elle permet de voir les premières étapes de la formation des galaxies et des amas globulaires. Ces phases-là sont probablement critiques et c'est là où peuvent se former des étoiles supermassives".
Des géantes qui, vu leur énorme masse, ne font pas long feu: "D'après les modèles, elles vivent deux ou trois millions d'années. Donc dans les amas globulaires vieux, aujourd'hui, qui ont 13 milliards d'années, elles sont déjà mortes". Impossible par conséquent de les observer.
"Ce que l'on a vu", continue Corinne Charbonnel, "ce sont ces objets en train de se former avec des propriétés chimiques caractéristiques: en particulier une abondance très très forte en azote que l'on ne voit nulle part ailleurs dans l'Univers que dans les amas globulaires. Dans GN-z11, ils sont nés environ 440 millions d'années après le Big Bang". Si jeunes et si lointains – à environ 13,3 milliards d'années-lumière de nous – qu'il est impossible de résoudre les étoiles qui les composent, c'est-à-dire réussir à les voir séparément.
Des supergéantes disparues
Et ces propriétés – ces traces laissées post mortem – sont ce que les scientifiques de Genève s'attendaient de la présence d'étoiles supermassives: "Les astres ont très peu d'oxygène et beaucoup d'azote, beaucoup de sodium, beaucoup d'aluminium. Pour produire ces éléments, il faut faire de la combustion de l'hydrogène à très haute température: près de 75 millions de degrés sont requis pour pouvoir changer les abondances dans le cœur du gros réacteur nucléaire qui est une étoile pour fabriquer les caractéristiques chimiques observées". En comparaison, le cœur de notre Soleil est aujourd'hui à 15 millions de degrés.
Les modèles théoriques sont clairs: "Lorsque la masse d'une étoile augmente, la température en son centre augmente aussi. Et donc, pour obtenir ces 75 millions de degrés que la physique nucléaire nous impose, on est obligé d'aller vers des étoiles qui ont des masses supérieures à 1000 ou 3000 masses solaires". CQFD.
Stéphanie Jaquet
Si proche du Big Bang, la galaxie GN-z11
GN-z11 a été découverte grâce au télescope spatial Hubble et à un scientifique genevois, Pascal Oesch. Sa lumière est observée telle qu'elle l'était 400 millions d'années après la naissance de l'Univers.
Grâce au James Webb Space Telescope, ces objets dignes d'intérêt peuvent être examinés dans des détails encore plus précis, car l'instrument est cent fois plus puissant que son prédécesseur et est plus performant dans l'infrarouge.
Les étoiles massives, des usines à éléments chimiques
A travers leur cycle de formation, leur mort explosive et leur re-formation, les étoiles massives – au moins huit fois plus grandes que notre Soleil –, peuplent l'Univers de nouveaux éléments chimiques, le matériel brut de toute la matière observable, y compris la vie.
La séquence principale (1.) de l'étoile dure 7 millions d'années; l'étoile est alimentée par la fusion de l'hydrogène en hélium dans son noyau. Suit le développement d'un noyau à plusieurs enveloppes (2.): après épuisement de l'hydrogène dans le noyau, d'autres éléments de plus en plus lourds fusionnent. Les éléments existants flottent au-dessus du cœur plus dense et forment plusieurs couches. Puis suivent différentes phases de fusion: (3.) de l'hélium en carbone durant 500'000 ans, (4.) du carbone en oxygène durant 600 ans, (5.) de l'oxygène en silicium durant 6 mois, (6.) du silicium en fer en un jour. Puis c'est la supernova (7.): le noyau de fer ne peut pas produire d'énergie pour équilibrer le poids des couches de gaz situées au-dessus. En moins d'une seconde, le noyau s'effondre et les couches supérieures rebondissent vers l'extérieur dans une explosion spectaculaire, peuplant l'univers d'éléments chimiques, les briques de la création.