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Les pouvoirs insoupçonnés des champignons

Les champignons font partie d'un règne à part dans la classification des êtres vivants: celui des fungis ou des mycètes. Ni animaux, ni végétaux, ils sont assez méconnus. Le nombre d'espèces recensées s'élève à 180'000 et il en resterait encore au moins six millions à découvrir.

Leurs caractéristiques sont de posséder des tissus peu différenciés, sans chlorophylle, formés de réseaux de filaments. Ces organismes intéressent de plus en plus le monde scientifique, mais aussi le grand public, surtout en raison de leur capacité à dégrader toutes sortes de produits, comme les plastiques, les tissus, les hydrocarbures ou même des produits phytosanitaires. Notre série d’été revient sur les usages innovants de ces organismes.

Reportages TV: Pascal Jeannerat, Julien Von Roten, Olivier Dessibourg, Jaqueline Pirszel et Clément Bürge
Adaptation web: Sarah Jelassi

La péniciline

Un champignon qui révolutionne la médecine

Les grandes découvertes médicales naissent parfois du fruit du hasard. C’est toute l’histoire de la pénicilline, qui a permis de sauver des millions de vies humaines.

Tout débute en 1928 dans un laboratoire britannique. Le pharmacologue écossais Alexander Fleming travaille sur le Staphylococcus aureus, une bactérie responsable de pneumonies et de méningites. En rentrant de vacances, le chercheur s’aperçoit que ses boîtes de Pétri ont été empilées dans un évier.

La plupart d'entre elles sont couvertes de staphylocoques, mais sur certaines, une sorte de moisissure verdâtre semble avoir bloqué le développement des bactéries. Il comprend que les boîtes en question ont été contaminées par des souches d’un champignon microscopique, le Penicillium notatum, sur lequel travaille son voisin de paillasse. Fleming cultive la moisissure dans un bouillon et découvre qu’il peut en retirer des propriétés antibactériennes.

Portrait d'Alexander Fleming pris en 1949. [AFP]
Portrait d'Alexander Fleming pris en 1949. [AFP]

"Cette moisissure qui vit dans l'environnement agit en défendant son territoire.  Elle produit des substances, dont des antibiotiques, de façon à avoir de la place autour d'elle pour ne pas être gênée dans son garde-manger par des bactéries qui viendraient être en compétition avec elle", explique Jacques Schrenzel, responsable du laboratoire de bactériologie des HUG.

Les débuts restent pourtant balbutiants. Fleming présente ses résultats le 13 février 1929 devant le Medical Research Club dans une certaine indifférence. Il faut attendre dix ans pour que le pathologiste anglais Howard Florey et le biochimiste allemand Ernst Chain reprennent ses travaux. Ils réussissent en 1940 à isoler et purifier la pénicilline, mais les quantités obtenues restent minimes.

600 milliards de doses en 1945

Pendant la seconde guerre mondiale, les deux scientifiques s’envolent pour les Etats-Unis, où les laboratoires Merck et Pfizer croient en la molécule miracle. La pénicilline va déferler sur le monde: en 1945, ce sont plus de 600 milliards de doses qui sont fabriquées par l’industrie pharmaceutique. On l’emploie directement sur les champs de bataille, où elle est au cœur de l'effort de guerre: la molécule permet de sauver des milliers de soldats américains et britanniques d’infections ou d’amputations. Dès la fin de la guerre, les Etats-Unis distribueront des millions de doses à travers le monde.

Aujourd’hui, plusieurs substances tirées de champignons nous montrent le potentiel que recèlent ces organismes dans la recherche médicale. Un exemple avec la cyclosporine, un médicament qui permet d’atténuer les réactions de rejet lors de greffes, ou bien le LSD, qui montre des résultats prometteurs en psychiatrie.

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La pénicilline a sauvé des millions de vies au 20e siècle, suite à la découverte de ses propriétés antibiotiques
La pénicilline a sauvé des millions de vies au 20e siècle, suite à la découverte de ses propriétés antibiotiques / 19h30 / 2 min. / le 10 juillet 2023

Des emballages à base de mycélium

Une solution contre les déchets plastiques?

Au Royaume-Uni, la start-up Magical Mushroom Compagny a réussi à remplacer le plastique par un matériau 100% biodégradable, fabriqué à partir du mycélium, la racine du champignon.

Pour fabriquer ses emballages, l’entreprise mélange le mycélium à des déchets agricoles comme le chanvre. "La substance est ensuite transvasée dans un moule: les déchets permettent au champignon de se nourrir et de croître de façon exponentielle", explique Robert Allen, directeur des opérations.

