Modifié

Comment soigner en prison? Immersion dans la médecine pénitentiaire

Vignette 36.9° "Médecine pénitentiaire" [Capture d'écran / RTS]
Soigner en prison / 36.9° / 45 min. / le 18 octobre 2023
L’enjeu est le même dans tous les établissements pénitentiaires: faire cohabiter deux logiques très différentes, celle de la sécurité et celle de la médecine. L’État doit garantir des soins appropriés aux malades emprisonnés. Ne pas remplir ce devoir est une violation des droits humains pour laquelle la Suisse est régulièrement pointée du doigt. L'émission 36.9° a pu entrer filmer en immersion le travail de la médecine pénitentiaire à la prison de La Chaux-de-Fonds.

Cette prison compte 112 places de détention, uniquement pour des hommes. Ils sont répartis par secteurs qui séparent les différents régimes, comme les détentions avant jugement (prison préventive) et les exécutions de peine. Derrière ses murs se trouvent donc une multitude de profils, de l'innocent présumé au grand délinquant.

"La majorité de la population doit penser qu'on est avec des personnes qui sont invivables, mais finalement les liens dans la relation soignants-soignés sont identiques à ceux de l'extérieur. Je dirais que les détenus sont des patients comme les autres" commente Maxime Sindt, infirmier chef adjoint d'unité de soin au Centre Neuchâtelois de Psychiatrie.

Les personnes qui passent par la prison sont souvent des personnes qui arrivent avec beaucoup de problèmes de santé différents.

Dr Dominique Marcot, Médecin Chef de la Filière légale, CNP, Centre Neuchâtelois de Psychiatrie

En Suisse, chaque canton est responsable de l'incarcération et des soins de santé en prison. Le modèle choisi à Neuchâtel, c'est une équipe infirmière présente du lundi au vendredi de 7h30 à 18h00 et la présence deux jours par semaine d'un médecin psychiatre et d'un généraliste.

Par courrier, les personnes détenues peuvent faire des demandes variées en rapport avec leur santé. Des demandes qui peuvent aller de la crème hydratante au rendez-vous de dentiste.

Bilan de santé à l'entrée

Lors d'une entrée, une consultation médicale est obligatoire dans les 24 à 48 heures pour un premier bilan de santé. La personne sera ensuite revue une deuxième fois par le médecin généraliste. Dépistage de maladies infectieuses, mise à jour des vaccins, prévention, même si la prison n'est pas conçue pour être un lieu de soins, elle peut être l'occasion de prendre en charge des problèmes de santé passés sous le radar.

"Les personnes qui passent par la prison sont souvent des personnes qui arrivent avec beaucoup de problèmes de santé différents. Du point de vue somatique et du point de vue psychiatrique. Elles sont en moins bonne santé que la population générale, donc c'est d'autant plus important de pouvoir répondre à leurs besoins, de pouvoir leur permettre d'avoir les médicaments nécessaires, d'avoir les soins, les examens médicaux qui vont leur permettre d'aller mieux", précise le Dr Dominique Marcot, Médecin Chef de la Filière légale au Centre Neuchâtelois de Psychiatrie.

C'est certain que le 99% des prisons du monde rendent malade. C'est extrêmement rare que les prisons soient vraiment créatrices de santé.

Prof. Hans Wolff, président de la conférence des médecins pénitentiaires suisses (CMPS)

La punition, c'est la privation de liberté et non pas la privation de soins. L'État doit garantir des soins appropriés en prison. Le fait de ne pas répondre aux besoins médicaux d'une personne détenue constitue une violation des droits humains et de la liberté fondamentale.

"La Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) accorde une place très importante à la santé. Elle dit que la santé est un droit qui doit être respecté, l'accès aux soins doit être garanti en tout temps et l'équivalence de soins doit être appliquée, c'est-à-dire que la qualité des soins en prison doit être la même qu'à l'extérieur de la prison. Par exemple, le secret médical doit y être respecté. L'indépendance des services de santé en prison devrait également être respectée, c'est-à-dire l'indépendance par rapport aux autorités judiciaires et pénitentiaires parce que c'est seulement comme ça que le patient détenu va avoir confiance en son médecin", ajoute le professeur Hans Wolff, président de la Conférence des médecins pénitentiaires suisses (CMPS).

