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Comment le manteau de la Lune s'est complètement retourné

Une image de la surface de la Lune prise par l'un des membre de l'équipe d'Apollo 11. [NASA - Apollo 11]
On en sait plus sur la formation de la Lune / CQFD / 10 min. / le 11 avril 2024
Pour résoudre un mystère de longue date concernant la géologie "déséquilibrée" de la Lune, des scientifiques de l'université de l'Arizona ont combiné des simulations informatiques et des données provenant de vaisseaux spatiaux. Le manteau de notre satellite se serait totalement renversé il y a 4,22 milliards d'années.

La Lune s'est formée il y a 4,5 milliards d'années, lorsqu'une petite planète du nom de Théia – un impacteur de la taille de Mars – s'est écrasée sur notre jeune Terre, envoyant voler de la roche en fusion dans l'espace. Petit à petit, ces débris répartis sur un anneau se sont rassemblés, ont refroidi et se sont solidifiés pour former ce qui est désormais notre Lune. Bien que cette explication fasse l'unanimité chez la plupart des scientifiques, les détails de cette genèse cataclysmique sont mal connus.

Peu après cela, il y a 4,22 milliards d’années, le manteau lunaire se serait complètement renversé. Des roches denses et en fusion, qui se trouvaient sous la croûte lunaire, proche de la surface, se seraient écoulées vers les profondeurs, jusqu'au noyau. Puis ces roches seraient remontées pour se retrouver à nouveau à la surface de notre satellite.  

Une équipe de recherche explique que des vestiges de ce renversement ont été trouvés, cachés, sous la croûte: leurs conclusions ont été publiées dans la revue Nature Geosciences. Ce phénomène expliquerait notamment l'asymétrie de la Lune ainsi que les anomalies gravitationnelles qui y sont liées.

Il y a plus de 50 ans, les astronautes de la mission Apollo ont ramené de la Lune des roches basaltiques contenant des concentrations étonnamment élevées de titane. Par la suite, des observations par satellite ont montré que ces roches volcaniques riches en titane se trouvaient principalement sur la face cachée de la Lune, mais comment et pourquoi elles sont arrivées là est resté un mystère – jusqu'à aujourd'hui. [NASA - Apollo 17]
Il y a plus de 50 ans, les astronautes de la mission Apollo ont ramené de la Lune des roches basaltiques contenant des concentrations étonnamment élevées de titane. Par la suite, des observations par satellite ont montré que ces roches volcaniques riches en titane se trouvaient principalement sur la face cachée de la Lune, mais comment et pourquoi elles sont arrivées là est resté un mystère – jusqu'à aujourd'hui. [NASA - Apollo 17]

L'équipe de recherche a compris qu'il y avait eu un retournement du manteau en analysant la composition de la surface lunaire grâce aux échantillions ramenés par les missions Apollo des années 1970 et en examinant les données fournies par deux engins spatiaux de la NASA, lancés en 2011 pour la mission GRAIL (Gravity Recovery And Interior Laboratory). En orbite, ce duo de sondes a dressé une carte du champ gravitationnel de la Lune qui, combinée avec des relevés topographiques, a permis de mieux comprendre sa structure interne, sa composition et son évolution.

C'est ainsi qu'une roche plus dense à l'intérieur de la planète a été découverte – provoquant des anomalies de gravitation – à environ 340 kilomètres de profondeur. Des vestiges de l'impact gigantesque avec Théia: "A cette époque, la Lune est couverte de lave: c'est ce qu'on appelle un océan de magma", raconte Adrien Broquet, coauteur de l'étude menée à l'Université de l'Arizona à Tucson.