Le mycélium va créer un réseau de minuscules fibres blanches enchevêtrées à l’intérieur et autour des déchets, remplissant tout l’espace disponible et permettant ainsi de former une structure. "Grâce à la chitine, une colle naturelle produite par le mycélium, le tout est collé ensemble", poursuit Robert Allen. Le processus de production prend environ six jours pour un produit final solide, résistant à l’eau et au feu. "On peut faire différentes formes avec ce même matériel comme des emballages ou des bouteilles… Après utilisation, on peut les jeter au compost", ajoute-t-il.

Bientôt des meubles ou des baskets?

Là où des tonnes de polystyrène encombrent les décharges et polluent les océans, mettant plusieurs centaines d’années à se dégrader, le mycélium retourne à la terre sous la forme de nutriment une fois son cycle de vie terminé.

Mais faire pousser un emballage à base de champignons n’est pas non plus sans risque: la plus petite contamination de l’usine peut mettre en danger sa production. "Si on voit des moisissures sur nos produits, on sonne directement l’alarme. Si un lot est contaminé, on va le jeter pour être sûr qu’il n’y a pas de propagation. Puis on ferme l’usine et on procède à un grand nettoyage", détaille Eddie Ford, un employé de la compagnie.

Malgré ce risque, le mycélium reste un matériel 100% naturel qui offre plusieurs possibilités. Plusieurs entreprises exploitent actuellement son potentiel: certaines l’utilisent pour en faire du cuir, d’autres pensent qu’il sera bientôt possible d’en faire des meubles ou bien encore des baskets.

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Le mycélium, la racine du champignon, peut être utilisé comme emballage naturel et ainsi remplacer la matière plastique
Le mycélium, la racine du champignon, peut être utilisé comme emballage naturel et ainsi remplacer la matière plastique / 19h30 / 2 min. / le 11 juillet 2023

Des biocarburants de deuxième génération

Les transports rendus plus verts

À l’Université de Marseille, au milieu des calanques du campus de Lumigny, des chercheurs étudient depuis plusieurs années un moyen de rendre les transports plus propres grâce à un biocarburant de deuxième génération constitué de champignons et de déchets végétaux.

Ces scientifiques travaillent sur les propriétés naturelles de certains champignons capables de digérer le bois. Plus spécifiquement sur des enzymes fongiques, qui réussissent à dégrader la cellulose végétale en sucres simples. Une fois fermentés puis distillés, ces sucres produisent de l’éthanol, un alcool "vert " que l’on peut mélanger à de l’essence ou à du kérosène.

Une formule qui recèle plusieurs avantages. "Les biocarburants de première génération sont fabriqués à l’aide de céréales, comme le blé ou le maïs. Ceux de la deuxième génération sont produits à partir de résidus agricoles ou forestiers et n’entrent donc pas en compétition avec l’alimentation humaine ou animale", détaille Jean-Guy Berrin, chef en biotechnologies fongiques à l’Ecole polytechnique de Marseille.

Faisable à l'échelle industrielle

À Reims, un projet pilote de l’IPFEN (l’Institut du pétrole et des énergie nouvelles) s’est penché sur la viabilité de ce biocarburant s’il était produit à grand échelle. "On a pu montrer que la conversion de biomasse en éthanol était faisable à l’échelle industrielle. Aujourd’hui, ce procédé est commercialisé par notre filiale, avec un projet d’usine en Croatie et un projet d’usine en France. Mais ces unités industrielles devront être soutenues par l’Etat, car cela reste des procédés qui sont chers à mettre en œuvre", explique Antoine Mageot, chef du département de biotechnologie à l’IFPEN.

Complexité, cherté, lenteur de production: les biocarburants de deuxième génération ont encore quelques imperfections. Mais la science n’a peut-être pas dit son dernier mot: "Au laboratoire, nous disposons d’une collection de 3000 souches, qui ont toutes des propriétés différentes. Nous étudions ces champignons pour trouver des enzymes plus robustes et plus efficaces. Avec les technologies dont on dispose aujourd’hui, il est tout à fait envisageable d’accélérer les procédés de ces biocarburants", assure Jean-Guy Berrin.

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La production de biocarburants de 2ème génération à l'aide de champignons
La production de biocarburants de 2ème génération à l'aide de champignons / 19h30 / 2 min. / le 13 juillet 2023

Décomposer les hydrocarbures

A la rescousse des sols pollués

Dans la nature, les champignons ont des propriétés enzymatiques qui permettent de décomposer facilement les feuilles ou le bois mort. Mais ces organismes sont capables de bien plus: ils peuvent également dégrader les hydrocarbures comme le pétrole ou l’essence.

