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Artémis: un Neuchâtelois à la recherche d'un temple grec disparu

Reconstitution du temple d'Artémis [Climage]
Reconstitution du temple d'Artémis - [Climage]
Quel lien y a-t-il entre un géographe de la Grèce antique, un moine copiste du Moyen Âge et un archéologue du XXe siècle? On imagine un scénario à mi-chemin entre "Le nom de la Rose" et "Indiana Jones". C'est pourtant d'une histoire vraie qu'il s'agit, celle de la quête d'un temple grec disparu depuis des siècles et retrouvé grâce à la persévérance de Denis Knoepfler, un archéologue neuchâtelois. C'est cette quête - et son dénouement - que décrit le documentaire "Artémis, le temple perdu".

Avec ses indices, fausses pistes et indics plus ou moins crédibles, une fouille archéologique ressemble beaucoup à une enquête criminelle. Une différence notable toutefois: l'enquête en question se déroule souvent des milliers d'années après les faits. Un "very very cold case" donc. C'est le cas du sanctuaire d'Artémis, en Grèce, construit dès le VIIe siècle avant notre ère et dont on a perdu la trace depuis l'avènement du christianisme dans le pays.

Une disparition mystérieuse

Les habitants de la cité antique d'Érétrie, sur l'île d'Eubée, vouaient un culte particulier à Artémis, fille de Zeus et Léto, sœur jumelle d'Apollon. Les foules venaient de loin pour visiter son sanctuaire et honorer la déesse. Avec ses quelque 20'000 habitants, Érétrie figurait parmi les cités les plus importantes de la Grèce antique. Alors pourquoi ne trouve-t-on pas les vestiges du temple? Ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé.

Dès le XIXe siècle, des archéologues ont cherché ce site dont l'existence est connue grâce aux écrits du géographe Strabon (63 av. J.-C. - 23 ap. J.-C.). Celui-ci le situait à sept stades (environ 1500 mètres) du centre de la cité, juste à l'extérieur de ses murs. Avec l'essor du christianisme, le polythéisme grec finit par s'essouffler et les blocs de marbre des temples sont récupérés, le bronze des statues refondu. Malgré cela, les sites les plus importants de l'Antiquité grecque ont pu être localisés, alors que l'emplacement du sanctuaire d'Artémis est resté un mystère.

Dans les années 1960, en raison du boum immobilier d'Érétrie, les autorités grecques demandent aux chercheurs de tout faire pour sauvegarder les vestiges antiques à l'intérieur des remparts de la cité. Plus aucune chance de trouver le temple de la déesse. En 1966, lorsqu'il arrive en Grèce pour la première fois, Denis Knoepfler a 22 ans et une curiosité insatiable. Le jeune homme, stagiaire archéologue, se met en tête de localiser le sanctuaire perdu. Il commence par chercher des blocs de marbres portant des inscriptions antiques dans l'arrière-pays, loin des fouilles initiales.

Une église de la région d'Amarynthos dont les murs utilisent des blocs de marbre antiques. [Climage]
Une église de la région d'Amarynthos dont les murs utilisent des blocs de marbre antiques. [Climage]

Denis Knoepfler repère ainsi une zone où ces blocs sont nombreux, environ dix kilomètres à l'est d'Érétrie. Ils sont désormais utilisés dans des constructions plus récentes telles que des églises. Pour lui c'est désormais clair: le sanctuaire d'Artémis se trouve dans cette région. Mais pourquoi un érudit renommé comme le géographe Strabon se serait-il trompé à ce point lorsqu'il a situé le sanctuaire? L'archéologue suisse a une hypothèse: l'erreur de transcription du moine copiste qui a traduit l'ouvrage de Strabon au Moyen Âge.

L'erreur d'un moine distrait

Dans l'alphabet grec antique, des lettres servent également à exprimer des nombres. Ainsi, la lettre zeta vaut 7 et la lettre ksi 60. Et par malheur, ces deux lettres se ressemblent. Dans sa transcription, le moine distrait aurait pris le ksi pour un zeta, situant ainsi le sanctuaire à 7 stades de la cité au lieu de 60 stades. On passe de 1,5 kilomètre à 10 kilomètres. Denis Knoepfler en est sûr, les recherches sont faites au mauvais endroit. Malgré tout, ses confrères ne croient pas à sa théorie et durant vingt ans, la zone repérée par l'archéologue suisse n'est pas fouillée.

Les lettres "zeta" et "ksi" dont les graphies très proches sont certainement à l'origine de l'erreur d'un moine copiste. [Climage]
Les lettres "zeta" et "ksi" dont les graphies très proches sont certainement à l'origine de l'erreur d'un moine copiste. [Climage]

Il faudra attendre le début des années 2000 et l'arrivée de Sylvian Fachard, jeune archéologue suisse, pour que la situation évolue. Lui croit à la théorie de son confrère suisse et ils fouillent dès lors ensemble le site repéré par Denis Knoepfler. Mais là encore sans résultat. C'est seulement en 2006, grâce à un coup de chance, que la situation se débloque enfin. A cette date en effet, la construction d'une villa met à jour un bloc de marbre gravé. Le doute n'est plus permis; le temple d'Artémis n'est pas loin.

Il reste pourtant un dernier obstacle: les propriétaires des terrains s'opposent aux fouilles. Tout s'arrête durant cinq ans. Le travail reprend en 2012, lorsque des négociations aboutissent enfin et, dès 2017, les découvertes se succèdent. Au total, plus de 600 offrandes sont mises au jour, une concentration d'objets exceptionnelle pour un temple antique. Après 50 ans d'efforts et de patience, la quête a fini par aboutir.

Disponible jusqu'au 3 février 2024

Les Documentaires RTS, Franck Sarfati

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"Nous avons eu de la chance dans notre malchance"

En 1988, vingt ans après le début des investigations, Denis Knoepfler publie une nouvelle hypothèse. Il y décrit l'erreur de retranscription qui a placé le sanctuaire sur le mauvais site (lire ci-dessus). Mais les obstacles s'accumulent. Les autorités grecques, par exemple, veulent se réserver cette découverte prestigieuse et il faut attendre le départ de la responsable locale pour négocier une permission de prospecter.

Denis Knoepfler
Denis Knoepfler

C'est seulement en 2017, lors de la dernière heure du dernier jour de fouille que l'archéologue neuchâtelois demande qu'on retourne un bloc de marbre mis au jour. Apparaît alors une inscription gravée, un traité politique essentiel à l'identification du site. Cette fois le doute n'est plus permis, le sanctuaire d'Artémis se trouve bien là.

Pour Denis Knoepfler, fouiller durant des décennies le mauvais site s'est finalement avéré être un mal pour un bien. Car "si on était tombé directement sur le temple, on aurait été accaparé par ce seul vestige". Or celui-ci n'est qu'une partie d'un tout bien plus important dont il reste beaucoup à découvrir.