Près de 10 ans après avoir acheté WhatsApp pour la somme de 19 milliards, Mark Zuckerberg, le patron de Meta, veut récolter les fruits de son investissement. Jusqu'ici, il avait laissé l'application relativement tranquille. Il faut dire qu'y toucher est toujours risqué, tant elle est entrée dans l'intimité des utilisateurs.
Mais aujourd'hui, Meta a besoin de cash. Echec du Métavers, suppression d'un tiers des effectifs, régulation de l'Union européenne qui met en péril le modèle de la publicité hyper-ciblée ou procès contre Facebook et Instagram aux Etats-Unis pour atteinte à la santé mentale des jeunes. La période est compliquée pour le géant américain.
WhatsApp pourrait représenter l'avenir de son entreprise, estime Mark Zuckerberg dans une interview au New York Times. L'application doit rapporter plus d'argent pour soutenir l'exploration de produits coûteux et expérimentaux, comme la réalité augmentée ou les intelligences artificielles génératives.
Plateforme de commerce en ligne
La mue doit passer par la transformation vers une application de shopping. WhatsApp teste dans plusieurs pays des systèmes permettant de payer directement dans l'application. Les entreprises, elles, peuvent parler directement avec les clients et tenter de conclure des ventes.
Au Brésil, Nissan a créé des chatbots pour parler à ses clients et les diriger ensuite automatiquement vers le concessionnaire le plus proche. Aujourd'hui, entre 30 et 40% des ventes de Nissan au Brésil passent par WhatsApp.
La publicité est l'autre grande piste suivie par WhatsApp. Mais la situation est délicate. En 2021, Meta avait tenté de récolter plus d'informations en provenance de la messagerie. Entre le veto de l'Union européenne et le départ de milliers d'utilisateurs, l'entreprise avait dû faire machine arrière en Europe.
La solution pourrait venir d'une innovation reprise à son concurrent, Telegram. Un abonnement à une personnalité ou une entreprise permet de recevoir directement tous ses messages. Ces "Chaînes" WhatsApp rassemblent de plus en plus de monde. Environ 24,6 millions de personnes suivent le club de football espagnol du Real Madrid, ils sont 19,3 millions pour le rappeur Bad Bunny et même 16 millions pour Mark Zuckerberg.
Ces nouveaux emplacements pourraient prochainement accueillir de la publicité. L'idée fait son chemin dans les bureaux du groupe, selon le Financial Times. Mais il faudra aller vite car des changements majeurs se profilent en Europe.
Messagerie universelle
La nouvelle réglementation sur les marchés numériques (DMA) pourrait contraindre les messageries à devenir pleinement compatibles entre elles. Actuellement, sur WhatsApp, vous pouvez dialoguer uniquement avec un autre utilisateur de l'application. À l'avenir, cette barrière pourrait tomber en Europe, mettant fin à la notion de client captif d'un écosystème.
Google a lancé l'offensive cette semaine. Dans une lettre, le géant américain a demandé à l'Union européenne d'intervenir contre l'application iMessage de l'iPhone. Si l'on peut déjà échanger avec d'autres plateformes grâce aux SMS, les fonctionnalités premium (cryptage, meilleure qualité des photos et vidéos,…) sont exclusivement réservées aux utilisateurs d'Apple.
Les utilisateurs d'iPhone communiquent entre eux avec des bulles bleues, riches en possibilités, tandis que les autres utilisateurs disposent de bulles vertes. Certains adolescents se sont retrouvés stigmatisés, voire exclus de discussions, car ils ne possédaient pas de téléphone Apple pour participer pleinement aux échanges.
Google considère cela comme un moyen fallacieux de vendre des téléphones en dévalorisant les appareils Android. Sur le fond, Google veut imposer son système RCS, présenté comme le successeur du SMS, et lui aussi rempli d'innovations. Aujourd'hui, Apple n'accepte pas cette norme et considère que l'application n'entre pas dans le champ du DMA. Une décision de la Commission européenne est attendue en février prochain.
Pente glissante
Le monde des messageries est donc en pleine évolution. La volonté des grands groupes de monétiser cet espace de liberté numérique pourrait nous pousser à chercher d'autres applications garantissant cette sécurité. Il pose également la question de la préservation de notre intimité numérique.
Jusqu'à présent, le cryptage de bout en bout de nos conversations nous donnait le sentiment d'évoluer dans un espace relativement sûr. Nos messages peuvent être lus uniquement par le destinataire. Ils ne servent pas à entraîner des IA, créer des publicités sur mesure ou à être vendus à des entreprises pour un profilage.
Par ailleurs, certains régulateurs s'opposent au cryptage de nos conversations avec pour argument qu'il est difficile de traquer et d'arrêter les criminels.
Si un gouvernement peut surveiller en masse des communications pour prévenir des crimes, la surveillance pourrait s'étendre, mettant en danger la vie privée, un droit essentiel et le fondement d'une société démocratique. Ainsi, derrière nos simples SMS, se profile l'ombre d'Orwell et de sa société de surveillance.
Pascal Wassmer