Non loin de Genève, l’entreprise française Yphen produit des microsphères de mycélium capables de dépolluer les terres et de restaurer les sols dégradés. Dans leur mycothèque, une trentaine de souches fongiques sont soigneusement stockées. "Les microsphères sont jetées sur des terres polluées et se transforment en mycélium. Leurs filaments vont ensuite se répandre dans le sol pour aller chercher le polluant. C’est à travers ce réseau que le champignon va réussir à pomper les hydrocarbures, les dégrader et les utiliser comme source de nourriture" détaille son président Gil Burban.

Une technique que l’on nomme la bioremédiation. Pour dépolluer les sols, la méthode se base sur différents micro-organismes: champignons, bactéries ou plantes.

Un réseau de mycélium se forment sur un morceau de bois. [AFP - STEPHANE VITZTHUM]
Un réseau de mycélium se forment sur un morceau de bois. [AFP - STEPHANE VITZTHUM]

Une solution récemment exploitée par Clémence Giet, ingénieure en environnement, pour dépolluer les sols d’une gravière genevoise. Le mycélium a permis de sauver plusieurs dizaines de mètres cubes de terre polluée, normalement jetée. "L’idée est de se débarrasser des hydrocarbures pour pouvoir réutiliser cette terre sur des chantiers, ou comme matière première pour la construction", explique la jeune femme.

Le mycélium met jusqu’à six mois pour effectuer son travail. Selon les spécialistes, la dépollution à l'aide de micro-organismes vivants n’en est qu’à ses débuts. En Europe, les travaux sur les champignons dépollueurs sont rares, la majorité des chercheurs se concentrant sur les bactéries. "La technique est prometteuse mais elle reste relativement peu connue en Suisse", souligne Elena Havlicek, collaboratrice scientifique à l’Office fédéral de l’environnement. "Chaque méthode doit être créée spécifiquement en fonction du lieu et du type de sol que l’on doit traiter. On doit aussi déterminer quel type de micro-organisme est capable de mieux désintégrer le polluant en question", poursuit-elle.

Dioxines et PFAS plus compliquées à dégrader

Pour l’instant, les microsphères fabriquées par l’entreprise Yphen sont capables de dégrader des produits simples. "C’est le cas pour les hydrocarbures. Mais de nouvelles molécules se retrouvent dans les sols, comme les dioxines ou les PFAS.  Elles sont plus compliquées à dégrader et font actuellement l’objet de recherche ", ajoute Gil Burban.

Aux Etats-Unis, plusieurs études ont démontré que les champignons sont aussi capables de décomposer des métaux lourds tels que le mercure ou le plomb. Entre le nettoyage des eaux usées et l’assainissement des sols contaminés, la dépollution par micro-organismes ouvre un nouveau champ des possibles.

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Des champignons peuvent dépolluer nos sols
Des champignons peuvent dépolluer nos sols / 19h30 / 2 min. / le 12 juillet 2023

Champignons comestibles

Des vertus encore insoupçonnées

On dénombre environ un millier de champignons comestibles. Les hommes y ont très vite décelé des vertus insoupçonnées: il y a trente ans, on retrouvait dans les Alpes austro-italiennes la dépouille momifiée d’Ötzi, un homme du Néolithique assassiné il y a près de 5000 ans. L’homme transportait dans sa besace deux variétés de champignons. "On a retrouvé sur lui un amadou, champignon connu pour sa capacité à faire du feu, et un polypore, que l’on utilisait principalement comme vermifuge.

En 4000 avant J.C., on trouve déjà des traces de dessins de champignons sur des tablettes" explique Katia Gindro, responsable du groupe mycologie à l’Agroscope de Nyon.

Un super-aliment

En Suisse, la production industrielle reste timide et beaucoup de ses qualités nutritionnelles restent méconnues. "Le champignon est ce que l’on peut nommer un super-aliment. Il est encore sous-estimé en Europe et en Suisse. Pourtant, il a un profil très intéressant: il est bourré de minéraux et de vitamines. Il possède aussi des glucides complexes qu’on appelle les phospholipides et qui sont des molécules connues pour booster le système immunitaire. L’intérêt nutritionnel est très intéressant étant donné que c’est un produit local, que l’on peut trouver facilement", détaille Ella Ödman, nutritionniste.

Sans le savoir, nous en consommons quasiment tous les jours sous des formes surprenantes. "Peu de gens savent qu’on utilise la culture de champignons filamenteux pour produire des arômes et des colorants alimentaires. Et on a tendance à oublier qu’ils sont à la base de bien des plaisirs, à commencer par la levure qu’on utilise dans le pain ou dans la bière", conclut Katia Gindro.

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Les qualités nutritionnelles des champignons sont encore largement sous-estimées
Les qualités nutritionnelles des champignons sont encore largement sous-estimées / 19h30 / 2 min. / le 14 juillet 2023