A l'aube cosmique, JADES-GS-z14-0 est désormais la galaxie la plus lointaine – et donc la plus vieille – jamais repérée: elle existait quelque 290 millions d'années seulement après le Big Bang, soit lorsque l'Univers n'avait que 2% de son âge. Elle a été trouvée dans le cadre d'une enquête nommée JWST Advanced Deep Extragalactic Survey, dont l'acronyme est JADES.
Pour prendre la mesure de ce que cela signifie, l'une des personnes impliquées dans la découverte, Kevin Hainline, professeur associé à l'Université d'Arizona aux Etats-Unis, propose une analogie: "Si l'Univers était un film de deux heures, cette galaxie date des premières deux minutes et demie", explique-t-il, très enthousiaste, dans une vidéo en anglais.
Cette galaxie, "stupéfiante de luminosité", qui se trouve dans une région profonde du ciel de l'hémisphère sud, a soufflé l'équipe internationale de scientifiques ayant annoncé sa découverte jeudi. JADES-GS-z14-0 fait plus de 1600 années-lumière de diamètre, ce qui est relativement grand pour une galaxie si ancienne. Sa masse est estimée à plusieurs centaines de millions de fois celle du Soleil et elle contient un grand nombre d'étoiles jeunes.
Daniel Schaerer, du département d'astronomie de l'Université de Genève, est ravi de cette découverte. Lui, son collègue Pascal Oesch et leurs équipes avaient identifié les précédentes "galaxies les plus vieilles" que sont GN-z11 et GLASS-z12: "Cela repousse encore la limite et donne des indications sur la densité moyenne de l'Univers peu de temps après le Big Bang", remarque l'astrophysicien qui n'a pas participé à cette découverte, contacté par RTSinfo.
Comprendre les premiers âges de l'Univers
Cette galaxie présente des particularités ayant de "profondes implications" pour notre compréhension des premiers âges de l'Univers, selon la NASA. Et "ce n'est pas le genre de galaxies prédites par les modèles théoriques et simulations informatiques dans le tout jeune Univers", précisent dans un communiqué Kevin Hainline et Stefano Carniani, deux des chercheurs impliqués dans cette trouvaille.
Les scientifiques se posent une question primordiale à propos de JADES-GS-z14-0: "Comment la Nature a-t-elle pu créer une galaxie si lumineuse, massive, et grande en moins de 300 millions d'années?"
Kevin Hainline raconte avoir "bondi" en découvrant la confirmation de sa distance, ajoutant que cette galaxie est "extrêmement bizarre": "Elle est très brillante, assez grosse, elle pourrait contenir des preuves d'oxygène et, compte tenu de la taille de la région que nous avons explorée pour la trouver, nous pourrions en découvrir bien plus".
Beaucoup d'étoiles en peu de temps
"L'expansion de l'Univers est rapide et les structures évoluent vite", remarque Daniel Schaerer. "Normalement, il faut du temps pour que l'accrétion de matière se fasse et que de petits objets croissent. Ce qui est étonnant, c'est que l'on trouve de plus en plus d'objets massifs très tôt dans l'Histoire de l'Univers: on ne voyait pas cela avant le JWST".
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Depuis son lancement en décembre 2021, le JWST avait déjà observé la galaxie jusqu'ici déclarée la plus lointaine, JADES-GS-z13-0, datant pour sa part de 320 millions d'années après le Big Bang. L'équipe qui l'a découverte est la même qui a annoncé l'existence de JADES-GS-z14-0: elle bat ainsi son propre record.
Mais "le record ne compte pas" et pourra être de nouveau battu, remarque Kevin Hainline: "Ce qui compte, c'est le fait que l'Univers semble grouiller de galaxies très brillantes". JADES-GS-z14-0 contient beaucoup d'étoiles, "ce qui est impressionnant compte tenu du peu de temps" passé entre le Big Bang et le moment observé, explique-t-il.
