Les secrets de la dalle de Saint-Bélec, la carte d'un territoire préhistorique
"On essaie de mieux contextualiser la découverte, d'avoir des éléments de datation et de vérifier s'il reste des fragments", explique l'archéologue Yvan Pailler, professeur à l'Université de Bretagne occidentale (UBO), sur le chantier de fouilles du tumulus de Saint-Bélec, à Leuhan (Finistère), dans les montagnes noires bretonnes.
C'est en fouillant ce tombeau que Paul du Chatellier (1833-1911) avait découvert la dalle gravée en 1900, avant qu'elle ne tombe dans l'oubli pendant plus d'un siècle: "Ne nous laissons pas égarer par la fantaisie, laissant le soin à un Champollion, qui se trouvera peut-être un jour, de nous en donner la lecture", avait alors écrit l'archéologue, en référence à Jean-François Champollion, connu pour avoir déchiffré les hiéroglyphes.
Ce travail de décryptage, Yvan Pailler et le chercheur au CNRS Clément Nicolas l'ont déjà en partie mené depuis qu'ils ont retrouvé la dalle, en 2014, dans une cave du Musée d'archéologie nationale (MAN) de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Dès le début, "il y avait quelques symboles gravés qui ont fait sens tout de suite", comme la vallée de l'Odet, un fleuve côtier, se souvient Yvan Pailler.
Pour confirmer leur intuition initiale, les deux chercheurs font réaliser un scan en trois dimensions de ce bloc de 2,20 mètres sur 1,53, pour la comparer aux cartographies actuelles selon une méthode statistique. La similarité de la dalle avec la topographie actuelle atteint 80%: "On a repéré le réseau hydrographique, le relief des montagnes noires", explique Clément Nicolas. "Il nous reste à identifier tous les symboles de forme géométrique, la légende qui va avec, les routes..." Dans une vidéo de l'Université de Brest, il souligne: "Pour l'heure, cela constitue la plus ancienne carte préhistorique d'un territoire reconnu en Europe."
Les symboles les plus mystérieux sont ces nombreuses petites cupules, des creux circulaires de 1 à 10 millimètres de diamètre dont est percée la dalle, qui pourraient représenter des tumulus, des habitations ou bien des gisements géologiques.
>> La dalle gravée mégalithique de Saint-Bélec en 3D :
Dalle gravée mégalithique de Saint-Belec by archeonationale on Sketchfab
"C'est une carte aux trésors"
Il va falloir "arpenter le territoire" pour "repérer les sites qui sont figurés sur la carte", souligne Clément Nicolas. Un travail qui va "nous prendre une bonne quinzaine d'années", dit-il.
"Partir de la carte pour essayer de trouver des sites archéologiques, c'est génial comme démarche. On ne travaille jamais comme ça", sourit Yvan Pailler: "C'est une carte aux trésors." Il précise dans une vidéo de l'Université de Brest que, comme la dalle correspond au paysage environnant, "cela montre que les gens de l'Âge du Bronze étaient capables de conceptualisation".
Entreprise à partir de vues aériennes ou en prospection pédestre, cette étape permettra d'apporter la preuve définitive du caractère topographique des gravures. Mais aussi de dater plus précisément la carte: "C'est la datation de ces sites qui va nous donner une fourchette pour la datation des gravures", souligne Clément Nicolas.
Lors du chantier mené cet automne, les fouilles ont permis de découvrir une pointe de flèche en silex dans le tumulus de Saint-Bélec, "l'une de plus grosses tombes de l'Age du bronze en Bretagne", selon Yvan Pailler.
Changement de pouvoir?
Ont aussi été sortis de terre cinq nouveaux fragments gravés issus de la dalle, qui avait été brisée avant d'être réutilisée comme paroi d'une tombe. Ce réemploi pourrait être le signe d'un changement de pouvoir à la fin de l'Âge du Bronze ancien, en Bretagne.
Cadastre et signe d'autorité sur un territoire, la dalle gravée représenterait un territoire de 30 kilomètres de long et 21 de large et serait contemporaine de ces princes d'Armorique, régnant sur "des petits royaumes sans écriture" très centralisés, selon Clément Nicolas.
Ces "élites toutes puissantes" ont "peut-être été renversées" et "la carte gravée n'avait plus de sens et a été condamnée en étant brisée pour servir de matériau de construction", suggère-t-il.
sjaq et l'afp