Modifié

Les petits secrets du satellite Euclid

La plaque artistique "Fingertips Galaxy" fixée sur le satellite Euclid. [ESA]
La plaque artistique "Fingertips Galaxy" fixée sur le satellite Euclid. - [ESA]
Les scientifiques sont des personnes rigoureuses, mais qui aiment ajouter un peu de poésie à leurs réalisations. C'est le cas pour le satellite Euclid, lancé dans l'espace le 1er juillet: une galaxie d'empreintes digitales, quelques vers et de la musique l'accompagnent dans ses pérégrinations cosmologiques.

C'est une plaque noire, plus ou moins au format A4. Une histoire d'art pour une aventure spatiale hors du commun, à la recherche de la composition de la matière et de l'énergie sombres, ainsi que de la raison de l'expansion accélérée de l'Univers. L'œuvre est arrimée au satellite Euclid, dont le lancement réussi a été effectué samedi à Cap Canaveral.

>> Lire : Le télescope Euclid a décollé pour explorer le côté obscur de l'Univers

La traduction des vers du poète Simon Barraclough inscrits sur la plaque Fingertips Galaxy: "Nous devons mettre nos doigts sur les touches, nos marques dans l'espace, pour le mal que cela fait, peut-être pour la survie – Il n'y a pas de lumière non extraordinaire, de matière ordinaire – Nous éclairons pour observer l'obscurité visible". [ESA - Lisa Pettibone]
La traduction des vers du poète Simon Barraclough inscrits sur la plaque Fingertips Galaxy: "Nous devons mettre nos doigts sur les touches, nos marques dans l'espace, pour le mal que cela fait, peut-être pour la survie – Il n'y a pas de lumière non extraordinaire, de matière ordinaire – Nous éclairons pour observer l'obscurité visible". [ESA - Lisa Pettibone]

La "Fingertips Galaxy", toute une galaxie assemblée avec des empreintes digitales, a été créée par l'artiste visuelle Lisa Pettibone et le scientifique Tom Kitching, responsable de l'instrument VIS emporté par Euclid: "Après sa vie Euclid ne fera que flotter dans l'espace. Et si des êtres du futur le trouvaient? Comment connaîtront-ils quoique ce soit sur l'humanité des gens?", se demande-t-il dans une vidéo dévoilant le projet (voir ci-dessous).

Lisa Pettibone résume ainsi l'œuvre: "Elle ajoute un élément d'humanité à un espace sombre et vaste, où, pour autant que nous puissions le voir, il n'y a pas d'autre vie intelligente."

Depuis que le tout premier doigt a laissé sa marque de peinture en 2019 sur une grande feuille de papier, plus de 250 scientifiques et personnes issues de l'ingénierie ont contribué à cette œuvre d'art. Sa nature collaborative veut refléter la nature collaborative du projet Euclid dans son ensemble: "construire quelque chose d'unique dans les deux cas", explique l'Agence spatiale européenne (ESA).

De la peinture à la gravure de précision

Si une galaxie a été choisie, c'est parce qu'Euclid, fabuleuse machine d'imagerie, en observera des milliards jusqu'à 10 milliards d'années-lumière dans le passé afin de dresser une carte en 3D de l'Univers: "Bien qu'Euclid ait toujours été magnifique dans son concept et ses matériaux, il ne disait pas grand-chose sur les personnes impliquées et l'humanité dans son ensemble. Nous nous sommes demandés si nous pouvions faire quelque chose d'artistique qui parlerait aux gens", remarque l'artiste.

"Nous voulions quelque chose d'authentique, qui ne soit pas parfait et qui ne soit pas trop régulier", poursuit Lisa Pettibone: "Le résultat est une œuvre d'art dotée d'une énergie merveilleuse qui capture toute l'énergie des personnes impliquées."

La feuille de papier a été photographiée et gravée sur une plaque à l'aide de lasers du Mullard Space Science Laboratory (MSSL): les mêmes lasers que ceux utilisés pour graver les pièces des satellites. La plaque a été fixée sur l'engin et révélée lors de l'événement "Goodbye Euclid" le 1er juillet 2022, lorsqu'il a quitté Thales Alenia Space à Turin pour se rendre à Cannes afin d'y subir ses derniers tests.

