Alexandra Calmy: "Le sida véhicule toujours beaucoup de préjugés et de peurs"
A la mi-juillet, un patient genevois a été déclaré en rémission du sida après une greffe de moelle osseuse, une avancée majeure dans la recherche contre cette maladie qui a mis en avant au niveau mondial Alexandra Calmy et ses équipes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Pour la médecin genevoise, cette découverte est un "accomplissement", pour ses recherches et surtout pour les patients, mais c'est aussi "un espoir pour toute la communauté des personnes qui vivent avec le VIH". Alors qu'aucun vaccin n'a pu être trouvé en 40 ans de recherches, malgré quelques bonnes nouvelles comme les trithérapies, cette avancée permet d'espérer que les cas de rémission ne soient plus une exception.
Une combinaison de traitements
"Je pense qu'un jour on arrivera à soigner le sida", juge Alexandra Calmy, professeure au Service des maladies infectieuses des HUG, dans l'émission de la RTS #Helvetica. Et d'ajouter: "Je disais toujours à mes patients que ce serait avant ma retraite, maintenant je dis que ce sera avant ma mort."
Pour expliquer cet optimisme, la médecin revient sur cette découverte annoncée récemment: si on ne peut pas guérir du VIH-sida, c'est parce que le virus se trouve dans des réservoirs cellulaires qu'il s'agit de vider. Et ce but a été atteint chez le patient genevois avec la greffe de moelle.
Je pense qu'un jour on arrivera à soigner le sida
Mais alors que près de 40 millions de personnes vivent avec le VIH aujourd'hui dans le monde, l'objectif n'est pas de toutes les greffer, précise Alexandra Calmy, car "ce serait bien trop dangereux". Il s'agit plutôt de comprendre le mécanisme qui a permis le succès de l'opération dans cette situation particulière.
La professeure estime qu'il sera bientôt possible, tout d'abord pour un nombre limité de personnes qui ont certaines caractéristiques, de contrôler ce réservoir du VIH sans traitement ou sans traitement pris de manière continue. Il faudra pour cela combiner plusieurs options thérapeutiques et pas uniquement un seul traitement.
Une maladie toujours stigmatisée
Après plus de 20 années consacrées à la lutte contre le sida, Alexandra Calmy souligne que l'arrivée des trithérapies et le fait qu'on ne meurt plus du sida en Suisse aujourd'hui sont le grand succès du 20e siècle. A ses yeux, le VIH était l'un des grands enjeux dans les années 80 et le début des années 90, au même titre que la Guerre froide ou Tchernobyl, car 80% des personnes atteintes en mouraient. "Il y avait une urgence autour du VIH-sida pour trouver un traitement, pour soigner les gens."
A l'époque, le sida faisait très peur. Alors qu'elle se rendait en Haïti, qui était perçu comme l'un des foyers du VIH, quand elle était étudiante, on lui a dit qu'elle était folle, qu'elle allait revenir contaminée. C'est là qu'elle a compris que les patientes et patients déjà atteints dans leur santé souffraient en plus d'une discrimination majeure. "Or, dans une maladie, il n'y a pas de coupables, personne ne doit se sentir coupable de quoi que ce soit."
La stigmatisation liée au virus du VIH reste très prégnante
Si la maladie ne focalise plus l'attention médiatique, Alexandra Calmy relève qu'elle véhicule toujours "beaucoup d'images négatives, de préjugés, de peurs" et que "la stigmatisation liée au virus reste très prégnante". Ses patients lui confient fréquemment avoir vécu ces discriminations, même durant les soins, ce qui les conduit parfois à taire leur maladie. "C'est très intime, on ne dit pas à tout le monde qu'on est porteur ou porteuse du VIH."
La prévention reste aussi un enjeu majeur, même si elle est plus discrète et ne s'adresse plus à toute la population. "Dans les années 90, tout le monde avait en tête le fameux préservatif rose des campagnes de prévention", se souvient l'infectiologue. Aujourd'hui, on s'adresse aux groupes qui sont le plus à risque, même s'il n'est pas simple d'individualiser les messages de prévention.
De violentes attaques durant la pandémie de Covid-19
En tant que spécialiste des maladies infectieuses, Alexandra Calmy s'est aussi intéressée à d'autres maladies durant sa carrière, notamment Ebola. Et, plus récemment, elle a été particulièrement médiatisée en tant que membre de la task force contre le Covid-19. Une période "fascinante", à ses yeux, parce qu'elle a concentré en quelques mois les mêmes enjeux de santé publique que 40 ans de VIH, des traitements à la prévention en passant par les peurs.
Le Covid a changé la société en Suisse, cela nous a montré quel regard on pouvait avoir sur les patients
Mais c'était également une période de vive inquiétude: "Le Covid a changé la société en Suisse, cela nous a montré quel regard on pouvait avoir sur les patients. On a dû subitement expérimenter les peurs et les incertitudes dans le métier de soignant et celles des patients qui ne savaient pas ce qui allaient leur arriver." Pour elle, il était difficile en tant que médecin de rassurer un patient quand on ne sait pas ce qui va se passer, quand on sait qu'on n'a pas de traitement. "Cette crise a toutefois permis d'apprendre beaucoup de choses", conclut-elle.
Les attaques, parfois violentes et même sur un plan très personnel, ont aussi été très difficiles et la médecin a fini par quitter les réseaux sociaux pour se protéger. "Il y avait une distorsion de l'information qui prenait appui sur la difficulté qu'on avait à donner des réponses solides parce qu'on n'en avait pas. C'est dans cette brèche faite d'incertitudes que se sont jetés des gens qui avaient eux des certitudes pas fondées sur des preuves et dangereuses."
Propos recueillis par Elisabeth Logean
Adaptation web: Frédéric Boillat
"Je suis très admirative du parcours de ma mère"
A 54 ans, Alexandra Calmy se souvient de son voyage à Haïti quand elle en avait 17. Elle qui voulait faire de la politique ou du journalisme a alors changé de voie. "Je me suis dit qu'en tant que médecin, je pouvais amener une petite pierre à l'édifice."
Mariée à un médecin et maman de trois filles qui étudient la médecine, l'infectiologue n'a pourtant pas toujours baigné dans le milieu médical. Sa mère Micheline Calmy-Rey a été conseillère d'Etat à Genève, conseillère fédérale et présidente de la Confédération. "J'ai beaucoup de fierté, je suis très admirative du parcours de ma mère. Elle a eu un parcours exceptionnel." Et de souligner que c'est aussi le parcours d'une travailleuse et un modèle pour beaucoup de femmes "et aussi pour moi". "Quand on veut, on peut, quand on travaille, on peut y arriver" est notamment un principe qu'elle lui a appris.
Alexandra Calmy confie aussi ne pas avoir eu de mal à se construire aux côtés d'une maman au premier plan de l'attention. "J'étais déjà adulte et j'ai pu me construire dans un milieu complètement différent, le milieu médical."
Evoquant la carrière de sa mère et la sienne, la médecin relève qu'être une femme avec un parcours singulier est encore aujourd'hui particulier: "On a toujours l'impression qu'on doit se défendre de quelque chose pour y arriver." Et d'espérer que si c'est encore un enjeu pour les jeunes filles aujourd'hui, ce ne sera plus le cas pour les générations futures. "Etre une femme aujourd'hui dans le monde professionnel est compliqué parce qu'il y a toujours des attentes, notamment liées à la construction d'une vie familiale."