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La soumission chimique se passe en majorité avec des proches

La soumission chimique est souvent utilisée dans le cadre des violences domestiques. [Science Photo Library via AFP - DIGICOMPHOTO]
La soumission chimique est souvent utilisée dans le cadre des violences domestiques. - [Science Photo Library via AFP - DIGICOMPHOTO]
La soumission chimique est le fait d'administrer une ou plusieurs substances psychoactives à une personne, à son insu ou sous la menace, pour profiter de sa vulnérabilité. Un crime caractérisé par l'absence de consentement qui est le plus souvent avéré dans un cadre domestique.

Lorsque Gisèle Pelicot, victime d'une décennie de viols orchestré par son mari, a refusé le huis clos au procès de ses 51 agresseurs, elle a eu ces mots: "Beaucoup de femmes n'ont pas les preuves. Moi, j'ai les preuves de ce que j'ai vécu." Immédiatement, la septuagénaire a souligné espérer que d'autres femmes puissent l'entendre et peut-être se rendre compte qu'elles aussi avaient été droguées et abusées.

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"Si Dominique Pelicot était jugé pour n'avoir donné un somnifère qu'une seule fois pour une soirée, ce procès n'aurait jamais fait la Une", estime Marc Augsburger, en charge de l'Unité de toxicologie et de chimie forensiques (UTCF) au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML). "Ici, le retentissement vient de la durée dans le temps, de l'ampleur des actes et du fait qu'ils ont été commis sans que personne ne s'en aperçoive. La force de caractère de Gisèle Pelicot m'impressionne vraiment: en levant le huis clos, elle permet une libération de la parole, comme avec #MeToo."

>> Ecouter "Au procès des viols de Mazan, le courage face à la banalité du mal" :

Gisèle Pélicot, escortée par ses avocats Stéphane Babonneau et Antoine Camus, sort de la cour d'assises après l'audience du procès pour viol de son ancien mari, à Avignon, dans le sud de la France, le 17 septembre 2024. [EPA/KEYSTONE - GUILLAUME HORCAJUELO]EPA/KEYSTONE - GUILLAUME HORCAJUELO
Au procès des viols de Mazan, le courage face à la banalité du mal / Tout un monde / 7 min. / le 19 septembre 2024

"Il y a une vraie prise de conscience", souligne-t-il à RTSinfo: "Avant, quand on parlait de soumission chimique, tout le monde imaginait une boîte de nuit avec quelqu'un qui a mis une substance comme du GHB dans mon verre. Il n'existe pas de chiffres à ce propos mais, très clairement, les situations avérées se passent dans un milieu fermé, chez les proches – la famille, les amis, des relations (lire encadré). Non, il ne s'agit pas d'un satyre au coin du bois!"

L'agresseur veut avoir sa victime à proximité

Marc Augsburger, en charge de l'Unité de toxicologie et de chimie forensiques au Centre universitaire romand de médecine légale

Pour lui, la logique d'un agresseur est implacable: "Il veut avoir sa victime à proximité. Dans une soirée, l'espace est grand, on peut perdre le contact avec la personne et ne pas obtenir d'elle ce que l'on veut. Dans un milieu fermé, en tête-à-tête, la victime est sous la main et ne va pas fuir."

Un crime impossible à quantifier

Dénombrer ces crimes est inenvisageable: "Un chiffre ne serait que le bout de l'iceberg car comment prendre en compte tous les cas non découverts? C'est comme si vous me demandez si le crime parfait existe... je ne peux pas répondre."

La soumission chimique n'est en outre pas uniquement utilisée dans le cadre d'abus sexuels: "Il faut 'se mettre dans la peau de l'agresseur', si vous me le permettez, pour comprendre. Pour voler un porte-monnaie, un endormissement peut suffire. Cela peut aussi être quelqu'un qui a la garde d'une personne âgée ou d'un enfant et qui va lui donner un somnifère histoire de passer une soirée tranquille", évoque celui qui rencontre quotidiennement des cas d'abus de substances psychoactives au travers des analyses qu'il effectue.

