Selon deux années de données fournies par le télescope spatial James Webb (JWST), l'expansion de notre Univers semble se produire environ 8% plus rapidement que ce qui était initialement supposé possible (lire encadré). Une expansion qui était plus lente durant les premiers milliards d'années de son existence.
Cela valide la conclusion à laquelle était déjà arrivé le télescope spatial Hubble: la question se posait s'il avait bien fonctionné... JWST balaie ainsi l'argument que son illustre prédécesseur ait pu commettre quelque erreur.
Il manque quelque chose à notre compréhension de l'Univers
"Il confirme la découverte déroutante (...) avec laquelle nous nous débattons depuis une décennie: l'Univers s'étend maintenant plus vite que nos meilleures théories ne peuvent l'expliquer", souligne l'astrophysicien Adam Riess, professeur de physique et d'astronomie à l'Université Johns Hopkins dans le Maryland, auteur principal de l'étude publiée lundi dans The Astrophysical Journal.
"Oui, il semble qu'il manque quelque chose à notre compréhension de l'Univers", a ajouté ce lauréat du Prix Nobel de physique 2011 pour avoir codécouvert l'expansion accélérée du cosmos à travers l'observation de supernovæ distantes. Et la connaissance butte sur deux éléments en particulier: "La matière sombre et l'énergie sombre – qui représentent 96% de l'Univers –, ce n'est donc pas une mince affaire".
L'énigme de la tension de Hubble
Depuis longtemps, il existe un écart entre le taux d'expansion observé de l'Univers et le taux que les scientifiques imaginaient possible sur la base de la connaissance du cosmos établi sur le modèle standard de la cosmologie, ou modèle ΛCDM – pour Lambda Cold Dark Matter.
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Cette discrépance est connue sous le nom de "tension de Hubble": et 8% détectés avec deux sets de données différentes, soit celles de Hubble et de James Webb, c'est significatif.
L'énergie sombre ne se comporte pas comme on pense
"Donc le modèle actuel, qui est le plus simple, ne semble pas fonctionner", souligne la cosmologiste Camille Bonvin de l'Université de Genève, jointe par RTSinfo. "Cela peut soit dire que l'énergie sombre ne se comporte pas comme on pense, ou alors peut-être que la gravitation est modifiée", ajoute la chercheuse qui n'a pas participé à cette étude: "Adam Riess et son équipe examinent à quelle vitesse l'Univers s'agrandit et leurs données sont robustes, même s'il faudra encore multiplier les observations".
"Cette tension vient de la comparaison des données de Hubble et de James Webb avec celles du satellite Planck qui a observé l'Univers alors qu'il était très jeune, à l'aube de ses 370'000 ans", précise l'astrophysicienne tout en ajoutant que les données de DESI pourraient aider à caractériser la tension de Hubble: "DESI permet de mesurer la vitesse d'expansion au cours de l'évolution de l'Univers, en remontant dans le passé. Récemment ses données ont montré qu'il y a aussi une tension lorsqu'on compare ce qui se passe dans le passé avec les prédictions du modèle standard. Il existe peut-être un même modèle qui pourrait expliquer ces deux résultats".
Un portrait qui se dessine peu à peu
Avec les recherches menées avec son équipe, Camille Bonvin mesure des éléments complémentaires à ceux étudiés par Adam Riess et ses collègues: la profondeur des puits gravitationnels. "On constate également que ça ne colle pas tout à fait, sans le voir pour l'heure aussi clairement que lui", note-t-elle.
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Petit à petit, la science avance pour percer les mystères de notre cosmos lancé dans une expansion exponentielle qui ne paraît pas vouloir s'arrêter. Chaque étude semble prouver que le modèle standard a besoin d'être revu.
Autant Adam Riess que Camille Bonvin, et bien d'autres astronomes autour du globe, travaillent de manière complémentaire pour dresser le portrait de notre Univers de manière compréhensible: "C'est comme si Riess ne s'intéressait qu'aux cheveux d'une personne, et moi aux yeux de celle-ci". Au bout du compte, un visage finira par apparaître sur la photo.
Stéphanie Jaquet et reuters
Comment expliquer ce taux d'expansion anormal?
De nombreuses hypothèses sont avancées: "Elles impliquent la matière noire, l'énergie noire, le rayonnement sombre – par exemple, les neutrinos [un type de particule subatomique fantomatique, ndlr.] – ou la gravité elle-même ayant certaines propriétés exotiques comme explications possibles", indique Adam Riess.
Les scientifiques ont utilisé trois méthodes différentes pour mesurer un indicateur spécifique: les distances entre la Terre et les galaxies où un type d'étoiles pulsantes appelées céphéides a été observé. Les mesures de Webb et de Hubble étaient en harmonie.
A noter encore que la vitesse d'expansion de l'Univers – la constante de Hubble – est mesurée en kilomètres par seconde et par mégaparsec, soit une distance égale à 3,26 millions d'années-lumière.
Une année-lumière correspond à la distance parcourue par la lumière en un an, soit 9,5 trillions de kilomètres (un trillion est le chiffre 1 suivi de 18 zéros); le mégaparsec est une unité de mesure qui correspond à 3 fois 10 puissance 19 (le chiffre 3 suivi de dix-neuf zéros) kilomètres.