Un minéral lourd coule vers le noyau

Illustration schématique avec une carte du gradient de gravité (motif hexagonal bleu) de la face cachée de la Lune et une coupe transversale montrant deux puits de cumuls contenant de l'ilménite provenant du renversement du manteau lunaire. [Adrien Broquet/University of Arizona - Audrey Lasbordes]
Illustration schématique avec une carte du gradient de gravité (motif hexagonal bleu) de la face cachée de la Lune et une coupe transversale montrant deux puits de cumuls contenant de l'ilménite provenant du renversement du manteau lunaire. [Adrien Broquet/University of Arizona - Audrey Lasbordes]

Lorsque l'océan de magma se refroidit, il se solidifie et les premières roches qui vont se cristalliser sont celles de la croûte: "Ce sont les roches claires que vous pouvez voir quand vous regardez la surface de la Lune la nuit", précise le chercheur au micro de CQFD. "Ensuite, le manteau qui va cristalliser sous la surface. Ce qui est très intéressant dans cette hypothèse de l'océan de magma, c'est que les derniers magmas qui vont solidifier sont pris en sandwich entre la croûte et le manteau". Ces magmas sont riches en ilménite, un minéral lourd constitué d'un oxyde de fer et de titane.

"Quand l'ilménite va commencer à cristalliser, il va s'écouler sous forme d'une cascade dans le manteau, parce que celui-ci, en-dessous, est plus léger. Ce minéral va se rapprocher du noyau de la Lune, à plus de 1000 kilomètres de profondeur". Avec les cartes gravitationnelles établies par GRAIL, Adrien Broquet et ses collègues ont donc montré qu'il existe aujourd'hui des vestiges de cet écoulement qui s'est cristallisé dans le manteau alors que la Lune refroidissait, sans doute durant un millénaire: "On voit très très bien sur les cartes GRAIL des endroits où le champ de gravité de la Lune – donc sa force d'attraction – est plus forte qu'à d'autres: ce serait les cascades d'ilménites qui sont très denses et très lourdes".

La face cachée de la Lune, avec ses régions sombres, ou "mare", couvertes de coulées volcaniques riches en titane (au centre), constitue la vue familière de la Lune depuis la Terre (à gauche). La région de la tache est entourée d'un réseau polygonal d'anomalies gravimétriques linéaires (en bleu sur l'image de droite), interprétées comme les vestiges de matériaux denses qui se sont enfoncés à l'intérieur de la Lune. Leur présence constitue la première preuve physique de la nature du renversement global du manteau il y a plus de 4 milliards d'années. [University of Arizona - Adrien Broquet]
La face cachée de la Lune, avec ses régions sombres, ou "mare", couvertes de coulées volcaniques riches en titane (au centre), constitue la vue familière de la Lune depuis la Terre (à gauche). La région de la tache est entourée d'un réseau polygonal d'anomalies gravimétriques linéaires (en bleu sur l'image de droite), interprétées comme les vestiges de matériaux denses qui se sont enfoncés à l'intérieur de la Lune. Leur présence constitue la première preuve physique de la nature du renversement global du manteau il y a plus de 4 milliards d'années. [University of Arizona - Adrien Broquet]

Une hypothèse à consolider

Le spécialiste de géophysique planétaire imagine désormais d'autres preuves pour consolider cette hypothèse: "On pourrait aussi imaginer la mise en place d'un réseau de stations sismiques autour de ces grandes anomalies gravitaires pour mieux caractériser la structure des cascades d'ilménite".

Adrien Broquet compte aussi sur les missions Artemis de la NASA qui vont alunir à côté du bassin de South Pole-Aitken, un immense cratère sur la face cachée de notre satellite: "Un des scénarios pour l'évolution de ces cascades d'ilménite est connecté à la formation de cet impact géant proche du pôle sud. Ce bassin se serait formé à l'époque où la Lune se solidifiait et l'océan de magma était en train de cristalliser". Le Graal serait d'obtenir des roches amenées des profondeurs par la gigantesque collision pour les analyser.

Sujet radio: Sarah Dirren

Article web: Stéphanie Jaquet

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Comprendre la formation de la Lune pour comprendre celle de la Terre

De la même façon que la Lune s'est formée avec un océan de magma, les scientifiques imaginent qu'à la même époque, la Terre était aussi à cette époque dans le même état: "L'océan de magma est potentiellement une des propriétés, une des étapes fondamentales de la formation d'une planète", note Adrien Broquet.

Pour l'heure, il est difficile de savoir quel était le fonctionnement et l'évolution de ces immenses étendues de magma: "Mieux comprendre ce qui s'est passé sur la Lune va sûrement et très vraisemblablement aider les recherches sur l'océan de magma terrestre", conclut celui qui est désormais chercheur boursier de la Fondation Alexander von Humbolt au German Aerospace Center, à Berlin.

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