L'équipe de Cleo Bertelsmeier au Département d'écologie et évolution (DEE) de l'Université de Lausanne (UNIL) s'est intéressée aux relations entre la circulation des plantes et celle des insectes. Nombre de ces derniers vivent en effet en lien étroit avec des végétaux, qui font office de garde-manger ou de logement.
Doctorant au DEE et premier auteur de la publication, Aymeric Bonnamour a scruté, pour chaque décennie de 1800 à 2010 et pour chaque région du monde, les introductions de plantes et d'insectes répertoriées.
L'héritage de nos ancêtres
"Notre analyse statistique montre que les découvertes actuelles d'insectes en dehors de leur zone native s'expliquent davantage par les flux de végétaux qui remontent au début du XXe siècle que par les flux plus récents", relate le chercheur, cité mardi dans un communiqué de l'UNIL. En d'autres termes, les insectes que nous voyons s'installer aujourd'hui constituent un héritage des plantes que nos ancêtres ont importées il y a une centaine d'années, par exemple pour agrémenter leurs platebandes, cultiver leurs champs, peupler les jardins botaniques ou par accident.
Ce décalage temporel s'explique par plusieurs facteurs. "D'une part, il faut que la plante hôte, une fois dispersée, ait le temps de se multiplier et soit assez abondante pour que les insectes puissent s'y établir de manière durable. D'autre part, il est probable qu'elle doive être introduite de manière répétée pour que ses compagnons de route puissent former une communauté viable. Il se peut aussi que ceux-ci n'aient simplement été repérés que longtemps après leur arrivée effective", détaille Aymeric Bonnamour.
Une bombe à retardement
Sur la base de ce décalage temporel, les biologistes lausannois ont quantifié la "dette d'invasion" actuelle, c'est-à-dire les cas de figure où les plantes hôtes sont déjà implantées sous de nouvelles latitudes, mais les insectes qui les accompagnent n'ont pas encore été détectés. Résultat: ils s'attendent, dans les décennies à venir, à plus de 3400 nouvelles introductions d'insectes hors de leur contrée d'origine, ce qui correspond à une augmentation potentielle de 35% au niveau mondial.
Les zones géographiques où des importations de végétaux exotiques ont eu lieu plus récemment devraient être particulièrement touchées. L'équipe estime ainsi que les découvertes de nouvelles espèces d'insectes pourraient être multipliées par un facteur 10 en Afrique subsaharienne ainsi qu'en Amérique centrale et du Sud, et par un facteur 20 dans la région indomalaise (Asie du Sud-Est et Inde).
Des chiffres "effrayants"
"Ces chiffres sont d'autant plus effrayants qu'ils quantifient uniquement la dette d'invasion à un moment précis: 2010. Ils ne tiennent pas compte du fait que, malgré une certaine prise de conscience, nous continuons actuellement de transporter des végétaux exotiques", s'inquiète Cleo Bertelsmeier.
Selon les auteurs, limiter l'importation de plantes constituerait un facteur-clé pour prévenir les futures invasions d'insectes. Il n'existe toutefois aucune réglementation contraignante au niveau international. Le signalement de plantes ou d'animaux nuisibles repose surtout sur la bonne volonté et les ressources disponibles dans les états touchés.
Plus de 7000 espèces d'insectes vivent aujourd'hui hors de leur habitat originel. Le coût global de leur migration est estimé à quelque 70 milliards de dollars par an. Ces travaux sont publiés dans la revue américaine PNAS.
ats/ld