Voitures électriques: le défi inattendu de la gestion des risques d'incendie de batteries
Sur les routes suisses, un changement silencieux s'opère. Les véhicules électriques, symboles d'une ère nouvelle, gagnent du terrain. Dernièrement, ils ont franchi la barre des 3% du parc automobile. Cette transition, encouragée par les décideurs et les géants de l'automobile, révèle toutefois un défi inattendu: la gestion des risques d'incendie liés aux batteries.
L'importance de cette question ne saurait être sous-estimée. Les véhicules électriques ne présentent pas un risque d'incendie supérieur à celui des voitures à essence. "Il est prouvé que l'augmentation du nombre de véhicules électriques dans la circulation routière n'entraîne pas davantage d'incendies de véhicules", affirme Rolf Meier, responsable des relations publiques de l'Association des établissements cantonaux d'assurance, notamment en charge de la protection incendie.
Toutefois, la nature des feux qu'ils génèrent, notamment lorsqu'ils impliquent les batteries, pose un défi complexe aux services de secours. "Si c'est la voiture qui brûle, c'est tout à fait classique pour un pompier. On va l'éteindre avec de l'eau. Mais si c'est la batterie qui est touchée, on est confronté à un phénomène d'emballement thermique, libérant des gaz toxiques et inflammables", explique Patrick Eichelberger, pompier professionnel à Lausanne.
Attention aux parkings souterrains
Éteindre un feu de batterie est un art qui est en train d'être affiné. Il faut d'abord identifier la voiture, puis effectuer des recherches dans une base de données pour connaître le modèle de batterie et la méthode spécifique qu'il faut utiliser pour l'éteindre. Finalement s'équiper avec des masques respiratoires pour éviter les intoxications.
C'est dans les parkings souterrains que le risque se fait le plus pressant. Ces espaces confinés, où s'accumulent les véhicules électriques, deviennent des points chauds potentiels. Avec l'augmentation du nombre de ces véhicules, on assiste à la formation de véritables regroupements de batteries.
Les premiers accidents arrivent. L'été dernier, une voiture hybride est en charge au 3e sous-sol d'un centre commercial au coeur de Madrid. Soudainement, elle se met à brûler. Il a fallu deux heures et une dizaine de pompiers pour maîtriser l'incendie. Les fumées toxiques qui se sont dégagées ont forcé la police à évacuer le centre commercial et boucler le quartier. La voiture, elle, a été placée sous surveillance pendant deux jours. Car c'est une particularité des feux de batteries, les flammes peuvent se réactiver alors qu'on pense l'incendie terminé.
Fournaise thermique
César Martín-Gómez, architecte et chercheur à l'Université de Navarre (ESP), étudie les incendies de véhicules électriques et leurs impacts sur les structures environnantes. Il souligne que la température et la toxicité des fumées produites lors de ces incendies sont particulièrement préoccupantes.
Quels sont les risques? Une réaction en chaîne entre les différents véhicules électriques présents dans les parkings. La chaleur dégagée dans cette fournaise souterraine pourrait théoriquement faire s'effondrer un immeuble. L'étude de César Martín-Gómez est toujours en cours, mais il propose déjà quelques pistes de réflexion pour limiter les risques.
"Par exemple, en plaçant des caméras thermiques dans les parkings. Les batteries, qu'elles proviennent d'une trottinette, d'un camion ou d'une voiture, deviennent très chaudes avant de brûler. Une mesure pourrait donc consister à installer des caméras thermiques qui nous alerteraient si quelque chose dans le parking est trop chaud." On pourrait également recommander une distance minimum entre deux voitures pour limiter la propagation. Ses travaux doivent permettre à l'Union européenne de repenser ses réglementations.
Une nouvelle réglementation?
En Suisse, il n'y a rien de spécifique, si ce n'est pour les installations électriques, notamment les prises pour charger les véhicules. Stéphane Farrugia, responsable technique à la division prévention de l'établissement vaudois d'assurance incendie ECA, en appelle déjà au bon sens.
"On peut positionner si possible les véhicules en charge proche des accès, idéalement dans les compartiments coupe feux dédiés et proches des installations de désenfumage. Idéalement, éviter de mettre quinze véhicules en charge au cinquième sous-sol."
Les parkings sous les petites copropriétés sont particulièrement dans le viseur, car ils sont souvent moins bien équipés que les grands parkings qui disposent notamment d'extincteurs automatiques.
Achat de matériel
Les pompiers, eux, s'équipent de nouveau matériel. Dans le canton de Vaud, deuxième en Suisse pour son nombre de véhicules électriques, juste derrière Zurich, on s'attelle activement à la réflexion sur le sujet.
Florian Cuche, inspecteur cantonal en charge de la défense incendie dans le canton de Vaud, détaille les adaptations des services de secours: "On a développé des techniques spécifiques, comme l'utilisation des lances Cobra qui permettent de perforer et d'éteindre en même temps. Nous possédons également des tablettes CRS pour avoir les éléments techniques en lien avec le véhicule. Donc vraisemblablement, à chaud, je vous dirais potentiellement, que nous pourrions acquérir une ou plusieurs berces pour pouvoir inonder les véhicules."
Ces berces ressemblent à des piscines. Elles permettent d'immerger la voiture et limitent ainsi le risque qu'un feu de batterie reparte.
Les constructeurs automobiles ont aussi un rôle à jouer en trouvant des solutions innovantes. Renault, par exemple, a créé une trappe spéciale pour noyer les batteries en cas d'incendie, facilitant ainsi l'intervention des pompiers.
Dans un monde conçu pour la voiture à combustion, l'un des défis d'une transition réussie sera de modifier les infrastructures existantes pour tenir compte de la nouvelle donne.
Pascal Wassmer