"Les trois lunes récemment découvertes sont les plus faibles jamais trouvées autour de ces deux planètes géantes de glace à l'aide de télescopes terrestres", a expliqué Scott S. Sheppard, astronome à Carnegie Science. "Il a fallu un traitement spécial des images pour révéler des objets aussi peu lumineux", ajoute-t-il sur la page de l'institut. Des dizaines de clichés de cinq minutes ont été pris sur des périodes de trois ou quatre heures, au cours d'une série de nuits: des observations réalisées avec des télescopes parmi les plus grands du monde, situés à Hawaï et au Chili.
"Étant donné que les lunes se déplacent en quelques minutes seulement par rapport aux étoiles et aux galaxies en arrière-plan, les longues expositions uniques ne sont pas idéales pour capturer des images profondes d'objets en mouvement", remarque l'astronome. "En superposant ces expositions multiples, les étoiles et les galaxies apparaissent avec des traînées derrière elles, et les objets en mouvement similaires à la planète hôte seront vus comme des sources ponctuelles, faisant ressortir les lunes derrière le bruit de fond des images".
Ces trois corps célestes inconnus de notre Système solaire (lire encadré) ont été officiellement annoncés par le Centre des planètes mineures (MPC) de l'Union astronomique internationale le 23 février.
Une nouvelle "lune littéraire"
Le corps orbitant autour d'Uranus ne fait que huit kilomètres de diamètre et a été provisoirement nommé S/2023 U1; il a été repéré le 4 novembre dernier par Scott Sheppard qui a ensuite confirmé ses observations vers la fin décembre. Cette nouvelle lune portera ultérieurement le nom d'un personnage d'une pièce de Shakespeare (ou de l'œuvre du poète anglais Alexander Pope), conformément aux conventions de dénomination des satellites extérieurs uraniens... d'où leur surnom de "lunes littéraires"; parmi les plus connues Miranda, Ariel et Umbriel.
Cette lune-ci est probablement la plus petite de toutes les lunes de la septième planète de notre Système solaire et il lui faut 680 jours pour accomplir son orbite autour d'Uranus. Pour comparaison, notre Lune met un tout petit peu plus de vingt-sept jours pour faire le tour de la Terre.
Des observations sur trois ans
Les deux lunes identifiées autour de Neptune ont été observées pour la première fois en septembre 2021; c'est aussi Scott Sheppard qui a découvert la plus brillante des deux. Ensuite, en collaboration avec David Tholen de l'Université d'Hawaï, Chad Trujillo de l'Université de l'Arizona du Nord et Patryk Sofia Lykawa de l'Université de Kindai, l'astronome a découvert l'autre nouvelle lune neptunienne, un objet extrêmement ténu.
Des observations complémentaires, réalisées avec les télescopes Magellan se trouvant au Chili, en octobre 2021, puis en 2022 et en novembre 2023 ont confirmé que la lune la plus brillante était effectivement en orbite autour de Neptune. La moins lumineuse a nécessité un temps d'observation spécial dans des conditions ultra-pures au Very Large Telescope de l'Observatoire européen austral, au Chili, et avec le télescope de huit mètres de l'Observatoire Gemini, à Hawaï, afin de sécuriser son orbite.
La lune la plus brillante de Neptune porte la désignation provisoire de S/2002 N5; elle mesure environ vingt-trois kilomètres de diamètre et met près de neuf ans à tourner autour de la géante de glace. La lune la moins lumineuse est désignée sous l'appellation de S/2021 N1. Cette dernière possède un diamètre de quatorze kilomètres et son orbite dure près de vingt-sept ans. Ces deux lunes neptuniennes recevront des noms définitifs basés sur les Néréides, les cinquante nymphes marines de la mythologie grecque: un clin d'œil à Neptune, dieu des eaux vives, des sources et de la mer dans la mythologie romaine.
Des orbites lointaines, excentriques et inclinées
Ces nouvelles lunes uranienne et neptuniennes ont des orbites lointaines, excentriques et inclinées suggérant qu'elles ont été capturées par la gravité de ces planètes pendant ou peu après la formation d'Uranus et de Neptune, à partir de l'anneau de poussière et de débris qui entourait notre Soleil à ses débuts. Toutes les planètes géantes du Système solaire ont des configurations similaires pour leurs lunes extérieures, indépendamment de leur taille ou du processus par lequel elles se sont formées.
"Même Uranus, qui est inclinée sur le côté, a une population de lunes similaire à celle des autres planètes géantes en orbite autour de notre Soleil", souligne Scott Sheppard. "Et Neptune, qui a probablement capturé le lointain objet de la ceinture de Kuiper, Triton, un corps riche en glace plus grand que Pluton, un événement qui aurait pu perturber son système de lunes, a des lunes extérieures qui semblent similaires à celles de ses voisins".
Une meilleure compréhension de la façon dont ces lunes externes ont été capturées peut aider les astronomes à élucider de nouveaux détails sur les premières années tumultueuses de l'Histoire de notre Système solaire et sur le mouvement des planètes sur ses bords extérieurs. Les futures missions spatiales vers Uranus et Neptune, qui sont en cours de planification, permettront d'approfondir ces connaissances et d'observer d'un œil nouveau ces lunes nouvellement découvertes.
Le Système solaire primitif était un endroit très chaotique où les mouvements et les collisions entre les différents objets étaient permanents.
Stéphanie Jaquet
Le Système solaire en bref
Depuis que Pluton a perdu son statut de planète en août 2006 au profit de celui de planète naine – à cause de sa petite taille et de son orbite elliptique particulièrement inclinée –, notre Système solaire compte huit planètes: les quatre rocheuses que sont Mercure, Vénus, la Terre et Mars, les deux géantes gazeuses Jupiter et Saturne, ainsi que les géantes glacées que sont Uranus et Neptune.
>> Une excellente visualisation interactive en 3D du Système solaire réalisée par la NASA: Eyes on the Solar System
La page consacrée à la dynamique du Système solaire du Jet Propulsion Laboratory de la NASA fournit des informations sur les orbites, les caractéristiques physiques et les circonstances de découverte de la plupart des corps naturels connus de notre Système solaire: par exemple, les premières lunes – autour de Jupiter – ont été notoirement découvertes par Galilée en 1610.
On y apprend en outre que les satellites planétaires de notre Système solaire sont au nombre de 290, en comptant la Lune et Pluton et qu'on compte 3922 comètes, fragments inclus.
Quant aux astéroïdes, il y en a 1'351'469, en tenant compte des planètes naines, des objets trans-neptuniens et de ceux de la lointaine Ceinture de Kuiper – où résident au moins les trois planètes naines que sont Pluton, Makémaké et Hauméa.