Des astronomes ont affirmé mercredi avoir trouvé la meilleure preuve d'un objet de masse moyenne, qui manquait dans le bestiaire des trous noirs, dans Omega centauri, le plus grand amas d'étoiles de la Voie lactée, à quelque 18'000 années lumières de la Terre.
Ils ont remarqué "quelque chose de curieux" au centre de cet amas globulaire de quelque dix millions d'étoiles, a expliqué Maximilian Häberle, doctorant à l'Institut allemand Max Planck pour l'Astronomie (MPIA). Sept étoiles s'y déplaçaient trop rapidement par rapport à leurs consœurs, ce qui aurait dû les faire sortir de l'amas. Mais elles semblaient retenues par l'attraction gravitationnelle d'un corps aussi massif qu'invisible (lire encadré).
Des calculs simulant le mouvement des sept étoiles ont permis de déterminer qu'il s'agissait d'un trou noir niché au cœur d'Omega centauri et doté d'une masse équivalente à celle de 8200 Soleil. Exactement celle qu'on pourrait attribuer à un trou noir intermédiaire.
Pour rappel, un trou noir dit stellaire peut avoir une masse jusqu'à quelque 150 masses solaires, quand un supermassif dépasse aisément les 100'0000 masses solaires pour les plus petits d'entre eux. Pour exemple, Sagittarius A*, au cœur de la Voie lactée, a une masse de quatre millions de fois celle du Soleil; des équipes de recherche n'ont de cesse de détecter des trous noirs de plusieurs milliards de masses solaires...
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Cela laisse "un très grand espace" entre ces deux extrêmes pour les trous noirs intermédiaires, a remarqué Maximilian Häberle, premier auteur de l'étude parue dans Nature. Et très peu de candidats pour les représenter.
Une détection indirecte
Les trous noirs sont impossibles à détecter autrement qu'indirectement, car même la lumière ne peut échapper à leur force gravitationnelle. Ceux de catégorie intermédiaire sont d'autant plus discrets qu'ils absorbent peu de matière environnante et émettent donc moins de lumière à ce moment-là.
Pour Stéphane Paltani, astrophysicien à l'UniGE, qui n'a pas participé à cette étude, la nouvelle est d'importance car "elle confirme la continuité entre les amas globulaires et les galaxies": "Cela veut dire que les mêmes types de processus entrent en jeu dans les galaxies et dans les amas globulaires, ce qui n'est pas forcément une surprise", remarque ce spécialiste des trous noirs à RTSinfo.
Même si cela pouvait paraître évident, l'observation était nécessaire pour le confirmer: "Et ça, à ma connaissance, c'est la première fois que c'est fait: un lien est désormais établi entre la présence d'un trou noir dans un amas globulaire et dans une galaxie", souligne-t-il.
Vingt ans de données fouillées
Maximilian Häberle espère que cette découverte mettra un terme à deux décennies de disputes entre astronomes pour savoir si Omega centauri abrite un trou noir intermédiaire.
L'équipe a fouillé les données de vingt ans d'observations du télescope Hubble pour déterminer le mouvement de 1,4 million d'étoiles dans Omega centauri, excluant ainsi "des scénarios impliquant plusieurs trous noirs stellaires ou des systèmes d'étoiles binaires", selon Maximilian Häberle.
Une confirmation définitive de l'existence du trou noir intermédiaire nécessiterait d'observer directement le mouvement des étoiles en orbite autour de lui, ce qui nécessiterait des centaines d'années, a-t-il ajouté.
Plusieurs astronomes non liés à l'étude ont estimé qu'il s'agissait là de la meilleure preuve à date de l'existence des trous noirs intermédiaires: "Ce résultat ouvre la porte pour savoir à quel point de tels trous noirs sont courants", a dit à l'AFP Jenny Greene, astrophysicienne à l'Université de Princeton. "Au moins autant que les trous noirs supermassifs", selon elle, "voire jusqu'à cinq fois plus nombreux".
Des fusions de trous noirs?
L'étude de ces objets étranges doit permettre aussi de comprendre comment les trous noirs gagnent en masse. Une théorie veut ainsi que des trous noirs fusionnent entre eux: "Ces amas globulaires sont des objets extrêmement vieux. Au début, il y avait peut-être des étoiles très massives qui n'existent plus, elles ont toutes disparu. Mais parmi ces étoiles très massives, il y en a peut-être une qui a explosé en supernova et a justement formé un trou noir de plusieurs dizaines de fois la masse du Soleil. Ensuite ce trou noir a grossi au fil du temps, par exemple avec des collisions d'étoiles. S'il y avait du gaz – il n'y en a plus maintenant dans les amas globulaires, mais à l'époque il y avait certainement beaucoup de gaz vu qu'on a formé beaucoup d'étoiles –, eh bien ce gaz a pu être absorbé par le trou noir et ce dernier a grossi de cette manière".
Reste encore pas mal de points mystérieux: "Les scénarios de croissance de comment on passe d'un objet de 100 fois la masse du Soleil à 1000, 10'000 ou 1 million de fois, c'est quelque chose dont on n'est pas extrêmement sûr".
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La découverte récente avec le télescope James Webb de trous noirs supermassifs seulement quelques centaines de millions d'années après le Big bang, dans les premiers âges de l'Univers, ne s'explique pour l'instant pas encore.
Car des trous noirs stellaires n'auraient alors pas eu suffisamment de temps pour fusionner en grand nombre et donner naissance à ces poids lourds.
Les astronomes placent tous leurs espoirs dans la mise en route attendue en 2028 de l'Extremely large telescope (ELT), le plus grand télescope au monde situé dans le désert d'Atacama, au nord du Chili, pour tenter d'en savoir plus sur les trous noirs, moyens et lourds.
Stéphanie Jaquet et l'ats
La trajectoire d'étoiles allant particulièrement vite
La méthode utilisée par l'équipe scientifique pour comprendre la présence d'un trou noir est basée sur son effet gravitationnel: "On n'a pas d'autres moyens de le détecter de manière directe ou indirecte", remarque Stéphane Paltani.
"C'est l'effet de ce trou noir sur son environnement" qui est observé, explique-t-il à RTSinfo. "L'effet qu'il peut avoir est dû à sa gravité, son poids. Ce que le groupe a vu, en faisant une image très très précise avec Hubble de cet amas globulaire, ce sont des centaines de milliers d'étoiles. Certaines, qui étaient très proches du centre, au bout de 20 ans, se sont trouvées légèrement déplacées. Cela veut dire qu'elles sont soumises à une gravité qui les fait tourner, comme les planètes autour du Soleil dans le Système solaire".
L'analyse de ces mouvements sur vingt ans montre des esquisses de trajet: "On s'est rendu compte que ces étoiles allaient très très très vite: cela signifie qu'elles sont dans un champ gravifique qui est bien plus important que celui qui est dû à l'ensemble des étoiles de cet amas globulaire", note Stéphane Paltani.
"En modélisant ces petits bouts de trajectoires, les astronomes sont arrivés à la conclusion qu'il fallait un trou noir d'à peu près 8200 fois la masse du Soleil [pour obtenir un tel effet]".
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