L'intelligence artificielle (IA) bouleverse le monde du travail. Ce nouvel outil permet d’augmenter la productivité et des tâches sont automatisées. Les professions se transforment, de nouvelles se créent et d'autres disparaissent.
Cette transition, qui implique des formations, des reconversions et des mesures d'accompagnement, aura un coût. De quelle manière pouvons-nous financer cette évolution? La solution pourrait résider dans une proposition audacieuse: la taxation des robots et de l'intelligence artificielle.
Cette vision n’est pas que théorique. À Lausanne, la Municipalité travaille sur l’idée d'imposer une taxe sur les caisses automatiques des grands magasins, en particulier celles des supermarchés où les clients gèrent eux-mêmes le défilement de leurs articles.
Redistribuer les gains de l'automatisation
Portée par la gauche, cette proposition vise à souligner l'accélération de cette évolution. La productivité augmente. Pour le même chiffre d’affaires, il y a moins de dépenses. Les revenus de cette taxe pourraient donc être destinés à un fonds pour la formation continue du personnel de vente, accompagnant ainsi le changement.
Après un débat d'une heure et demie au Conseil communal de Lausanne fin mai, les deux tiers de l'assemblée ont voté en faveur du projet. Le socialiste Benoît Gaillard, à l'origine de la proposition, voit cette initiative comme une occasion d'élargir le débat.
Les technologies renforcent actuellement la concentration du pouvoir et des richesses
Au-delà des caisses automatiques, il s'agit pour lui de poser une question: qui profite de l'automatisation qui rend certaines tâches humaines inutiles? "Je défends l'idée que ces gains doivent bénéficier aux travailleurs, que ce soit via des augmentations salariales, une contribution à leur formation ou même l'octroi de plus de temps libre. Or, les technologies renforcent actuellement la concentration du pouvoir et des richesses."
Rester compétitif
Cependant, ce type de taxation suscite des critiques. Les détracteurs de la taxation des IA avancent qu'une telle taxe pourrait entraver l'innovation et, par conséquent, risquer de faire perdre à l'économie suisse sa compétitivité à l'échelle mondiale.
Il serait également très compliqué, voire impossible, de définir précisément ce qu'est un robot ou une IA. Un défi considérable, car en matière de fiscalité, il faut être précis, équitable et capable de s'adapter rapidement aux évolutions technologiques.
Xavier Oberson, professeur de droit fiscal à l'Université de Genève et en préparation d'une nouvelle édition de son livre "Taxer les robots", soutient qu'une définition est possible. "Comme nous avons défini la notion de société anonyme il y a un siècle, une création du législateur, nous devrions être capables de définir et taxer les robots et l'IA. Après tout, personne ne conteste l'imposition des sociétés aujourd'hui."
Une idée qui n'est pas nouvelle
Le conseiller national PLR Philippe Nantermod est quant à lui opposé à l'idée de taxer les robots: "Les revenus générés par ces robots sont déjà imposés comme tout autre revenu d'entreprise ou individuel. Pourquoi taxer spécifiquement les machines? On aurait tout aussi bien pu taxer les machines à écrire ou les tournevis dans le passé."
On aurait tout aussi bien pu taxer les machines à écrire ou les tournevis dans le passé
L'idée de taxer les robots n'est pas nouvelle en Suisse. Le débat avait été lancé par la gauche en 2017, sans succès. À l'époque, l'attention était principalement centrée sur les robots industriels, en particulier dans les chaînes de production. Cependant, l'arrivée des IA génératives et des applications comme ChatGPT a élargi la portée et l'accessibilité de l'intelligence artificielle.
L'intelligence artificielle s'implante aussi dans des domaines qui étaient auparavant épargnés, comme la santé et la finance, qui sont maintenant des secteurs privilégiés pour le développement de l'IA générative.
Un débat mondial
Au niveau international, Sam Altman, directeur d'OpenAI, a également relancé le débat. Il propose que les IA reversent de l'argent aux humains sous forme d'actifs numériques, par le biais de son projet Worldcoin. Avant lui, Elon Musk et Bill Gates ont également soutenu l'idée d'une imposition des robots.
"Si un travailleur humain produit une richesse de 50'000 dollars dans une usine, ce revenu est taxé", expliquait Bill Gates en 2017 au site Quartz. "Si une machine vient et fait la même chose, on pourrait penser que l'on impose le robot à un niveau similaire."
Cependant, au cœur de ce débat complexe, une question piquante se pose: si nous réussissons à taxer les IA, comment prévenir les éventuelles stratégies d'optimisation fiscale qu'elles pourraient développer? Ce débat reflète l'essence même du développement technologique: anticiper ses conséquences.
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Pascal Wassmer