A l'heure où la planète veut atteindre la neutralité carbone, l'énergie nucléaire fait un retour en force: elle a reçu le label "énergie verte" dans l'Union européenne. En Finlande, la centrale d'Olkiluoto aurait dû ouvrir ses portes il y a 12 ans, mais n'a finalement été enclenchée qu'au printemps à cause de problèmes techniques. Le site est aujourd'hui présenté comme un modèle pour le reste du monde puisqu'à ses pieds sont creusées d'énormes galeries sous des couches de granit: elles pourront accueillir à l'avenir les déchets radioactifs pour des centaines de milliers d'années. En route pour un voyage de presse organisé par le lobby du nucléaire suivi d'une rencontre avec des groupes d'opposition au projet.
Chapitre 1
En pleine réserve naturelle
RTS - Sophie Iselin
A l'ouest de la Finlande se trouve la presqu'île de la mer Baltique, où ont été bâtis les trois réacteurs nucléaires d'Olkiluoto, une région particulièrement peu densément peuplée. Le pays héberge 5,5 millions de personnes pour une surface qui représente dix fois la Suisse.
La municipalité d'Eurajoki abrite sur son territoire des centrales nucléaires depuis une cinquantaine d'années. La construction de deux premiers réacteurs a commencé en 1974, et ceux-ci sont raccordés au réseau électrique depuis 1979 et 1982.
Inauguré il y a quelques semaines, le réacteur numéro 3 d'Olkiluoto est le plus puissant d'Europe. Construit et exploité par le groupe français Areva, il s'agit d'un réacteur à eau pressurisée, aussi appelé EPR, soit European Pressurised Reactor, une centrale de troisième génération. C'est la première de ce type sur sol Européen – les deux autres en activité actuellement sont situées en Chine.
Après plus d'une vingtaine de reports pour son ouverture, la centrale a été mise en fonction ce printemps avec plus de douze ans de retard, ce qui a coûté plusieurs milliards d'euros à son exploitant: la facture totale est passée de 3 à 9 milliards d'euros.
Pour accéder au site, la petite dizaine de journalistes suisses – à qui le Forum nucléaire suisse a proposé ce voyage* – a traversé une grande forêt avec des sapins, des lichens, beaucoup d'oiseaux... Il semblerait même qu'il est parfois possible d'y croiser des lynx et des loups. La centrale est située sur une zone de réserve naturelle.
Pour refroidir ses réacteurs, la centrale utilise l'eau de la mer Baltique qui est ensuite recrachée à une température plus élevée de 8 à 10 degrés. Toutefois, selon le porte-parole de la centrale, cela n'altère pas l'écosystème marin "du moment que le brassage de l'eau continue à se faire naturellement".
La ville de Rauma (39'000 personnes) est située à environ une demi-heure en voiture de là. Elle est assez déserte: peu de monde dans les rues et un port marchand sur le déclin. Jadis, c'était l'un des ports les plus fréquentés de Finlande. En 1897, Rauma possédait la plus grande flotte de voiliers du pays, avec un total de 57 vaisseaux. Son influence maritime s'est étiolée au tournant du XXe siècle.
La centrale nucléaire d'Olkiluoto, située sur le territoire de la municipalité voisine d'Eurajoki, est l'un des employeurs les plus importants de la région.
Le maire Vesa Lakaniemi décrit la centrale comme "une véritable aubaine": "Grâce aux douze ans de retard dans l'ouverture de la centrale, nous avons encaissé huit millions de taxes de plus que prévu. Une centaine de personnes expatriées sont venues s'installer ici. Elles pensaient rester au départ quelques mois ou quelques années. Au final elles sont restées plus de dix ans: "Ce sont des gens qui payent des impôts", relève-t-il. Une école française a été ouverte, et on voit déjà fleurir quelques boutiques de mode et des cafés bobos. Il ajoute en riant: "Aujourd'hui la sélection de vins disponible à Rauma est bien plus large qu'avant, grâce au retard pris dans la centrale".
L'exploitant a reçu le feu vert du conseil local en 2000 pour la construction d'un site de stockage en couche géologique profonde pour les déchets hautement radioactifs à proximité des centrales nucléaires. Avec vingt voix pour et sept contre, le Conseil municipal s'est prononcé en faveur de la construction d'un cimetière pour déchets hautement radioactifs.
