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Franco Cavalli: "Dans les années 1970, on disait que le meilleur médecin du Tessin, c'était le train pour Zurich"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Franco Cavalli, lauréat du Prix de l’Association américaine pour la recherche sur le cancer
L'invité de La Matinale (vidéo) - Franco Cavalli, lauréat du Prix de l’Association américaine pour la recherche sur le cancer / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 16 min. / le 13 juin 2024
Sommité mondiale en oncologie, Franco Cavalli a récemment reçu aux Etats-Unis un prix prestigieux récompensant l’ensemble de sa carrière. Une "grande fierté" pour le médecin tessinois qui, en créant l’Institut oncologique de la Suisse italienne, est parvenu à placer son canton sur la carte mondiale de la recherche contre le cancer.

A la fin des années 1970, au terme de ses études de médecine accomplies entre Berne, Milan, Bruxelles et Londres, Franco Cavalli décide de retourner dans son canton d'origine, le Tessin, pour exercer sa spécialité, l'oncologie. A l'époque, se souvient-il, tout le monde le prend pour un fou.

"A l'époque, il n'y avait rien au Tessin pour les malades du cancer. C'était vraiment le Moyen Âge", raconte-t-il jeudi au micro de La Matinale. "Le Tessin, c'était sympathique pour aller en vacances, c'est tout. Quand je suis arrivé en 1978, on disait d'ailleurs que le meilleur médecin du Tessin, c'était le train pour Zurich."

A l'époque, il n'y avait rien au Tessin pour les malades du cancer. C'était vraiment de Moyen Âge

Franco Cavalli, oncologue, lauréat du Prix de l'Association américaine pour la recherche sur le cancer

Mais 50 ans plus tard, les choses ont bien changé. Franco Cavalli, devenu aujourd'hui une sommité mondiale dans le domaine du cancer, a inscrit le Tessin sur la carte mondiale de la recherche contre le cancer en créant en 1981 à Bellinzone l’Institut oncologique de la Suisse italienne (IOSI), un centre de soins et de recherche de réputation mondiale.

En avril dernier, l’Association américaine pour la recherche contre le cancer lui a décerné un prix prestigieux pour l’ensemble de sa carrière. Un couronnement pour le médecin tessinois aujourd'hui âgé de 81 ans qui, en plus de sa longue carrière d'oncologue, s'est engagé durant de nombreuses années en politique, notamment au Conseil national de 1995 à 2007 pour le Parti socialiste.

Une grande fierté

Ce qu'il a ressenti le 7 avril dernier à San Diego au moment de recevoir son prix? Beaucoup d'émotion, une grande fierté et une énorme satisfaction, répond-il. "Je me sens vraiment fier, en tant que Tessinois, d'avoir réussi à démontrer qu'ici, on peut faire les mêmes choses qu'ailleurs."

En près de cinq décennies de carrière, l'homme originaire de Locarno a pu assister à une évolution, si ce n'est une révolution, dans le domaine de l'oncologie, que ce soit au niveau de la recherche, des traitements ou encore de la prise en charge des patients. Entre les années 1970 et aujourd'hui, la situation est complètement différente, note-t-il.

Quand j'ai commencé dans les années 1970, tous les jeunes hommes qui avaient le cancer des testicules mouraient. Aujourd'hui, on peut tous les guérir.

Franco Cavalli, oncologue

"Quand j'ai commencé dans les années 1970, par exemple, tous les jeunes hommes qui avaient le cancer des testicules mouraient. Aujourd'hui, on peut tous les guérir. Et certains, à l'image de Lance Armstrong, peuvent même gagner le Tour de France", se réjouit-il.

Un changement de paradigme qui a donc poussé les médecins à revoir leur manière de prendre en charge leurs patients et de leur annoncer le triste diagnostic. "Il y a 50 ans, c'était le médecin qui décidait. Aujourd'hui, nous donnons plus d'importance à la coopération avec le patient, nous donnons plus d'informations et nous soignons plus la qualité de vie des patients."

Ne surtout pas mentir

Son principe? Ne surtout pas mentir au patient. Mais pas besoin non plus que ce dernier sache immédiatement tout, "comme ont tendance à le faire les Américains qui donnent tout de suite des chiffres statistiques".

Les chiffres sont uniquement des statistiques, c'est-à-dire que trois mois de survie statistique peut aussi signifier un ou dix mois

Franco Cavalli, oncologue

"Les patients passent par des phases différentes. Il y a des moments où ils veulent savoir et d'autres où ils ne le veulent pas et c'est leur droit. Il ne faut pas leur mentir. Quand ils vous posent une question, il faut leur répondre honnêtement." Avant d'ajouter qu'il ne faut pas démonter tous leurs espoirs, "car les chiffres sont uniquement des statistiques, c'est-à-dire que trois mois de survie statistique peut aussi signifier un ou dix mois."

Un aspect psychologique important

C'est pourquoi l'aspect psychologique est très important lorsqu'il s'agit d'annoncer une mauvaise nouvelle à un patient, poursuit-il, surtout que les erreurs de diagnostic restent toujours possibles. "Il faut faire attention à ce que l'on dit, il ne faut rien exagérer et rester prudent. Il faut surtout tenir compte de l'état psychologique du patient." Durant ses études, Franco Cavalli a d'ailleurs travaillé trois ans dans ce domaine, "ce qui l'aide beaucoup à parler au patient", révèle-t-il.

Outre la prise en charge des patients, les traitements ont également beaucoup évolué. Il faut dire que la recherche a énormément investi dans ce secteur ces dernières années. Mais, selon lui, il faudrait désormais mettre davantage l'accent sur le dépistage précoce de la maladie "qui est la meilleure arme pour guérir les patients du cancer". Différentes recherches sont d'ailleurs en cours pour tenter de dépister certains cancers par une simple prise de sang, à l'aide aussi de l'intelligence artificielle. Le spécialiste en est certain, "il faut aujourd'hui investir massivement dans la prévention et le diagnostic précoce."

Propos recueillis par Delphine Gendre

Texte web: Fabien Grenon

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