Des vents ultra-rapides et violents qui soufflent pendant une année entière et se déplacent à plusieurs millions de kilomètres par heure... Ce qui a de quoi ébouriffer toute une galaxie a été observé par des scientifiques au centre de Markarian 817 (voir l'impression d'artiste en tête d'article) grâce au télescope spatial à rayons X XMM-Newton de l'ESA, lancé dans l'espace juste avant l'an 2000.
Ces incroyables bourrasques qui partent dans tous les sens proviennent du trou noir de quarante millions de masses solaires localisé au centre de cette galaxie qui se trouve à 430 millions d'années-lumière de notre Terre, dans la Constellation du Dragon. Un zoom sur le centre de la galaxie montre que le vent provient d'un disque d'accrétion de gaz tourbillonnant qui entoure un trou noir supermassif: tournant à très grande vitesse, le gaz s'échauffe et s'illumine. Au fil du temps, en se rapprochant du trou noir, il franchit le point de non-retour – nommé l'horizon des événements – et est englouti.
>> Les vents violents d'un trou noir remodèlent une galaxie:
Comme un bébé surexcité
Mais les trous noirs ne dévorent qu'une fraction du gaz qui se dirigent en spirale vers eux; en encerclant l'objet ultra-massif, une partie de la matière est rejetée dans l'espace. Comme si un bébé renversait une grande partie de ce qu'il a dans son assiette. Et, parfois, les trous noirs, tels des enfants surexcités, renversent non seulement l'assiette, mais toute la table... comme c'est le cas dans Markarian 817: le gaz contenu dans le disque d'accrétion est projeté dans toutes les directions à une vitesse telle qu'il fait disparaître le gaz interstellaire environnant. Non seulement le trou noir, en pleine crise de colère, est ainsi privé de sa nourriture, mais la galaxie elle-même ne peut plus former aucune nouvelle étoile dans une vaste région, faute de matière première, ce qui modifie sa structure.
Le fait que le trou noir au centre de la galaxie présentait des niveaux d'activité plutôt moyens avant de produire cette tempête de plusieurs centaines de jours suggère que les rafales ultra-rapides des trous noirs sont beaucoup plus fréquentes que les scientifiques ne l'imaginaient. En d'autres termes, les trous noirs et leurs galaxies hôtes influencent fortement leur évolution respective.
>> Lire aussi : Le télescope Webb observe une région semblable au "midi cosmique"
Une influence majeure des trous noirs
"On pourrait s'attendre à des vents très rapides si un ventilateur était mis en marche à sa puissance maximale. Dans la galaxie que nous avons étudiée, appelée Markarian 817, le ventilateur était réglé sur une puissance plus faible, mais des vents incroyablement énergétiques étaient tout de même générés", note Miranda Zak, de l'Université du Michigan, chercheuse de premier cycle, qui a joué un rôle central dans cette recherche.
"Il est très rare d'observer des vents ultra-rapides, et encore plus rare de détecter des vents suffisamment énergétiques pour modifier le caractère de leur galaxie hôte. Le fait que Markarian 817 ait produit ces vents pendant environ un an, alors qu'il n'était pas particulièrement actif, suggère que les trous noirs peuvent remodeler leurs galaxies hôtes beaucoup plus qu'on ne le pensait", ajoute Elias Kammoun, astronome à l'Université Roma Tre, en Italie, coauteur de l'étude.
Jusqu'à présent, ce "vent du trou noir" ultrarapide n'avait été détecté qu'à partir de disques d'accrétion extrêmement brillants, qui sont à la limite de la quantité de matière qu'ils peuvent aspirer. Cette fois-ci, le télescope XMM-Newton a détecté des vents ultra-rapides dans une galaxie nettement moyenne.
De nombreux problèmes en suspens
Cette découverte éclaire d'une lumière nouvelle l'influence mutuelle des trous noirs et de leur galaxie hôte. De nombreuses galaxies – dont la nôtre, la Voie lactée – semblent avoir de vastes régions autour de leur centre dans lesquelles très peu de nouvelles étoiles se forment. Cela pourrait donc s'expliquer par ces vents tourbillonnants et violents éliminant le gaz nécessaire à la formation des étoiles; toutefois, cette explication n'est valable que si ces rafales sont suffisamment rapides et durables, et si elles sont générées par des trous noirs ayant des niveaux d'activité typiques.
"De nombreux problèmes en suspens dans l'étude des trous noirs sont liés à l'obtention de détections par de longues observations qui s'étendent sur de nombreuses heures afin de capturer les événements importants. Cela souligne l'importance primordiale de la mission XMM-Newton pour l'avenir. Aucune autre mission ne peut offrir la combinaison de sa haute sensibilité et de sa capacité à effectuer des observations longues et ininterrompues", remarque Norbert Schartel, responsable scientifique du projet XMM-Newton à l'ESA, dans un communiqué de l'Agence spatiale européenne.
>> Lire aussi : La pouponnière d'étoiles d'Orion révélée par le télescope James Webb
Stéphanie Jaquet