La centrale et son dépôt impliquent des compensations financières: les taxes payées par l'opérateur représentent 20 millions d'euros qui tombent chaque année dans les caisses de la municipalité d'Eurajoki.
Un nouveau souffle s'installe sur cette région qui était un peu en perte de vitesse: elle devient un centre stratégique puisque la centrale produit déjà 13% de l'électricité du pays.
Sur l'ensemble de la Finlande, le nucléaire représente 40% de la production énergétique. Et, grâce à l'atome, le pays a l'ambition d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2035. Le pays pourra aussi s'affranchir du gaz et de l'électricité que fournissaient jusqu'ici son voisin russe, avec lequel il partage 1300 kilomètres de frontière.
Des galeries souterraines, longues d'une centaine de kilomètres et qui descendent à plus de 450 mètres sous le niveau de la mer, ont commencé à être creusées à l'explosif depuis 2004 dans des couches de granit au rythme d'un kilomètre par an. La construction va durer cent ans, passant par plusieurs phases, en enterrant au fur et à mesure les déchets radioactifs.
Un chantier qui avance avec une certaine lenteur – bien plus que pour un tunnel autoroutier par exemple – car il implique simultanément un travail de recherche pour caractériser la roche: un groupe de géologues travaille ainsi dans le tunnel au côté des ouvriers.
Ici, la roche cristalline est très ancienne: son âge est estimé à presque deux milliards d'années.
Sur les bords des galeries, de l'eau s'est infiltrée: "En tout, la quantité de liquide qui entre par les quatre tunnels est de trente litres par minute. Vous voyez l'eau qui coule dans les tranchées? Elle est pompée ensuite et remontée jusqu'à la surface", explique la géologue Johanna Hansen, responsable de la visite guidée.
Dans cet immense dédale seront stockées les 5500 tonnes de déchets radioactifs produits en surface par les trois réacteurs de la centrale. Un milliard d'euros a déjà été investi pour mettre en place le dépôt dans ces couches géologiques profondes.
Pour visiter le site d'Onkalo – "caverne" ou "terrier" en finnois – il faut s'équiper d'un casque, de bottes et d'une ceinture de survie comprenant un masque à oxygène. Au fond du tunnel, de grands trous où seront déposés les sarcophages composés de plusieurs couches de cuivre et d'acier.
Ces grands cylindres renfermeront l'uranium et d'autres éléments radioactifs comme du plutonium. Le tout sera ensuite enfoui dans des tombeaux remplis de granules d'une argile spéciale, la bentonite, un matériau qui gonfle au contact de l'eau: aussi appelé terre à foulon, elle est notamment utilisée par l'industrie pétrolière pour isoler les forages.
Tout est robotisé pour sceller les sarcophages à tout jamais sous ces couches de granit: des véhicules télécommandés iront enterrer ce combustible usé au fond des galeries où ils seront surveillés en permanence grâce à des capteurs.
Sur place, la géologue Sophie Haapalehto, responsable des travaux dans la galerie, explique que ce type de roche, cristalline, est très solide: "Le mouvement de l'eau est très localisé dans les fractures. Donc on sait exactement où elle circule et c'est un des phénomènes qu'on veut éviter". En effet, une telle circulation n'est vraiment pas souhaitable: "Cela pourrait potentiellement apporter soit des produits chimiques qu'on voudrait éviter ou alors, à l'inverse, être transporteur de nucléides jusqu'à la surface."
"L'autre risque est sismique. La Finlande se trouve sur un craton: c'est un endroit où la roche est très vieille et où il n'y a pas eu beaucoup de changements géologiques. Le risque est donc limité; ce qui est un autre critère très important pour ce genre de site", souligne-t-elle encore.
Sur les parois rocheuses, des marques à la bombe de peinture colorée: "Chaque fracture de plus d'un mètre est caractérisée. On les peint pour pouvoir les mesurer et les mettre dans nos modèles 3D".
Un tunnel test a été bouché avec la bentonite. La structure de ce boyau en béton est construite comme un barrage afin de pouvoir absorber la pression de l'intérieur si l'argile se mettait à enfler.
Onkalo est présenté comme un modèle pour le reste du monde par les défenseurs de l'atome car, dès 2025, ce dédale gigantesque pourra accueillir les résidus radioactifs pour 100'000 ans. La Finlande est le premier pays au monde à procéder ainsi.
>> Une animation faite par Posiva – l'entreprise responsable de l'enfouissement des déchets – montant l'élimination finale du combustible nucléaire usé : Podcast – Le nucléaire, c'est bien ou pas?
