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Une loupe spatiale pour mesurer la masse d'une galaxie hôte d'un quasar

Le quasar SDSS J0919+2720 et sa galaxie hôte elliptique permettent d'observer, grâce au phénomène de lentille gravitationnelle, la galaxie lointaine qui se trouve derrière. [NASA/ESA - F. Courbin (EPFL)]
Une loupe spatiale pour mesurer la masse d'une galaxie hôte d'un quasar / Le Journal horaire / 28 sec. / le 7 juin 2023
Des scientifiques de l'EPFL ont pu mesurer plus précisément qu'avec n'importe quelle autre technique la masse d'une galaxie hébergeant un quasar. Ce dernier agit comme une lentille gravitationnelle, un phénomène rarissime.

La méthode est trois fois plus précise que les techniques existantes, a indiqué l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) mercredi dans un communiqué. Connaître cette masse permet de mieux comprendre l'évolution des galaxies en général au début de l'Univers, et d'élaborer des scénarios sur la formation des galaxies et le développement des trous noirs.

"Par le passé, on a estimé les masses des galaxies hôtes d'un quasar," explique Martin Millon, premier auteur de l'étude et boursier du Fonds national suisse (FNS) à l'Université Stanford (Etats-Unis). "Mais grâce à l'effet de lentille gravitationnelle, c'est la première fois que nous parvenons à des mesures si précises dans l'Univers distant", ajoute le chercheur.

>> Lire aussi : Un gigantissime trou noir détecté grâce à une lentille gravitationnelle

Un quasar est un phénomène lumineux émis par un trou noir supermassif au centre d'une galaxie qui absorbe la matière environnante (lire encadré). Il est généralement difficile de déterminer la masse d'une galaxie qui héberge un quasar, parce que ces derniers sont des objets très distants, mais aussi parce qu'ils sont si lumineux qu'ils occultent tout ce qui se trouve dans leur périphérie.

Le phénomène de lentille gravitationnelle permet de calculer la masse de l'objet visé. Grâce à la théorie de la relativité d'Einstein, on sait comment des objets massifs à l'avant-plan du ciel – les lentilles gravitationnelles (lire encadré) – peuvent courber la lumière émise par des objets à l'arrière-plan. Il en résulte d'étranges anneaux lumineux, qui consistent en la lumière d'objets en arrière-plan distordue par la lentille gravitationnelle.

Une fois sur un million

Encore fallait-il trouver un quasar, dans une galaxie, qui agisse également comme une lentille gravitationnelle. C'est ce qu'a fait l'astrophysicien de l'EPFL Frédéric Courbin, directeur de l'étude, en utilisant la base de données du Sloan Digital Sky Survey (SDSS), puis le télescope spatial Hubble pour examiner quatre candidats.

Trois d'entre eux ont montré un phénomène de lentille, et un seul se distinguait avec des anneaux caractéristiques des lentilles gravitationnelles: SDSS J0919+2720.

Les occurrences de lentilles gravitationnelles sont très rares: le phénomène n'est visible que dans une galaxie sur mille. Et puisque l'on observe un quasar que dans une galaxie sur mille, un quasar qui agit comme une lentille ne survient donc qu'une fois par million.

Les scientifiques s'attendent à détecter des centaines de ces quasars-lentilles avec la mission EUCLID de l'ESA et de la NASA, qui doit être lancée cet été depuis la Floride par une fusée Falcon-9 de SpaceX. L'équipe de recherche est également constituée de personnes venant d'Allemagne, de Belgique, du Japon et des Etats-Unis; leurs travaux ont été publiés dans la revue Nature Astronomy.

sjaq et l'ats

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Qu'est-ce qu'un quasar?

Modèle théorique des galaxies à noyau actif. [Wikimédia/CC 4.0 - Donald Pelletier]
Modèle théorique des galaxies à noyau actif. [Wikimédia/CC 4.0 - Donald Pelletier]

Quasar

est le nom qui désigne une source de rayonnement astronomique décrite comme "quasi-stellaire" (abrégés parfois en QSO pour "quasi-stellar object"); ce sont les entités les plus lumineuses de l'Univers.

Un quasar est un trou noir supermassif au centre d'une région extrêmement lumineuse nommée "noyau actif de galaxie" (NAG; en anglais Active Galactic Nucleus, AGN); plus précisément encore, c'est la région compacte entourant le trou noir.

La luminosité du quasar, beaucoup plus intense que la normale, est détectable dans au moins un domaine du spectre électromagnétique: les ondes radio, l'infrarouge, la lumière visible, l'ultraviolet, les rayons X ou les rayons gamma. Ces caractéristiques montrent que cette forte luminosité n'est pas d'origine stellaire.

Le rayonnement du NAG résulterait théoriquement de l'accrétion par un trou noir supermassif situé au centre de la galaxie-hôte. La matière est tellement chauffée qu’elle devient un plasma très lumineux à l’origine de jets de matière en relation avec la rotation du trou noir.

L'effet loupe et déformant des lentilles gravitationnelles

Sur cette photographie, la gravité d'une galaxie rouge lumineuse a déformé la lumière d'une galaxie bleue beaucoup plus éloignée: c'est l'effet dit de lentille gravitationnelle.

La galaxie d'avant-plan, LRG 3-757, extrêmement massive, se trouve directement devant une galaxie plus lointaine. En raison du passage de la lumière de la galaxie d'arrière-plan à travers le champ de gravité de la galaxie d'avant-plan, la lumière de la galaxie d'arrière-plan est lentillée par l'environnement spatio-temporel déformé de la galaxie d'avant-plan. Cela donne à la galaxie d'arrière-plan une apparence déformée. [APOD/NASA - ESA/Hubble]
La galaxie d'avant-plan, LRG 3-757, extrêmement massive, se trouve directement devant une galaxie plus lointaine. En raison du passage de la lumière de la galaxie d'arrière-plan à travers le champ de gravité de la galaxie d'avant-plan, la lumière de la galaxie d'arrière-plan est lentillée par l'environnement spatio-temporel déformé de la galaxie d'avant-plan. Cela donne à la galaxie d'arrière-plan une apparence déformée. [APOD/NASA - ESA/Hubble]

En général, une telle déformation donne lieu à deux images discernables de la galaxie lointaine mais, ici, l'alignement de la lentille est si précis que la galaxie d'arrière-plan est déformée en un fer à cheval – un anneau presque complet.

Cet effet de lentille ayant été prédit en détail par Albert Einstein il y a plus de 70 ans, les anneaux de ce type sont aujourd'hui connus sous le nom "anneaux d'Einstein".