A 15h (20h en Suisse), les deux propulseurs d'appoint et le moteur de l'étage principal s'allumeront pour le décollage. En cas d'anomalie détectée jusqu'au dernier moment ou de météo capricieuse, une fenêtre de lancement de quatre heures est prévue.
Dès les premières lueurs du jour sur le Centre spatial guyanais de Kourou, le portique mobile, vaste cathédrale qui abrite la fusée, doit être déplacé de 100 mètres, dévoilant le mastodonte de 56 mètres sur son pas de tir.
Puis à 10h locales, le remplissage des réservoirs avec les ergols – l'oxygène et l'hydrogène liquides qui alimentent le moteur Vulcain – débute.
A partir de ce moment-là, toute anomalie obligeant à une intervention physique obligerait à vider les réservoirs, conduisant à un report du tir de 48 heures, explique Jean-Michel Rizzi, chef de la base de lancement Ariane 6 pour l'agence spatiale européenne (ESA).
200 experts dans la salle de contrôle
Enfermés dans le bunker du centre de lancement, sorte de poste de pilotage de la fusée, plus de 200 experts auscultent le lanceur jusqu'à ce qu'il quitte le sol, prêts à interrompre le décompte et à résoudre les éventuels problèmes, explique-t-il.
Le centre de lancement est en liaison constante avec la salle Jupiter, tour de contrôle où sont centralisées toutes les données de télémesures (les données envoyées à chaque instant par la fusée), les informations de suivi radar ou de communications ainsi que la liaison avec les forces armées déployées en nombre pour assurer la sécurité du lancement.
Un nouvel accès à l'espace pour l'Europe
Le lanceur s'envolera pour l'espace aussi sous pavillon helvétique, car la Suisse est l'un des treize pays participant au programme Ariane (lire encadré). Porteuse de beaucoup d'espoir, cette fusée doit permettre aux pays concernés d'avoir un accès indépendant à l'espace.
>> Lire : Paul Wohrer: "L'Europe ne doit pas devenir dépendante d'un autre dans la course à l'espace"
L'Europe est en effet privée de son propre accès à l'espace pour lancer de gros satellites depuis le vol final du lanceur lourd Ariane 5 en juillet 2023 et l'échec du premier vol commercial de la nouvelle fusée italienne Vega-C en 2022.
>> Lire : Le premier vol commercial de la fusée européenne Vega-C fait un flop
Et en raison de la guerre en Ukraine, les fusées russes Soyouz n'entraient plus en ligne de compte. Le télescope spatial Euclid, par exemple, a dû être lancé le 1er juillet 2023 par une fusée Falcon 9 de la société SpaceX d'Elon Musk.
>> Lire le Grand Format : Euclid va défier la relativité générale d'Einstein
Des technologies pour le quotidien
"Ariane 6 marque une nouvelle ère de voyages spatiaux autonomes et polyvalents en Europe", a déclaré le directeur général de l'ESA Josef Aschbacher, à l'occasion du salon aéronautique de Berlin début juin. Un vaisseau qui est "l'aboutissement de nombreuses années de détermination et d'ingéniosité de la part de milliers de personnes à travers l'Europe, et il rétablira à l'occasion de son lancement l'accès indépendant de l'Europe à l'espace", selon lui.
>> Lire : L'Agence spatiale européenne augmente son budget pour concurrencer les lanceurs privés
"L'accès à l'espace est devenu très important", note de son côté le chef de la division des Affaires spatiales au Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI) Renato Krpoun. "Nous utilisons quotidiennement l'infrastructure dans l'espace pour les systèmes de navigation, pour les signaux horaires et pour les prévisions météorologiques."
>> Lire aussi : La Suisse renonce au programme Copernicus de surveillance du climat pour raison financière
Même les smartphones ne fonctionneraient pas sans les satellites: "S'il y avait un problème pour amener cette infrastructure dans l'espace, on le remarquerait immédiatement", souligne Renato Krpoun.
Exploitation commerciale dès la fin de l'année
Initialement, Ariane 6 aurait dû être lancée pour la première fois en 2020. Mais le programme a pris du retard en raison de la pandémie de Covid-19 et de contretemps dans le développement.
Désormais, la fusée a passé avec succès ses derniers tests. Après son vol inaugural prévu le 9 juillet, depuis le centre spatial européen de Kourou en Guyane française, elle devrait être exploitée commercialement dès la fin de l'année. "Une trentaine de lancements ont déjà été vendus", précise Renato Krpoun. L'entreprise Amazon veut par exemple lancer des satellites dans l'espace avec la fusée Ariane 6 pour le projet d'internet par satellite "Kuiper". A l'avenir, la fusée devrait être lancée environ neuf fois par an.
>> Lire : Amazon lance ses premiers satellites pour internet depuis l'espace
Besoin d'alternatives
Le prix exact d'un lancement avec Ariane 6 n'est pas connu. Un coût d'environ 67 millions de francs était visé. Avec les retards, il est probable que ce chiffre sera nettement plus élevé.
Ariane ne pourra ainsi pas rivaliser avec le prix de base du Falcon 9 qui est d'environ 60 millions de francs. Le fait que de nombreux lancements aient déjà été vendus montre toutefois qu'il existe un besoin d'alternatives à SpaceX, conclut Renato Krpoun.
Ariane 6 est un lanceur polyvalent, avec un étage supérieur réallumable lui permettant de placer plusieurs satellites sur différentes orbites pendant le même vol. La campagne de lancement a démarré en avril à Kourou, où le corps central de la première Ariane 6 a été installé sur le pas de tir ELA4.
sjaq/vkiss avec les agences
L'industrie suisse impliquée
L'industrie suisse est impliquée dans le lancement d'Ariane 6: ainsi, la coiffe de la charge utile de la fusée provient de l'entreprise suisse Beyond-Gravity, et APCO Technologies, basée à Aigle (VD), a notamment fourni la fixation et la coiffe des boosters.
Le tout doit résister à une poussée de 270 tonnes. Le coût du projet s'est élevé à environ quatre milliards d'euros, dont 2,4% à la charge de la Suisse.
Le nouveau lanceur fait aussi l'objet de critiques: contrairement au Falcon 9 de SpaceX, Ariane 6 n'est pas réutilisable, ce qui signifie qu'il faut fabriquer une nouvelle fusée pour chaque lancement. En outre, on lui reproche d'être trop chère et de ne pas pouvoir rivaliser avec la compétitivité des fusées de SpaceX.
>> Le lanceur Falcon 9 de SpaceX est réutilisable :