En Finlande, ce projet est même défendu par une majorité du parti écologiste qui y voit une solution responsable pour les générations à venir – "la moins pire" en quelque sorte pour éviter les émissions de CO2. Le pays compte déjà cinq centrales en exploitation.
"Nous avons LA solution", tel est le slogan de Posiva, l'entreprise responsable de gestion des résidus nucléaires. Alors que ces déchets sont le talon d'Achille de cette industrie, la Finlande teste une technologie et développe un savoir-faire pour neutraliser les déchets toxiques produits jusqu'à présent, mais aussi ceux qui vont l'être à l'avenir.
Un exemple pour les autres pays qui ont recours à l'énergie nucléaire. Des milliers de tonnes de matériaux radioactifs – rien que pour la Suisse – doivent être enterrés, certains pendant un million d'années.
"La Finlande copie un peu sur la Suède, et c'est très différent de la Suisse", affirme Walter Wildi, professeur honoraire de géologie à l'UNIGE et ancien président de la Commission fédérale de sécurité nucléaire (CSN).
"En Finlande, on est dans une géologie de granit et de gneiss, fracturés, où il y a encore de l'eau qui circule. Vous avez vu les cavernes toutes vertes d'algues et de mousses; ça ne circule pas beaucoup, car il n'y a pas beaucoup de relief. On est à basse altitude, donc il n'y a pas de pression sur les eaux – pas de gradient", relève-t-il au micro de Forum. Et selon lui, ce modèle "n'est pas du tout applicable à la Suisse", car notre pays possède un relief où les eaux circulent en profondeur.
La Finlande creuse dans du granit, la Suisse creuserait dans de l'argile, plus imperméable. La Nagra a défini un site d'enfouissement à cheval sur les cantons d'Argovie et Zurich, dans la région du "Nördlich Lägern", sur la commune de Stadel. Walter Wildi n'est pas convaincu: "J'ai des doutes", dit-il. "C'est la quatrième fois dans l'Histoire que la Nagra propose 'le meilleur site en Suisse'. Celui-ci est appuyé sur une faille tectonique [ndlr. la faille Weiach-Glattfelden-Eglisau] avec pas mal de centres de chaleur qui menacent la stabilité de la roche", prévient le géologue.
Dans cette région, le terrain est déjà percé de centaines de sondes de géothermie qui vont jusqu'à 500 mètres de profondeur. La Nagra prévoit de creuser jusqu'à 800 mètres et espère pouvoir stocker les premiers déchets an 2050. Selon la Confédération, 90'000 mètres cube de rebuts radioactifs devraient être produits d'ici 2075.
A rappeler en outre qu'en Suisse, une sortie progressive de l'énergie nucléaire est programmée pour 2034.
Le géologue Christophe Nussbaum est responsable du projet Mont Terri près de Saint-Ursanne, dans le Jura, un laboratoire de recherche fondamentale pour caractériser l'argile opalinus. Il note dans CQFD qu'en Suisse, l'argile est considérée comme la barrière naturelle censée nous protéger contre les radiations: "Elle est presque imperméable. Le granit l'est aussi s'il n'est pas fracturé... mais il comporte souvent des fissures et l'eau peut alors circuler, ce qu'il faut éviter. Avec l'argile, l'eau ne peut pas migrer dans les fractures: elles sont sèches et les failles sont étanches. C'est la grande différence". De plus, les argiles ont une "propriété d'auto-cicatrisation: les fractures se rebouchent. Et il existe aussi la rétention: les milieux argileux ont une capacité de sorption de la radioactivité, notamment des cations. Cela veut dire que la radioactivité va rester collée à la surface des miroirs argileux et ne va pas migrer dans la roche. C'est une caractéristique majeure" par rapport aux granits.
Michaël Plaschy est responsable de la production nucléaire d'Alpiq, membre du conseil d'administration de la Nagra, qui est dans notre pays la société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs. Celui qui est aussi directeur de la centrale nucléaire de Gösgen note dans Forum que, selon lui, la transposition de la méthode finlandaise en Suisse est possible: "Nous avons des roches très imperméables permettant d'accueillir les déchets nucléaires de manière sûre: des argiles à Opalinus. Elles sont plus profondes, à 800 mètres."
