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Enrico Letta: "Nous avons été dépassés par les Américains et les Chinois sur l'innovation"

L'invité de La Matinale - Enrico Letta, membre du Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA)
L'invité de La Matinale - Enrico Letta, membre du Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA) / La Matinale / 13 min. / le 11 octobre 2024
Ancien Premier ministre italien, Enrico Letta était invité vendredi dans La Matinale pour évoquer l'innovation en Europe. Selon lui, le Vieux Continent a été dépassé à ce niveau par ses concurrents et doit réagir via l'instauration d'un "marché unique" en matière d'investissements dans la recherche.

Membre du Conseil du Geneva Science and Diplomacy Anticipator (GESDA), qui se tient en ce moment au CERN, Enrico Letta, 58 ans, veut redonner à l'Europe la grandeur qui était la sienne en matière d'innovation. L'ancien président du Conseil des ministres italien a rendu un rapport le printemps dernier qui esquisse des pistes pour la création d'un marché unique qui engloberait la recherche, l'innovation, les compétences, la connaissance, ou encore l'éducation.

Dans sa recherche, l'Italien est arrivé à un constat: "Ces derniers temps, nous avons été dépassés par les Américains et les Chinois sur beaucoup de sujets, mais surtout en matière d'innovation, de recherche. Il y a 30 ans, beaucoup de choses se passaient en Europe, même dans le domaine de la révolution technologique, dans les télécoms. Tout était européen, les grandes marques étaient européennes", analyse-t-il.

Une cinquième liberté

Selon Enrico Letta, le retard pris par le Vieux Continent s'explique essentiellement par un problème d'investissements. "Les marchés financiers européens sont trop fragmentés. Et en étant fragmentés, à la fin, nous sommes en train de devenir une colonie financière des Etats-Unis. Il y a un problème de couverture constitutionnelle et juridique sur le fait qu'on doit mettre ensemble nos activités de recherche ", estime le membre du conseil de GESDA.

Quel est le lien avec l'innovation? "Dans ce secteur, il faut une grande dimension d'investissement. Je plaide pour des idées nouvelles en Europe, pour une cinquième liberté avec des investissements dans le domaine de la recherche et de la connaissance, pour ce marché unique".

La fuite des cerveaux

Enrico Letta a visité une trentaine de pays européens durant la préparation de son rapport. Il dit avoir rencontré de nombreux jeunes entrepreneurs qui ne trouvaient pas le financement pour développer une idée. "On me disait: 'il faut que je sorte de mon pays, parce que chez moi, personne ne va me donner une chance'. J'ai entendu la même chose dans tous les pays. Ils doivent aller aux Etats-Unis pour trouver le financement, et c'est un financement qui n'a pas peur de la faillite", constate le membre du parti démocrate italien, au contraire de l'Europe qui a "peur du risque".

A titre d'exemple, l'ancien ministre italien de l'Industrie évoque le succès de l'intelligence artificielle. "Vous pensez que ces entreprises ont été un succès dès le début? Non! Ça a été une première faillite, puis ils ont remis de l'argent. Il y a eu une deuxième faillite, ils ont encore investi, et ça a fini par marcher. En Europe, nous ne sommes pas en condition pour le faire."

Propos recueillis par Pietro Bugnon

Article web: Jérémie Favre

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Le GESDA entame une nouvelle étape vers un public mondial

Le GESDA a officiellement lancé vendredi le "portail d'anticipation", sa seconde grande initiative depuis sa création il y a cinq ans. La fondation a pour mandat de garantir que les percées scientifiques deviennent un "bien commun". Un objectif plus pertinent que jamais, selon son président Peter Brabeck-Letmathe.

D'autant plus que "la société entière" est "dépassée par la rapidité des développements scientifiques", y compris les entreprises actives dans l'intelligence artificielle (IA), insiste-t-il.

Le portail public de l'anticipation est divisé en trois composantes, parmi lesquelles un cadre de formation mondial pour préparer les décideurs à anticiper les effets des futures avancées scientifiques. En ligne ou dans plusieurs villes dans le monde, ce format sera notamment prévu dès 2025 pour les responsables politiques de demain. Il sera piloté depuis Genève par Enrico Letta.

Réchauffement climatique, protection des données, pandémie: il y a plein de sujets sur lesquels le manque d'anticipation a un coût en termes de ressources financières, mais aussi en termes de vies humaines, explique Enrico Letta.

"Imaginez ce qu'il va se passer avec l'intelligence artificielle qui est déjà en train d'éliminer des emplois. Sans anticipation, il va y avoir des dégâts du point de vue social principalement. Il faut donc que les décideurs publics et privés soient capables de connaître et de comprendre l'évolution et l'accélération des sciences et des technologies. C'est aussi un sujet pour les scientifiques", détaille l'ancien ministre italien.