La médication pour supporter le stress

Pourtant en Suisse, une majorité des services médicaux sont encore sous la hiérarchie de l'établissement pénitentiaire. A La Chaux-de-Fonds, et depuis 2015, le service médical est engagé par une institution externe.

Les détenus peuvent être enfermés 23 heures sur 24 pendant des mois et, dans certains cantons, dans des cellules surpeuplées. La médication est souvent le seul moyen de supporter ce stress. C'est aussi une grande partie du travail du personnel de santé de la prison qui est responsable de la préparation des traitements.

"C'est certain que le 99% des prisons du monde rendent malade. C'est extrêmement rare que les prisons soient vraiment créatrices de santé. Notamment parce que ces éléments qui sont nécessaires pour la réinsertion ne sont pas suffisamment développés dans la majorité des prisons", affirme le professeur Hans Wolff.

L'exemple des prisons norvégiennes

La Suisse, petit pays de près de 9 millions d'habitants, avec 26 cantons et presque 26 systèmes d'incarcérations différents, possède 89 établissements pénitentiaires. Des prisons de tailles complètement hétérogènes - la plus petite se trouve à Appenzell avec cinq places et les plus grandes avec presque 400 places à Zurich et Genève.

De plus, un tiers des personnes incarcérées sont en préventive, avec seulement une heure de sortie par jour, parfois un peu plus selon le canton. Du temps où les prisonniers sont inactifs et n'ont que peu de contact avec l'extérieur. Une situation inadmissible pour la Commission internationale de prévention de la torture.

Miser sur l'occupation et la préparation à la sortie, c'est la meilleure protection contre le risque de récidive. Un pays comme la Norvège l'a compris et prouvé. "Le système norvégien avait énormément de problèmes dans les années 90, il y avait beaucoup de violences, de meurtres, notamment sur des agents de détention. Et puis le gouvernement a pris des responsabilités et a décidé de changer cela. Ils ont massivement investi dans des structures mais également dans la formation des agents de détention", observe le professeur Hans Wolff.

Éviter l'isolement

Une conférence sur la médecine pénitentiaire a réuni des professionnels en mai à Morat. L'occasion d'entendre Are Høidal, ancien directeur de Halden, la première prison modèle de Norvège. "En Norvège, avant que l'on construise la prison de Halden, les prisons ressemblaient à des prisons. Halden ne ressemble pas à une prison. Bien sûr, nous avons le grand mur autour mais quand nous sommes à l'intérieur cela ne ressemble pas à une prison. Et pendant l'exécution de la peine, la vie doit ressembler le plus possible à celle de l'extérieur. Je pense que le plus important c'est que les personnes détenues aient quelque chose à faire toute la journée. Ils ne restent pas dans leur cellule, ils sont dehors et font quelque chose de positif. Ils vont au travail, à l'école, ont des activités, parlent avec d'autres personnes. C'est sur ça qu'on se concentre à la prison de Halden, les détenus ne doivent pas être isolés, je pense que c'est ça le plus important."

Je pense que le plus important c’est que les personnes détenues aient quelque chose à faire toute la journée. C’est sur ça qu’on se concentre à la prison de Halden, les détenus ne doivent pas être isolés, je pense que c’est ça le plus important.

Are Høidal, ancien directeur de la prison de Halden, Norvège

En mettant l'accent sur le retour en société, la Norvège a réussi à faire baisser son taux de récidive de manière spectaculaire. En 1987, ce taux, cinq ans après la libération, dépassait les 70%. En 2018, il chute à 20%.

Pour Are Høidal permettre le travail, la formation et l'accès aux soins en prison, c'est le meilleur moyen de protéger toute la société.

"Le but de la réinsertion, je pense qu'il est honnête. Toutes les personnes qui travaillent en prison souhaitent faire ça, mais elles n'ont pas assez de moyens. Elles travaillent dans des structures vétustes, surpeuplées, qui manquent de personnel, qui manquent de formations, qui manquent de personnes externes pour préparer la sortie de la prison… Tout ça pourrait être amélioré surtout en Suisse romande", conclut Hans Wolff.

Reportage TV: Vanessa Bapst-Schweizer

Adaptation web: Gaëlle Bisson

Publié Modifié