>> Une plaque gravée de manière similaire à celle d'Euclid pour le premier satellite irlandais, EIRSAT-1:

Un poème et des notes de musique

Le responsable scientifique du projet Euclid, René Laureijs, a suggéré d'ajouter un texte à la plaque pour expliquer les idées qui la sous-tendent.

Dans l'idée de la nature artistique du projet, le poète britannique Simon Barraclough a écrit un poème dédié (voir encadré), dont un court extrait a été choisi pour être gravé sur la plaque dans une police de caractères de machine à écrire qui tourbillonne autour de la galaxie des empreintes digitales (voir photo ci-dessus).

Dernier clin d'œil artistique, une liste de chansons a été assemblée par l'ESA. Elle comporte toute une série de titres ayant un rapport plus ou moins rapproché avec cette mission cosmologique: David Bowie s'y demande ce qu'il se passe réellement avec "What's Really Happening?", Muse chante "The Dark Side" et "My Universe", Porcupine Tree et The Cult proposent respectivement le "Dark Matter" et de la "Dark Energy", pendant que le groupe Amaral, très populaire en Espagne, s'intéresse à l'Univers au-dessus de lui avec son tube "El Universo sobre mí".

De quoi patienter – avec aussi Leonard Cohen, Prince, Adele, A-Ha, Elvis Presley, Bruce Springsteen et quelques autres – en attendant les toutes premières données d'Euclid, transmises à notre planète Terre d'ici quelques mois.

>> Lire aussi : Le parachute de Perseverance contenait un message caché

Stéphanie Jaquet, depuis la Floride, pour RTSinfo

Publié Modifié

Le poème "Unextraordinary Light" (lumière non extraordinaire) en entier, en version originale

Le Falcon 9 contenant le satellite Euclid a été mis à la verticale peu avant le lever du Soleil sur le site de lancement SLC-40. Cape Canaveral, Floride, le 1er juillet 2023. [SpaceX]
Le Falcon 9 contenant le satellite Euclid a été mis à la verticale peu avant le lever du Soleil sur le site de lancement SLC-40. Cape Canaveral, Floride, le 1er juillet 2023. [SpaceX]

When I think of the lure, the fly, the hook of Scorpius, the siren of space, I hear Beckett: “It was not enough to drag her into the world, now she must play the piano!”

We must get our fingerprints onto the ivory, paddle and daub the musical stave,
get our notes, our marks into space. For the hell of it. For the ache of it. Maybe for survival.

Eleven minutes per billionaire, a green spree in the vomit comet,
an encomium from an actor with a half-life of half a newspaper column.

The Big Bang didn’t bang and it wasn’t big, but it was clever,
and it’s inside you now, red-shifting your hopes, blue-shifting your fears.

You are the centre of the non-centric non-centre, flying away from yourself,
the Big Bang helter-skelters through the grooves of your fingertips, the mountain ranges on the palm of your hand.

We thought we had it covered but there’s something amiss,
something that doesn’t want to play ball, that doesn’t know what ball is, that hasn’t read the rules.

A home run to a next-door galaxy, a singularity of scorecard maths gone wrong,
a thought so dark it leaves thought reinventing language. Fort-da. Thought-da. Thought-not-there. No da-sein.

We light out to observe the darkness visible.
Milton had it down: Pandemonium. Encomium – that word again – Pandencomium.

The eternal return, Newton prodding the side of his eyeball with a needle, suspecting that sight was contingent, was nothing to rely on, and yet we do.

Our eyes are constantly falling like the Moon but at such a speed we orbit the visible and at the pit of all the light that bathes us we lust for true darkness. Lustre.

But to see our opposable thumbprints on this craft you will need ordinary, common-or-garden, standard, plain, vanilla, workaday, down-to-earth, light to know these unique marks at all. And there is no such thing as unextraordinary light, ordinary matter.

– Simon Barraclough

>> Lire aussi : Le satellite Euclid à la conquête du côté obscur de l'Univers