"Un laboratoire va pouvoir dire s'il y a eu exposition à telle ou telle substance, mais pas si la personne l'a consommée volontairement, involontairement ou à son insu: seule une enquête policière va pouvoir le déterminer. La toxicologie donne uniquement un résultat objectif, elle ne peut pas tout résoudre." (lire encadré)

Errance médicale

Dominique Pelicot administrait des benzodiazépines – des anxiolytiques et des somnifères – à son épouse de manière si massive que celle-ci dormait parfois plusieurs jours de suite, avait des absences et des pertes de mémoire. A tel point que ses enfants la croyaient atteinte d'un problème neurologique ou de la maladie d'Alzheimer.

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Aucun professionnel à l'avoir examinée n'a pensé à la soumission chimique: "Mais c'est à mille lieues de ce qu'un médecin peut imaginer", remarque le toxicologue. "Aux urgences, le personnel médical peut être plus en alerte, mais c'est le contexte qui va aider à comprendre ce qui se passe, que quelque chose est anormal."

On banalise l'utilisation des benzodiazépines qui sont prescrites trop facilement

Marc Augsburger, en charge de l'Unité de toxicologie et de chimie forensiques au Centre universitaire romand de médecine légale

Marc Augsburger donne des cours sur la soumission chimique à des personnes en formation dans le domaine de la justice, la police et la médecine. Pour lui, le phénomène est connu depuis des années et le problème est sans doute ailleurs: "On banalise l'utilisation des benzodiazépines: ce type de médicaments – qui sont bénéfiques si bien utilisés – sont prescrites trop facilement. Cela fait des années que notre milieu affirme qu'il y a des mésusages et des risques de dépendance. Ces substances ne sont pas anodines."

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Et ce sont des traitements prescrits par des médecins qui sont détournés par les agresseurs: "Il y a eu des progrès dans la prise en charge des violences sexuelles, mais il est vrai que dans le cas de la soumission chimique, le corps médical et la police doivent avoir cette notion en tête. Dans une anamnèse, c'est une question parmi d'autres à poser."

"S'il faut voir quelque chose de positif au procès Pelicot, c'est que peut-être à l'avenir, dans la société au sens large – pas juste la médecine et la police –, on se demandera si on n'est pas dans une situation similaire", conclut-il.

>> Ecouter "Les benzodiazépines, des anxiolytiques dont il faut se méfier", interview de Nicolas Donzé, chef adjoint du Service de chimie clinique et toxicologique de lʹInstitut central des hôpitaux à Sion :

Les médicaments anxiolytiques s’avèrent vite addictifs et augmenteraient les risques de démence.
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Les benzodiazépines, des anxiolytiques dont il faut se méfier / CQFD / 11 min. / le 23 août 2024

Stéphanie Jaquet

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Un crime commis en privé

Selon l'Agence nationale française de sécurité du médicament (ANSM), moins de 20% des cas de soumission chimique sont perpétrés dans des lieux de fête et plus de 40% sont commis dans un contexte privé, ce qui signifie que plus de deux tiers des victimes connaissent et ont confiance en leur agresseur.

A noter que dans 56% des cas, les agresseurs utilisent des médicaments.

>> Les explications de Cecilia Mendoza dans le 19h30 :

La soumission chimique est l'instrument utilisé par le mari violeur de Mazan. Les explications de Cecilia Mendoza
La soumission chimique est l'instrument utilisé par le mari violeur de Mazan. Les explications de Cecilia Mendoza / 19h30 / 1 min. / le 17 septembre 2024

L'examen toxicologique

Les substances recherchées systématiquement en cas de soupçon de soumission chimique sont tous les médicaments ou substances psychotropes: les anxiolytiques, les somnifères, les drogues illégales. "Le GHB est une molécule particulière qui requiert une analyse spécifique. Nous avons désormais une méthode très bon marché pour son dépistage", précise Marc Augsburger. "C'est l'alcool éthylique qui est le plus souvent retrouvé et le GHB le moins souvent."

Les échantillons de sang et d'urine doivent être prélevés rapidement pour analyse, car plus le temps s'écoule, plus la substance va être éliminée.

Quant à l'examen des cheveux, il peut s'avérer compliqué: "Dans l'affaire Pelicot, ce sont les doses massives et régulières qui ont permis à la toxicologie de détecter des preuves. Mais dans d'autres cas, l'administration de substances n'a pas besoin d'être élevée pour être efficace... et cela ne va pas ou peu laisser de trace dans les cheveux."