"Ces roches opalines font cent mètres. On y trouve des fossiles qui ont 200 millions d'années. Donc ça veut dire qu'il n'y a pas eu d'intrusion externe, comme de l'eau depuis 200 millions d'années. La stabilité qu'on cherche dans ces roches est de l'ordre de 200'000 ans. C'est pour cela que la géologie a été le facteur essentiel et prédominant pour le choix du site."
En Europe, dès le fin des années 1980 et le début des années 1990, la France, la Belgique et la Suisse font tous partie de ce qui est appelé le Clay Club, soit le "club de l'argile": "Ces pays se sont mis ensemble pour investiguer et réfléchir sur les propriétaires de l'argile et sa capacité à accueillir nos déchets plutôt que, par exemple, les granits." Un type de roche qui est aussi présent en grandes quantités dans notre sous-sol.
Outre l'argile et le granit, une autre option consiste à enfouir les rebuts nucléaires dans des mines de sel: "Une autre possibilité de roche d'accueil extrêmement convaincante, au même titre que les argiles", affirme le géologue. C'est cette solution majeure que l'Allemagne a utilisée pendant trente ans. La Finlande ne possédant pas de terrain argileux, elle s'est tournée vers le granit. Et la Suisse n'a pas assez de sel pour envisager cette alternative.
Chapitre 5
Peu d'opposition
RTS - Sophie Iselin
Dans la région d'Olkiluoto et d'Onkalo, les voix qui s'opposent au projet de centrale et de son centre d'enfouissement ont de la peine à se faire entendre.
En 2010, le lancement du projet a vu son lot d'oppositions, avec notamment une grosse manifestation et des arrestations. Et aujourd'hui, il y a toujours des voix très critiques qui dénoncent une certaine forme de corruption de la part des autorités locales. Des doutes subsistent sur le fait qu'un permis environnemental soit bien délivré à Posiva.
Pourtant, un certain pragmatisme prédomine dans la population: les déchets sont là, il faut les sécuriser et il semble assez logique de le faire au pied de cette centrale, histoire d'éviter principalement les dangers liés au transport de ces matériaux dangereux.
La Finlande est par ailleurs présentée comme un pionnier dans la recherche de solutions pour les déchets, ce qui solidifie le soutien de la population au projet. Selon un sondage réalisé par Posiva, seuls 6% de la population s'oppose à l'ouverture du centre de dépôt nucléaire en couches profondes.
Pour Jari Natunen, biochimiste, spécialiste des déchets toxiques et défenseur de l'environnement au sein de The Finnish Association for Nature Conservation (FANC), "les travaux d'enfouissement menés par l'entreprise Posiva n'ont pas reçu de permis officiel du gouvernement mais seulement des autorités locales". Il accuse celles-ci de corruption et promet de faire recours contre le projet au moment de son ouverture.
"Il est trop tard pour revenir en arrière car l'investissement est trop lourd. Mais l'effet des infiltrations d'eau sur les eaux sous-terraines n'a pas été suffisamment étudié. Et aujourd'hui nous demandons des garanties et des études documentées avant que les premiers déchets ne soient entreposés."
Les risques sont multiples. Comment protéger ces matières toxiques en cas de guerre? Comment éviter les pillages et l'utilisation de ces ressources pour fabriquer des armes?
Greenpeace fait aussi partie des voix qui s'élèvent contre Onkalo. L'ONG souligne vouloir que rien ne soit accompli hors du cadre décidé: "On aimerait stocker les déchets pour une centaine d'années et là, il y a tellement d'incertitudes! On a besoin de mener des recherches scientifiques constamment pour documenter en temps réel ce qui se passe dans le dépôt en couche géologique profonde", affirme Juha Aromaa, le responsable de l'organisation militante en Finlande.
Pour lui, difficile de savoir si ce dépôt est bien "la" solution pour ces résidus radioactifs: "On ne le sait pas encore, c'est bien là le problème! On a besoin d'être plus au clair sur la durée des capsules en cuivre. Et sur la façon dont va se comporter la bentonite enterrée dans le granit."
Et de rappeler qu'il y a partout des infiltrations d'eau et qu'il n'existe aucune étude sur la résistance du cuivre ou des granules d'argile sur 1000 ou 10'000 ans: "S'il y a de la corrosion dans les capsules de cuivre, comment y remédier avant que cela ne devienne dangereux? Il faut le contrôle permanent de scientifiques et il est nécessaire d'élaborer des plans de secours si quelque chose se passe mal."
