La fraude scientifique, un fléau grandissant qui menace l'intégrité de la recherche
Le savoir scientifique s'exprime dans les revues et repose sur un édifice de connaissances construit brique après brique, page après page, année après année. L'édifice est solide, tant qu'il est fondé sur la rigueur et l'honnêteté, mais il vacille lorsque la quête de vérité n'est plus l'objectif. Face à cette menace, des scientifiques se mobilisent pour traquer les fraudes et erreurs dans les publications.
Un phénomène plus répandu qu'on ne le pense
"On n'avait pas idée du volume où les gens, visiblement, peuvent avoir fabriqué ou falsifié les données ou plagié", explique Boris Barbour, coresponsable PubPeer, une plateforme créée en 2012 qui permet de signaler des erreurs dans des articles scientifiques. Les rétractations d'articles, autrefois exceptionnelles, sont de plus en plus fréquentes.
Il y a des revues qui ne servent absolument à rien d'un point de vue scientifique
Selon Michelle Bergadaà, professeure de management à l’Université de Genève, il existe "deux façons de tomber dans la fraude: soit vous êtes un hyper publiant, vous voulez absolument publier, soit vous êtes incapable de vous élever à la hauteur des connaissances requises." Car, dans le monde de la recherche, il faut publier pour exister, un principe qui peut pousser jusqu’à la fraude.
Des revues prédatrices qui prospèrent
Un nouveau phénomène inquiète: l'émergence de revues "prédatrices" qui publient des articles sans véritable contrôle scientifique, moyennant finances. "Il y a des revues qui ne servent absolument à rien d'un point de vue scientifique, qui sont juste là pour imiter le processus scientifique, pour faire de l'argent", constage Solal Pirelli, doctorant en informatique à l'EPFL et détective scientifique.
Mais comment ces revues font-elles de l’argent? Elles profitent du principe "publier ou périr" qui pousse les chercheurs à multiplier les publications pour faire avancer leur carrière.
Autrefois, les revues scientifiques étaient financées par les abonnements – souvent très chers – et la publicité. Aujourd’hui, beaucoup sont gratuites, en libre accès sur internet. Et sont financées par les chercheurs eux-mêmes. Ce sont eux qui paient pour être publiés. Un business qui peut être très rentable. Surtout si une revue a pour seul objectif d’encaisser des frais de publication sans vérifier le contenu scientifique.
Des fraudes aussi présentes dans des revues influentes
Pour l’évolution des connaissances, l’impact des revues douteuses est relatif, elles sont peu lues. Mais quand c’est dans une publication influente que des déraillements se produisent, c’est une autre affaire.
Au début des années 80, Karl Illmensee publiait un article retentissant en une de la prestigieuse revue "Cell", affirmant avoir cloné trois souris, une première mondiale. Pourtant, personne n'a réussi à reproduire cette expérience, pierre angulaire de la vérité scientifique. Denis Duboule, alors doctorant, et son collègue Kurt Burki ont lancé l'alerte, incitant l'université à enquêter sur leurs soupçons. Trois ans de lutte acharnée ont été nécessaires pour que la vérité éclate, dans un climat institutionnel réticent à dévoiler ses failles. Un fiasco qui soulève des questions cruciales sur les mécanismes de validation des découvertes scientifiques et la pression exercée sur les chercheurs pour publier des résultats sensationnels.
Une lutte difficile pour les lanceurs d'alerte
Les "détectives scientifiques" qui traquent ces fraudes font face à de nombreux obstacles, notamment l’absence de rémunération pour ce travail, les risques de poursuites judiciaires et le harcèlement en ligne.
Je fais globalement confiance à la science, mais il y a un pourcentage qui est tronqué. Et contre cela, nous devons nous battre
Malgré ces difficultés, ils s'organisent, notamment au sein du "Collège Invisible", un collectif informel d’enquêteurs qui traquent les fraudes scientifiques.
Un système à repenser
Pour lutter efficacement contre la fraude scientifique, c'est tout le système de publication et d'évaluation de la recherche qui doit être repensé. Pour Boris Barbour, coresponsable PubPeer, le système actuel "ne se prête pas vraiment à la détection ou à la correction ou la punition de ce type de problème".
La communauté scientifique prend progressivement conscience de l'ampleur du phénomène. "Je vois que d’autres scientifiques ont finalement compris qu’il y a là un vrai problème dont il faut s’occuper. Je fais globalement confiance à la science, mais il y a un pourcentage qui est tronqué. Et contre cela, nous devons nous battre", conclut Elisabeth Bik, figure de proue de cette lutte.
Reportage TV: Corinne Portier et Olivier Paul
Adaptation web: Gaëlle Bisson