Aujourd'hui, avec le développement d'outils tels que DeepL, Google Traduction et d'autres logiciels du même genre, les métiers de la traduction et de l'interprétation semblent plus que jamais menacés par l'IA.
Au point que ces filières n'attirent plus autant d'étudiantes et étudiants que par le passé, constate Mathilde Fontanet, codirectrice du département de traduction à la faculté de traduction et d'interprétation de l'Université de Genève, où le nombre d'étudiants est passé d'un peu plus de 520 en 2022 à 450 en 2023.
Cette baisse s'explique par l'illusion que les machines vont nous remplacer. Mais c'est vraiment une illusion d'après moi, parce que le marché de la traduction est extrêmement dynamique.
Et c'est une tendance générale, comme elle l'explique au micro de l'émission Tout un monde, même si les traducteurs et traductrices restent très demandés sur le marché du travail. "Cette baisse s'explique par l'illusion que les machines vont nous remplacer. Mais c'est vraiment une illusion d'après moi, parce que le marché de la traduction est extrêmement dynamique. On prévoit d'ailleurs 20% d'augmentation de besoins en traduction à l'échelle planétaire ces prochaines années."
Importance de l'humain
Les étudiants, ou plutôt étudiantes car elles sont en majorité, expriment également cette ambivalence. Mais toutes s'accordent à dire que l'humain reste et restera central dans ce métier.
"Mes parents étaient un peu perplexes par mon choix. Mais au fur et à mesure de mes études, je leur ai fait comprendre que l'impact de l'humain est important dans une traduction", témoigne l'une d'entre elles. Une de ses camarades abonde: "On sait qu'il y aura toujours besoin d'une révision humaine sur les traductions. Je ne m'inquiète donc pas trop au niveau du marché du travail."
À partir du moment où la plupart des traducteurs et traductrices professionnels utilisent ces outils, il est naturel que nous fassions le nécessaire pour armer nos étudiants dans leur utilisation
L'intégration de l'IA directement dans le cursus de formation, tout en mettant parallèlement l'accent sur la plus-value humaine, c'est la direction dans laquelle s'engagent les filières de formation au métier de traducteur. A Genève par exemple, la faculté a introduit des cours de post-édition qui permettent de retravailler des textes traduits automatiquement grâce à l'IA.
"À partir du moment où la plupart des traducteurs et traductrices professionnels utilisent ces outils, il est naturel que nous fassions le nécessaire pour armer nos étudiants dans leur utilisation", souligne Mathilde Fontanet. Mais il faut d'abord avoir acquis, selon elle, les bases de la traduction pour saisir les subtilités d'une langue.
"Les textes produits par les machines tiennent tout à fait debout au niveau de la grammaire et de l'orthographe, mais il peut y avoir beaucoup de petits défauts. Donc si on n'a pas acquis la compétence au préalable, on risque de manquer du recul nécessaire pour intervenir. C'est pour cela que nous avons décidé d'intégrer cette post-édition en fin de cursus."
Selon Mathilde Fontanet, la formation évolue et se transforme donc, avec aussi une demande de profils plus hybrides qui mêlent traduction et rédaction, ou des spécialisations plus pointues, dans le domaine médical par exemple. La faculté possède d'ailleurs depuis une dizaine d'années un département de traitement informatique multilingue qui permet d'évaluer ces technologies et concevoir des applications.
Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Fabien Grenon
Quid de l'interprétation et de la traduction littéraire?
Les interprètes, autrement dit les personnes qui traduisent simultanément des propos à l'oral, sont confrontés à peu près aux mêmes défis. Les grands groupes comme Google ou Meta ont d'ailleurs fait de la suppression des barrières linguistiques un de leurs objectifs, en développant notamment la reconnaissance vocale, ainsi que la transcription de la voix en texte, puis sa traduction quasi en temps réel.
Mais ces applications restent encore très imparfaites, selon Thomas Pereira Ginet Jacquemet, membre du groupe de travail sur l'intelligence artificielle de l'Association internationale des interprètes de conférence.
"Les solutions sont fondées sur la réplication d'une partie du langage, donc disparaissent la subjectivité, l'empathie, le contexte... Et dès que vous allez dans des langues plus rares, s'il n'y a pas l'anglais comme langue pivot, c'est déjà moins précis, car la recherche est faite surtout dans cette langue."
La traduction littéraire soumise à la même tendance
La traduction littéraire - catégorie un peu à part puisqu'il s'agit d'un processus avant tout créatif - n'échappe pas non plus à la tendance. Mais comme l'explique Irène Weber Henking, directrice du centre de traduction littéraire de l'Université de Lausanne, la traduction automatique dans ce domaine n'est optimale que si "le texte original est normé et standardisé avec un schéma prévisible".
"On dit qu'il y a une tendance à utiliser davantage la traduction automatique dans la littérature jeunesse, surtout fantasy, qui est un genre connu et reconnu, mais aussi assez normé." Dans ses cours, elle essaie donc de montrer à ses étudiants le potentiel, mais aussi les limites de ces outils, tout en les sensibilisant à d'autres problématiques comme celle des droits d'auteur.