"Les travaux de base ont été faits, mais on ne peut pas s'arrêter là: ce sera le travail de générations et de générations. Le mal est fait. Les déchets existent. Maintenant, l'effort doit être mis dans la façon de les traiter le mieux possible de façon sûre", insiste Juha Aromaa.
Il pense toutefois que, vu les coûts faramineux du nucléaire, "Olkiluoto-3 est définitivement le dernier réacteur qui verra le jour en Finlande... Cette industrie n'est pas viable économiquement. Il n'y a plus de futur pour l'atome! Cela n'a plus de sens."
Pour l'heure, l'entreposage est présenté comme une solution définitive, mais tout est fait pour tout de même garder un accès à ce combustible et le ressortir en cas de besoin grâce à des véhicules télécommandés. Ce matériau nucléaire pourrait-il être réutilisable un jour?
"Cela fait partie d'une des réglementations qui nous est imposée: pouvoir retirer le combustible que l'on pourrait y mettre", répond Michaël Plaschy, responsable de la production nucléaire d'Alpiq qui rajoute qu'il s'agit aussi d'un critère de sûreté: "Nous devons être capables de montrer la faisabilité de pouvoir ressortir les déchets si on nous le demandait", dit-il sur le plateau de Forum. "Même si à l'heure actuelle, on ne pense pas à recycler ces déchets, de nouvelles technologies pourraient intervenir."
Devoir enfouir une ressource et ses déchets – ça reste une ressource tout en étant dangereux – c'est toujours un aveu d'échec de notre société.
"Il y aura 80 ans de surveillance sur le site choisi par la Nagra", souligne-t-il. A la fin, le site sera fermé "pour ne pas laisser cette responsabilité aux générations futures". Pour lui, "la réversibilité – à savoir retirer les déchets – est avant tout un critère de sûreté: être toujours maître de tout ce qu'on veut en faire".
De nos jours, à travers le monde, l'enfouissement des déchets "est la solution géologique qui est privilégiée", remarque Walter Wildi. Et le professeur de géologie de regretter que les recherches sur "la transmutation des déchets", soit leur métamorphose "dans une forme qui soit plus facilement gérable et moins dangereuse pour le stockage", n'ait pas été poussée plus loin.
Pour lui, "devoir enfouir une ressource et ses déchets – ça reste une ressource tout en étant dangereux – c'est toujours un aveu d'échec de notre société".
Actuellement, il y a un consensus international pour dire qu'il faut stocker les résidus radioactifs en couches géologiques profondes. Selon certaines expertises, la solution idéale serait le forage de puits verticaux à plusieurs kilomètres de profondeur dans la roche pour enterrer l'ancien combustible. Des concepts ont été étudiés dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis. Ils impliquent de renoncer totalement à ces déchets. Pour l'heure aucune solution de ce type n'a abouti et toute idée allant dans la même direction est en passe d'être abandonnée.
La solution choisie en Suisse est donc l'enfouissement en couches profondes: "Une fois que le dépôt sera fait, il y aura une période de monitoring qui va durer entre 100 et 200 ans: ce n'est pas encore tout à fait clair. Tout le site sera contrôlé à l'intérieur et aux alentours. Un programme extrêmement poussé sera développé", affirme le géologue Christophe Nussbaum.
Pour des questions de santé, il précise au micro de CQFD que tout enfouissement sera robotisé en Suisse. Quant à la réversibilité, il dit que "l'idée principale est d'enfouir les déchets et de les laisser". Il souligne que durant les premiers cent ans, la réversibilité sera en effet possible pour les neutraliser ou les recycler, si d'aventure une nouvelle technologie était découverte.
De nos jours, l'énergie nucléaire est internationalement symbolisée par un logo noir sur fond jaune nommé "trèfle radioactif". Qui sait si les espèces qui vont nous survivre le reconnaîtront? Faut-il mettre en place une signalisation encore plus spécifique? "Le thème du marquage est un vaste sujet très débattu. Il y a des gens qui sont pour marquer très clairement le lieu du stockage et d'autres pas du tout", explique Christophe Nussbaum.
"Ignorer où se trouvent ces déchets a peut-être certains avantages: ne pas être tenté d'aller rechercher ces ressources. Il y a vraiment le pour et le contre: c'est un débat philosophique et anthropologique".
Et de conclure: "On considère que le site doit être sûr durant un million d'années. C'est vraiment un temps géologique et pas du tout un temps humain."