Publié

Christophe Champod: "Il y a beaucoup de fantasmes sur la police scientifique"

L'invité de La Matinale (vidéo) – Christophe Champod, policier scientifique
L'invité de La Matinale (vidéo) – Christophe Champod, policier scientifique / La Matinale / 14 min. / le 3 juillet 2023
Les progrès de la police scientifique permettent d'apporter toujours plus de précision dans les enquêtes criminelles. Invité de La Matinale de la RTS, Christophe Champod, directeur de l'Ecole des sciences criminelles de Lausanne, rappelle néanmoins que la certitude absolue n'existe pas et que le doute est au coeur de sa profession.

Les nouvelles techniques en sciences criminelles permettent de plus en plus de résoudre des cas non élucidés. Dans La Matinale de lundi, Christophe Champod explique que de nombreux "cold cases" - des cas au point mort ou qui n'ont pas encore donné de résultats - sont aujourd'hui réinvestigués.

"Typiquement, l'ADN est souvent mise en oeuvre pour pouvoir réinvestiguer, réétudier des scellés, rechercher des traces qui n'avaient pas été trouvées et ceci à la faveur d'une augmentation forte de la sensibilité de ces analyses, donc de la capacité à trouver des traces de plus en plus petites."

Des cas datant des années 90 ont ainsi pu être rouverts. Christophe Champod donne un exemple frappant: "Je travaille en ce moment sur une affaire anglaise où on a détecté sur les habits de la victime deux nouveaux profils ADN qui ne correspondaient pas à la personne mise en cause, qui a fait plus de 15 ans de prison. Ces traces ont pointé sur un nouvel individu par la base de données nationale."

"La science du doute"

Malgré le développement de ces nouvelles techniques, le directeur de l'Ecole des sciences criminelles de Lausanne rappelle que la certitude absolue ne peut pas être atteinte. "Il y a beaucoup de fantasmes sur la police scientifique. Il faut déjà avoir conscience que ça prend du temps. On peut faire des procédures accélérées, on peut faire des analyses ADN en quelques jours, voire quelques heures, mais elles nécessitent un travail qui est laborieux. Et c'est une des difficultés qu'on a avec nos jeunes étudiants. Certains croient que la police scientifique est quelque chose de magique et que toutes les affaires sont résolues dans l'intervalle d'un épisode des 'Experts' et malheureusement ce n'est pas le cas."

Masquer toute incertitude dans mon discours ne serait pas correct par rapport aux connaissances scientifiques en place

Christophe Champod, directeur de l’Ecole des sciences criminelles de Lausanne

Celui qui a oeuvré pour la police scientifique anglaise explique que son travail demande d'être patient et consciencieux, notamment pour rechercher des traces et les préserver. "Une des difficultés dans toutes ces affaires de 'cold cases' est que parfois les échantillons ont mal été préservés ou sont introuvables. On n'a peut-être plus qu'un ou deux habits de l'ensemble des pièces qui ont été saisies, on n'a pas une traçabilité correcte de ces échantillons. La plus grosse difficulté est de pouvoir remonter sur quelque chose qui est basique: être sûr qu'on a la bonne pièce dans les mains et qu'elle n'a pas été modifiée ou altérée."

Christophe Champod explique que le doute est "fondamental" dans son métier. "La police scientifique, c'est la science du doute. C'est paradoxal, puisque qu'on lui demande des réponses. Mais le propre d'un spécialiste dans ce domaine est d'être capable d'expliquer que chaque élément technique s'exprime avec une composante de doute. Alors il n'est pas gigantesque, mais masquer toute incertitude dans mon discours ne serait pas correct par rapport aux connaissances scientifiques en place. Donc oui, en matière d'ADN, en matière de traces papillaires, en matière de traces de semelles, il y a des possibilités relativement modestes - et qui doivent être quantifiées - que la technique oriente dans le mauvais sens."

Quand le marché de la basket aide la police

L'ADN n'est pas la seule technique sur laquelle s'appuie la police scientifique. Christophe Champod explique que les traces de semelles peuvent par exemple laisser des indices très précis. Il en est lui-même devenu un expert. "Le marché débridé des chaussures de sport - les individus qui font des cambriolages ne sont pas en ballerines - engendre une grande variabilité des semelles. Tous les six mois vous avez un changement important dans tous les motifs, les détails de motifs, les spécificités de motifs. Et il y a des fortes chances que sous vos pieds nous puissions assez facilement vous distinguer les uns des autres."

Quand on met bout à bout tous les indices, vous avez des éléments suffisants pour qu'une autorité puisse prendre une décision

Christophe Champod, directeur de l’Ecole des sciences criminelles de Lausanne

Cette reconnaissance des motifs des semelles peut ensuite être couplée avec les usures naturelles de la chaussure. "Vous allez marcher sur des débris de verre, ça va porter quelque chose de supplémentaire, des choses qui sont acquises avec la vie des semelles et qui sont utiles lorsqu'on les retrouve sur des traces."

"La mise en évidence de ces caractéristiques supplémentaires permet encore de réduire l'entonnoir sur les semelles en question, sans aboutir à la certitude absolue. Mais quand on met bout à bout la taille, le motif, les éléments acquis, ça commence à faire un faisceau d'indices solide. Et quand on le combine avec d'autres éléments, qui peuvent être une trace ADN, une trace digitale ou un téléphone portable, vous avez des éléments qui sont suffisants pour qu'une autorité puisse prendre une décision."

Propos recueillis par David Berger

Version web: Antoine Schaub

Publié

La police scientifique au Musée suisse de l'appareil photo

L'exposition "Sur les traces de Reiss" se tient jusqu'en septembre au Musée suisse de l'appareil photographique à Vevey. Elle revient sur le travail de Rodolphe Reiss, qui a fondé à l'Université de Lausanne la première école de police scientifique au monde.

Rodolphe Reiss s'est essentiellement basé sur la photographie, mettant au point des techniques de prises de vues qui sont encore utilisées aujourd'hui. L'exposition détaille ses différentes méthodes et les compare avec les instruments utilisés actuellement.