Bertrand Piccard: "Il faut arrêter de croire qu'on a atteint les limites de l'ingéniosité humaine"
Après un tour du monde en ballon il y a 25 ans, puis un autre en avion solaire, Bertrand Piccard se lance à 66 ans dans une nouvelle aventure technologique: un troisième tour du Globe en neuf jours, sans escales, en compagnie de l'ingénieur et navigateur Raphaël Dinelli, dans un avion biplace à hydrogène.
Le vol est prévu pour 2028 et l'explorateur aura alors 70 ans: "C'est le moment de donner aussi de l'espoir au troisième âge, vous ne trouvez pas?", plaisante-t-il jeudi au micro de La Matinale.
Ce qui est intéressant, c'est que contrairement à Solar Impulse, le monde de l'aéronautique me soutient à fond
"Au-delà de la boutade, je crois qu'on vit aujourd'hui dans un monde où beaucoup de gens croient qu'il n'y a plus d'avenir, qu'il n'y a pas de solutions", poursuit-il. "Il faut montrer que c'est le contraire, qu'on peut faire beaucoup plus que ce qu'on croit. C'est pour ça que j'ai envie de prendre un secteur qui est considéré comme extrêmement difficile à décarboner, l'aviation, et montrer qu'on peut voler sans émissions."
L'explorateur déplore notamment que le "technosolutionnisme" soit devenu un vilain mot. "Justement, ce sont les solutions qui doivent être mises en avant. Il faut arrêter de croire qu'on a atteint les limites de l'ingéniosité humaine!", estime-t-il.
L'appareil est pour l'heure à l'état de projet et ne sera qu'un prototype en 2028. "Mais ce qui est intéressant, c'est que contrairement à Solar Impulse, le monde de l'aéronautique me soutient à fond. Airbus a fait une étude de faisabilité et a aidé pour le design et l'aérodynamique. On a aussi Daher ou Ariane Group", énumère-t-il.
Selon lui, ces compagnies recherchent un "démonstrateur", ce que promet d'être Climate Impulse. À l'inverse de son prédécesseur Solar Impulse, qui était davantage symbolique. "Quand j'ai lancé ce projet il y a 22 ans, l'énergie solaire était une anecdote. C'était 40 fois plus cher et il fallait vraiment faire ses preuves, attirer l'attention sur le photovoltaïque, le renouvelable, les technologies propres, l'efficience énergétique", rappelle-t-il.
Une logique "top-down" pour "ouvrir les voies"
Selon lui, 600 projets d'aviation électrique ont "émergé directement" de cette expérience, dont la start-up suisse H55, dont l'avion électrique devrait bientôt être commercialisé. "C'est l'héritage technologique de Solar Impulse."
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Autre différence: des avions à hydrogène existent déjà aujourd'hui. Mais ils ne convainquent pas Bertrand Piccard. "Ils volent une demi-heure.... C'est du bottom-up: on commence avec quelques minutes et on essaie de faire mieux. Moi, ce que je veux faire, c'est du top-down, c'est-à-dire montrer ce qu'on peut faire comme vol ultime (...) pour qu'ensuite toutes ces technologies puissent ruisseler sur le reste de l'industrie", expose-t-il.
Quatre fois plus rapide que son prédécesseur solaire, Climate Impulse ne volera en revanche pas très haut. "Il faut un début à tout", tempère son promoteur. "Je crois que ce qu'il faut, c'est ouvrir les voies, autant psychologiquement que techniquement."
Des entreprises "qui s'impliquent"
Car, selon lui, l'hydrogène représente bel et bien le futur de l'aviation. "Dès que vous êtes dans un véhicule très lourd, avion, bateau, train ou même un camion dans certains cas, l'hydrogène devient intéressant. Parce que sinon, il faudrait prendre beaucoup trop de batteries", explique-t-il.
Au total, le projet coûtera 60 millions de francs et sera sponsorisé par des partenaires privés. "Il y a beaucoup de gens qui freinent, qui veulent promouvoir le statu quo, qui ne veulent pas de changement. Moi, je suis très heureux de voir qu'il y a des entreprises qui veulent ce changement et qui s'impliquent", salue le Vaudois.
Propos recueillis par Pietro Bugnon
Texte web: Pierrik Jordan