Trouver de l'oxygène dans cette galaxie du tout début de l'Univers est comme découvrir un smartphone dans les ruines archéologiques de la Rome antique
Les traces d'oxygène détectées attisent tout autant la curiosité, car ce gaz "requiert que des étoiles aient vécu leur vie entière puis soient mortes dans des explosions de supernovæ". Pour cet astrophysicien, "trouver de l'oxygène dans cette galaxie du tout début de l'Univers est comme découvrir un smartphone dans les ruines archéologiques de la Rome antique".
En effet, les gaz primordiaux sont l'hydrogène – dont le numéro atomique est 1 – et l'hélium – avec un numéro atomique de 2. L'oxygène possède un numéro atomique de 8: il est chimiquement plus complexe et n'apparaît qu'après de multiples générations d'étoiles.
La très forte densité de l'Univers primitif
Il reste maintenant du travail aux scientifiques pour expliquer la présence de ces galaxies si brillantes si tôt après le Big Bang. Plusieurs théories existent et la favorite tourne autour de la grande densité de l'Univers précoce: "Si on se place dans l'Univers proche, on observe que les galaxies comportent beaucoup de gaz: il traîne dans le milieu interstellaire sans former d'étoiles directement", note Daniel Schaerer. "Des astres peuvent se former en utilisant très peu de gaz: seulement 10 à 20% d'un nuage sont nécessaires".
"Mais à grand redshift, cela ne se passe pas comme ça", note le professeur de l'Observatoire de Genève: "Dans l'Univers primitif, tout le gaz s'effondre gravitationnellement en étoiles et il n'en reste quasiment pas. Si la formation stellaire est si efficace, c'est probablement parce que l'environnement est extrêmement dense: tout s'effondre dans les puits gravitationnels pour faire naître des astres".
Après trois millions d'années, certaines des étoiles explosent en supernovæ: "Le gaz est alors normalement poussé violemment vers l'extérieur, comme sous l'effet d'une bombe: c'est le phénomène de rétroaction", explique Daniel Schaerer. "Mais là, ce mécanisme ne fonctionne pas ou peu: tout est si dense que rien ne peut empêcher le gaz de s'effondrer à nouveau et former d'autres étoiles. Ça, c'est l'explication la plus simple... mais il en existe peut-être d'autres!"
L'astronomie vit des moments passionnants, révolutionnaires. En seulement deux ans de données scientifiques récoltées, le JWST a déjà permis de nombreuses découvertes: "Avec un peu de chance, James Webb va continuer à nous fournir des résultats comme ceux-là durant des décennies", souligne Kevin Hainline.
Stéphanie Jaquet et l'afp
Remonter dans le temps
En astronomie, voir loin revient à remonter dans le temps. Par exemple, un photon partant de notre Soleil met huit minutes à nous parvenir: nous voyons donc sa lumière telle qu'elle était il y a huit minutes. En observant le plus loin possible, il est ainsi possible de percevoir des objets tels qu'ils étaient il y a des milliards d'années.
Mais la lumière émise par les objets très lointains s'est étirée à mesure que l'Univers s'est étendu, jusqu'à nous parvenir: elle a rougi en chemin, passant dans l'infrarouge, une longueur d'onde invisible à l'œil nu. Cet étirement ce nomme le redshift, ou décalage vers le rouge.
La particularité de James Webb, dont l'une des missions principales est d'explorer le tout jeune Univers, est de ne fonctionner que dans l'infrarouge.
La galaxie JADES-GS-z14-0 a d'abord été détectée en janvier 2023 grâce à l'imageur NIRCam, mais c'est grâce aux observations un an plus tard d'un autre instrument du télescope, le spectromètre NIRSpec, que la confirmation de sa distance a ensuite été livrée.
JADES-GS-z14-0 est le sujet de trois papiers scientifiques: deux premiers articles, qui n'ont pas encore fait l'objet d'une évaluation formelle par les pairs, ont été soumis à deux revues différentes à fort impact. La première étude confirme la distance de cette galaxie et la deuxième se penche sur ses propriétés.
Le troisième papier, qui aborde l'énigme de la formation précoce d'une galaxie aussi massive, a été accepté pour publication dans l'Astrophysical Journal.