Dans le podcast "dingue", Seb relate l'expérience traumatisante qu'il a vécue en République du Congo en 2001, à l'âge de 26 ans. Lors d'un contrôle de sécurité, il est mis à terre sous la menace d'un fusil d'assaut et contraint d'assister aux viols de trois jeunes filles.
Il se souvient: "Quand je regarde sur le côté, je vois bien le type qui rigole, pour lui c'est très drôle. Il joue avec le doigt sur la détente, il presse la détente mais s'arrête juste avant que le coup parte. Je me rappelle très bien ce que je pense à ce moment-là: 'c'est con de mourir comme ça'".
Après des heures de négociation, Seb parvient à quitter le point de contrôle. Cependant, de retour dans les locaux de son ONG, sa supérieure, une fois le drame expliqué, reproche à Seb de ne pas être venu en aide aux trois victimes de viols. Seb vivra pendant plus de 15 ans avec cette culpabilité et le stress lié à cette expérience.
Les troubles secondaires émergent
Seb ne mentionne ni ne recherche un suivi pour le trouble du stress post-traumatique et la culpabilité qui le hante, n'en ayant pas vraiment conscience.
Un trouble secondaire apparaît alors: un trouble du comportement alimentaire. Il se souvient: "Le pot de Nutella au Darfour en déprimant avec les infirmières, c'était un grand classique. Il y avait des jours où tout allait trop mal ou que c'était trop dur, et c'était un peu ma manière de manger mes émotions". Son poids passe de 85 à 138 kilos. De retour au siège de son ONG en Suisse en 2015, son comportement colérique et renfermé inquiète ses proches.
Une histoire unique, un schéma ordinaire
Ce que Seb a vécu est unique, mais le lien entre le trouble de stress post-traumatique et les troubles secondaires, qui peuvent être très variés, est courant. Seb le résume ainsi: "Certains de mes collègues buvaient une bouteille de whisky pour aller mieux". Pierre Bastin, psychiatre ayant lui-même longtemps travaillé dans le domaine de la santé mentale pour des organisations humanitaires, résume la situation ainsi: "Ce qui semble de plus en plus établi scientifiquement, c'est que les humanitaires ont globalement une santé mentale moins bonne que la population générale. Il y a une exposition directe aux événements, mais il y a aussi une exposition indirecte, ce que l'on appelle un stress vicariant: les bénéficiaires qui ont vécu des drames et que l'on écoute."
Il existe d'autres explications à la vulnérabilité mentale des humanitaires, telles que l'éloignement de leurs proches, de leurs amis, ce que l'on peut appeler un réseau de soutien, et le fait d'exercer un travail dans un cadre où les questions de sécurité sont prégnantes.
Une prise en charge efficace
Finalement, comprenant qu'il va mal, Seb demande à son organisation de l'orienter vers une prise en charge. Il consulte un psychiatre qui commence par mettre des mots sur sa souffrance, évoquant notamment le syndrome de stress post-traumatique.
Après avoir essayé différentes approches thérapeutiques pour réduire sa détresse psychologique liée au trauma, il ressent une nette amélioration après avoir suivi une thérapie de la reconsolidation, méthode encore émergente mais prometteuse.
Par ailleurs, Seb a créé avec deux collègues une association qui donne du sens à ce qu'il a vécu: "Ce qui m'a le plus manqué pendant ces années, c'est d'avoir une personne à qui parler, quelqu'un qui serait capable de comprendre ce que je vis". Cette association d'écoute de pairs, nommée "CoCreate Humanity", est pour lui une étape importante sur le chemin de son rétablissement.
L'expérience humanitaire reste positive
Pierre Bastin pense également que, globalement, l'expérience humanitaire est positive. "J'en suis assez intimement convaincu, ça amplifie ce qu'on a vu, les relations qu'on a vécues, et ça enrichit. Quand on a rencontré un trouble de santé mentale, aujourd'hui on parle de croissance post-traumatique: une fois que l'on a réussi à traverser un trauma, on apprend des moyens de résilience et on développe de nouvelles capacités qui peuvent toujours servir pour la suite, que ce soit pour soi-même ou pour les autres".
Seb résume son expérience de manière lapidaire: "La grande leçon de tout ça pour moi, c'est ma petite phrase en fait: tout seul on est foutu et ensemble on s'en sort".
Adrien Zerbini